Jeunesse

Pour la Saint-Valentin : Mafalda et l’Amour – Par Quino – Ed. Glénat

Par Hippolyte ARZILLIER le 14 février 2024                      Lien  
Pour célébrer les soixante ans de l’héroïne de Quino, Glénat réédite plusieurs strips de « Mafalda » dans une compilation intitulée « Mafalda et l’Amour ». Cette publication nous donne l’occasion de revenir sur l’univers construit par Quino, et plus spécifiquement, sur ses personnages et l’ingéniosité de son approche : faire des enfants le reflet du monde des adultes.

Le titre choisi peut à première vue paraître bien creux : Mafalda et l’Amour, n’est-ce pas un peu vague pour parler d’une œuvre aussi riche que celle de Quino ? En même temps, cela donne un album de très bonne facture, avec une belle couverture rose.

Mais il y a plus : si ce choix de titre n’est pas si superficiel que ça, c’est parce qu’il a le mérite d’insister sur la face positive de Mafalda. On sait que l’héroïne ne cesse de dénoncer les injustices, les vices (comme l’égoïsme, la cupidité etc.), mais derrière ses critiques se cachent des pages pleines d’admiration et d’amour. D’abord, Mafalda aime avant tout ses amis ; elle aime aussi les Beatles ; bien qu’elle soit interloquée par ses formules, elle aime la petite Liberté qui n’apprécie que les gens qui sont « simples ». Dans un strip, elle court dehors pour aller embrasser l’herbe, puis s’exclame : «  Bon anniversaire ! Sol de ma patrie ! » Quino ne cherche pas ici à faire de Mafalda une chauvine : quelques pages plus loin, elle s’avère très critique vis-à-vis des patriotes qui ne s’interrogent pas assez : « Les Suédois aiment-ils la Suède parce qu’ils y sont nés ? Les Javanais aiment-ils Java parce qu’ils y sont nés ? Je l’appellerais « patriotisme opportunisme » ».

Pour la Saint-Valentin : Mafalda et l'Amour – Par Quino – Ed. Glénat
Mafalda et l’amour, extrait 1
© Quino - © Glenat

Pour une personne qui découvre l’œuvre de Quino, il peut paraître surprenant de lire des mots si compliqués sortir de la bouche d’une enfant. Or, c’est justement là que réside l’intérêt de Mafalda : chaque personnage est le reflet du monde adulte, d’une éducation et parle avec un langage sans fioritures des problèmes des plus grands.

Mafalda et sa bande restent des enfants qui jouent, n’aiment pas la soupe, ne veulent pas aller à l’école, mais toutes leurs discussions impliquent deux niveaux de lecture. Si les enfants pourront s’amuser devant certains gags, ils ne comprendront pas la majorité des strips choisis. Car de quoi parle Mafalda ? D’économie avec le personnage de Manolito (un strip traite même de l’inflation), du conformisme de la ménagère rangée avec Susanita ou encore des angoisses du jeune adulte avec Felipe.

Mafalda, par Quino
© Quino

On pourrait classer les personnages de Quino en trois catégories. Dans la première, on trouve Mafalda et Liberté, les deux personnages les plus moralisateurs. Elles crient à l’injustice, s’insurgent devant les mauvais comportements, la misère. Nous pensons ici tout particulièrement au dessin bien connu où Mafalda est au chevet de son globe terrestre malade ou encore, à celui où elle se demande comment mettre un pansement sur son cœur.

Dans la seconde catégorie, on peut ranger Susanita et Manolito. Ce sont tous deux des archétypes du monde adulte : Manolito travaille dans l’épicerie de son père et incarne le capitaliste en devenir. Il renifle des dollars qu’il ramasse ensuite par terre, ou se rêve Rockfeller tandis que son ami Felipe se déguise en cowboy solitaire. De son côté, Susanita incarne la ménagère qui n’attend qu’une chose : avoir des enfants et se marier.

Si ces deux personnages forment un duo comique récurrent (avec tous ces strips où Susanita rappelle à Manolito qu’il est un idiot), c’est parce qu’ils se situent sur le même plan : d’une certaine façon, ce sont les deux seuls personnages à ne pas être extérieurs au monde adulte. C’est particulièrement marquant avec Susanita : alors que tous les autres ont gardé leurs tête d’enfants, elle, a déjà un visage d’adulte. Lorsque Quino la dessine plus grande, il ne change même pas sa tête : elle a déjà les boucles d’oreilles, les habits ainsi que la coiffure de la mère de famille qu’elle espère devenir.

Mafalda et l’amour, extrait 2
© Quino - © Glenat

Restent Felipe et Miguelito. Ces deux-là sont un peu moins marquants à la lecture. La raison est simple : ils n’ont pas les certitudes de Mafalda, Liberté, Susanita ou Manolito. En même temps, ils ont deux manières très différentes de se questionner. Là où Felipe s’avère réservé, timide et angoissé (par exemple, quand il peine à aborder une fille qui lui plaît), Miguelito est plus philosophe. Souvent songeur, il dit à Mafalda qu’ « Il y a quatre milliards de choses qu’[il] ne comprend pas  » ; à un autre moment, il demande à ses amis de se taire pour se retrouver avec lui-même.

Felipe et Miguelito sont comme l’envers et l’endroit d’une même pièce : ils s’interrogent, mais là où le premier n’est jamais sûr de lui, le second est toujours apaisé, voire, confiant.

C’est cette gamme de personnages très variée qui rend l’œuvre de Quino si riche en réflexions. Certes, ce sont des enfants, mais c’est justement parce qu’ils sont plus jeunes qu’ils ne se mentent pas sur le monde des adultes : ils en dénoncent (volontairement ou malgré eux) la cruauté, les injustices, et sont chacun porteur d’un message. Est-ce, comme le titre de cette réédition le suggère, un appel à aimer davantage ? Peut-être pas seulement, mais dans tous les cas, Mafalda et l’Amour mérite que tout le monde se rende en librairie.

Mafalda et l’amour, extrait 3
© Quino - © Glenat

(par Hippolyte ARZILLIER)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782344062616

Glénat ✏️ Quino Humour Jeunesse Argentine
 
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10 Messages :
  • Ouiiiii, d’accord, Mafalda c’est très bien, mais je préfère un autre Argentin, le très marrant Mordillo ! Dommage que pour fêter l’évènement de la Saint-Galantin (astuce, hihi hi !), Glénat n’ait pas proposé de reprises de ses albums !

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    • Répondu par Fashion victime le 14 février à  20:40 :

      Mouais bof, Mafalda ça fait un peu Pico bogue en moins bien et moins drôle.
      Mafalda c’est un truc de livre d’espagnol au collège.

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      • Répondu le 14 février à  23:57 :

        J’aime bien Pico Bogue mais il ne faut pas dire n’importe quoi. Quino est un immense artiste et Mafalda une héroïne incontournable dans l’histoire de la BD mondiale. A un moment donné, il faut se renseigner un tout petit peu.

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    • Répondu le 14 février à  20:46 :

      Mordillo et Quino n’ont rien en commun. Quino et son personnage ont eu un impact historique bien plus considérable que les hilarantes girafes de Mordillo.

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      • Répondu par Lol le 15 février à  01:17 :

        "un impact historique considérable ", n’importe quoi.

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        • Répondu par svecs le 15 février à  08:41 :

          Mafalda possède un sous-texte politique évident, d’autant plus courageux que réalisé en pleine dictature

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          • Répondu le 15 février à  10:16 :

            Ah ! On est au moins deux à connaître un tout petit peu l’Histoire contemporaine…

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          • Répondu le 15 février à  12:35 :

            Il faut tout leur expliquer : Quino, comme Breccia et Oesterheld, est un des auteurs les plus importants de la BD argentine. Comme eux, il a écrit et dessiné dans le contexte du péronisme et des coups d’état militaires successifs dans son pays et comme chez eux, son œuvre reflète l’histoire tourmentée de son pays. Considéré comme subversif et menacé par la junte militaire, il quitte l’Argentine en 1976, contrairement à Oesterheld, qui reste sur place et disparaît en 1978, très probablement assassiné, ainsi que presque toute sa famille. Bien plus tard, Quino, reconnu internationalement, retournera en Argentine. Il y est mort en 2020.
            .

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      • Répondu par Zorg ! le 15 février à  11:44 :

        Voila déjà deux points communs : Ils sont tous deux d’origine argentine, et ont été publiés chez nous par Glénat qui ressort parfois de vieux Quino, mais rarement les Mordillo épuisés !

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        • Répondu le 15 février à  14:35 :

          Merveilleux Quino, le plus philosophe des dessinateurs. A égalité avec Schulz, même s’ils sont très différents.

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