Tous à la campagne ! - Par Tronchet - Editions Fluide glacial

Connu pour ses séries tendance humour noir, Jean-Claude Tergal et Raymond Calbuth qui ont fait se bidonner bon nombre de lecteurs, le récipiendaire de l’Alph-Art humour, dans les années 1990, Tronchet revient au registre comique, caractéristique de Fluide glacial (le magazine et les éditions).

Retour à l’humour car l’auteur a abordé des registres bien différents, notamment chez Dupuis, Casterman et Delcourt. Et si ses talents comiques sont incontestables, il est aussi un auteur remarquable lorsqu’il signe, par exemple, Le chanteur perdu ou, plus anciennement avec Anne Sibran, Là-bas, Ma vie en l’air, Le monde du dessous.

Magie du jardin

Tronchet utilise différentes catégorie d’humour : ici le comique est à la fois dans le décalage dans le discours du personnage d’une image à l’autre (images 3 et 4) et dans le mime qu’il fait dans le dos de sa femme (dernière image).

A l’origine de ce projet, selon les dires de l’auteur (entretien pour le site goodplanet), se trouve le choc de la crise sanitaire : « Je vis en ville, mais j’ai une maison à la campagne en Ardèche. Pendant le Covid, je m’y suis retrouvé. Comme beaucoup de monde, je me suis demandé si je pouvais vivre ou survivre en cas d’effondrement. J’ai commencé à planter des tomates, à avoir une serre… Ce genre de choses-là, puis je me suis rapidement rendu compte que si les choses tournaient mal, j’ai une espérance de vie de 2h30 à 3h. Ça m’a amusé de le raconter à travers les deux personnages de la bande dessinée. ».

Après Les catastrophobes (en 2021) sur notre incapacité collective à faire face à la crise écologique, Tous à la campagne ! propose un retour à la terre.
Soit un couple qui décide de se réfugier à la campagne, loin de la pollution, du stress et de la ville, pour devenir écoresponsable, cultiver ses fruits et ses légumes, acheter une ruche, bref, pour devenir acteurs du changement et répondre aux crises environnementales actuelles.

Au coin du feu

Entre la prise de conscience écologique et la réalité du retour à la campagne : deux points de vue.

Du moins en théorie. Car, comme souvent, entre les intentions et la mise en pratique, il y a des écarts qui se changent parfois en gouffres. L’apprentissage de la vie rurale, de la sobriété et de l’autosuffisance alimentaire sera rude, en particulier pour la moitié masculine du couple.

« Il suffit de planter la graine à 10 cm et de l’arroser avec de l’eau de source. Et ensuite, aller au supermarché au rayon fruits et légumes » (page 35).

Les contradictions apparaissent entre le réflexe consumériste, l’envie de conserver son confort et la volonté de changement.

Commander sur Internet (la marque du site préféré de l’auteur est citée pages 7, 8 et 9), utiliser le wifi pour regarder des séries, consommer, consommer et consommer encore (autant que la carte bleue le permet) : comment s’en passer ?

Les changements semblent plus facile pour l’une que pour l’autre. Ce décalage dans le couple amène à nous interroger sur nos propres contractions, le sens de nos vies et les excès des uns et des autres.

« - Tu parles à un arbre mort ?
 Je ne parle pas, je prie (…) il a peut-être de la famille ou des amis dans le coin. » (page 24)

La colorisation est réduite au minimum et le style de l’auteur sans surprises, mais Tronchet réussit en narrant une suite de saynètes faisant une ou deux planches à raconter une histoire drôle et pertinente, évitant le simplisme et les assertions définitives. À lire !