Difficile, dans ces conditions, d’exercer librement le métier de journaliste. Karim, tout droit débarqué de New York, va le vérifier à ses dépens. Correspondant à l’étranger, il s’installe dans la capitale, Addis-Abeba, et rencontre Vincent, journaliste également, qui y vit depuis quelques années. En leur compagnie, nous découvrons un pays contrasté, où un immense quartier d’affaires se construit dans la capitale, par ailleurs siège de l’Union africaine, mais où des conflits ethniques demeurent (près de 80 ethnies ou groupes ethno-linguistiques peuplent le pays), et où le régime politique est autoritaire. Autour d’un macchiato, les deux journalistes échangent leurs vues sur l’ancien empire de Menelik, et le sillonnent pour le comprendre, en dépit des obstacles culturels, bureaucratiques et politiques.
Si l’Éthiopie est le seul État l’Afrique à n’avoir jamais été colonisé, Karim et Vincent sont frappés par la présence chinoise : espace public saturé de publicités en chinois, contremaîtres chinois sur des chantiers, construction du siège de l’Union africaine... L’Empire du milieu occupe une place centrale, au point de parler de « chinafrique » pour évoquer une forme de colonisation à pas feutrés. Dans une société civile divisée, les sujets de tension ne manquent pas, lorsque surviennent les premières manifestations.
L’ouvrage a le grand mérite de casser les stéréotypes sur l’Éthiopie, bien loin de l’époque de « Chanteurs sans frontières » à laquelle pourraient se référer encore de nombreux occidentaux. Il est très documenté sur l’histoire politique du pays, quelques-uns de ses traits culturels, et les grands enjeux géopolitiques qui le traversent.
Le trait du costaricien Léo Trinidad, en bichromie, est d’une grande clarté et fait la part belle à l’expressivité des visages... en l’occurrence, surtout ceux des deux journalistes. On comprend bien que le récit s’inspire de leur expérience, et que leurs déambulations lui sert de fil rouge, mais cette mise en scène permanente et autocentrée frôle l’excès, au détriment de la mise en valeur de l’objet du récit (en supposant qu’il ne s’agisse pas des auteurs eux-mêmes).
(par Damien Boone)
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