Nous nous félicitions en juin dernier de la nouvelle édition de Valentina ! réalisée par Actes Sud/l’An 2 sous la direction de Thierry Groensteen. Chose promise, chose due : six mois sont passés, et voici déjà le second tome de cette superbe redécouverte. Le choix des récits est encore plus pertinent que dans le premier tome, centré il est vrai sur la biographie de Valentina, afin que tous les novices puissent mieux connaître la célèbre héroïne, emblématique de l’œuvre de Guido Crepax.
Thierry Groensteen avait annoncé ce que contenait ce second tome intitulé Dangereuses fréquentations : « Il comprend trois histoires : « La Chute des anges » (1973), « Nostalgie » (1980) et « Andante » (1982) [1]. La première histoire avait paru en France, mais comme les albums d’autrefois sont épuisés depuis longtemps et il y a toute une génération de lecteurs qui ne connaît même pas le nom de Valentina pour qui la question de l’inédit ne se pose donc pas du tout. »
Rares sont les lecteurs disposant du tome intitulé Le Journal de Valentina (1985) et dans lequel on peut retrouver cette première histoire. Ils gagneront pourtant à la comparer avec la publication d’Actes Sud/l’An 2, car la qualité de l’impression actuelle permet de mieux saisir la force et la finesse de l’encrage de Crepax, ce qui convient d’ailleurs particulièrement bien à l’ambiance légèrement fantastique de ce premier récit. Le propos est en effet relié au premier album paru en français [2] qui contient un long récit intitulé Les Souterrains. Mais le fait de ne pas avoir lu ce récit ne vous empêche pas de saisir tout le propos du présent ouvrage.
En effet, comme les deux autres histoires en français, les différents chapitres de Fréquentations dangereuses n’abordent pas l’aventure dans le registre de l’action, mais bien dans celui de la séduction. Même si elle est marié à Philip Rembrandt, la belle Valentina rencontre ou retrouve d’autres hommes et femmes. Ces aventures extra-conjugales sont donc l’occasion de jouer de sa sensualité et surtout se poser la question de la liberté de la femme de manière générale.
C’est en lisant ces trois nouvelles qu’on se rend compte comme Crepax était un réel précurseur ! Admiré par ses pairs, mais souvent incompris du grand public, ses récits n’ont rien perdu de leur force quelques quarante ans plus tard. Au contraire, leurs propos font écho à la place de la femme dans notre société, plus indépendante, mais toujours enfermée dans un cadre par trop rigide.
Soutenu par les notes de Luisa & Antonio Crepax, on poursuit la lecture de chaque histoire en comprenant le contexte de leur création, et en revenant sur un silence ou une interrogation de Valentina. En dépit d’un format roman qui permet de balader le volume au gré de nos disponibilités, ce second volume (toujours au prix de 18 €) offre un équilibre entre une lecture plaisante par le sujet et une occasion de parfaire sa connaissance des travaux de Crepax.
Il faut souligner l’extraordinaire sensualité qui se dégage de ces trois histoires. Si Crepax a pu travailler des sujets autrement plus explicites dans Emmanuelle ou dans ses adaptations du Marquis de Sade, l’érotisme atteint ici des sommets inédits, sans jamais tomber dans la basse pornographie. Les errements de Valentina noyée dans l’alcool dans le premier récit, se poursuivent par l’ennui qui étouffe une femme mariée dans le deuxième, Nostalgie.
Les hésitations de l’héroïne la rendent parfaitement crédible, jusqu’à l’abandon, tant au jeune homme qu’elle a rencontré qu’à ses propres pulsions sexuelles. Si la question de la propriété sentimentale se décline une fois encore dans le troisième récit Andante, où la belle héroïne se retrouve coincée entre le précédent jeune homme et une séduisante jeune femme légèrement dominatrice, le summum de l’érotisme est atteint dans Nostalgie, où la fragilité de Valentina offre un saississant contraste avec les jeux sexuels auxquels elle finit par s’abandonner.
En dépit de la sensualité du propos, ce sont toujours bien les relations humaines qui sont au cœur de cet ouvrage, que l’on ne peut réduire trop précipitamment à la catégorie de l’érotisme ou du porno chic. Sans la passion de Groensteen et le travail d’Actes Sud/l’An 2, nous resterions dans l’ignorance de ces chefs-d’œuvre à l’encrage personnel et fulgurant et aux constructions de planches époustouflantes. Vivement la suite !
(par Charles-Louis Detournay)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Lire notre article introduisant cette nouvelle collection : Enfin, une nouvelle édition de Valentina !
De cette nouvelle collection de Valentina, commander :
le tome 1 Biographie d’un personnage chez Amazon ou à la FNAC
le tome 2 Fréquentations dangereuses chez Amazon ou à la FNAC
À propos de Crepax, lire :
Un recueil de récits rares et inédits !
Le Comte Dracula et Frankenstein servis par l’élégance fantastique de Guido Crepax
Une interview de Pierre Sterckx : "Guido Crepax a un trait extraordinaire, qui oscille entre la caresse et la flagellation"
La Vénus à la fourrure - Par Guido Crepax, d’après Sacher-Masoch (traduction Luca Staletti) – Delcourt
Glénat et Delcourt, les duellistes de l’érotisme chic
2009, année érotique...
"Sexties" : La révolution sexuelle de la bande dessinée, selon Cuvelier, Crepax, Forest et Peellaert
Disparition de Guido Crepax
[1] Les Anges déchus est paru en deux parties dans Charlie Mensuel numéros 115 & 116, et a été publié Le Journal de Valentina en 1985 chez Futuropolis.
[2] Valentina, par Crepax, aux éditions Eric Losfeld (1969).
Participez à la discussion