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Yannick Deubou (Festival Mboa BD) : "Travailler sur la qualité de la production est l’élément-clé pour le développement de la BD camerounaise"

Par Christian MISSIA DIO le 27 novembre 2018                      Lien  
En Afrique, le secteur de la BD est très dynamique malgré l'absence de réseaux de distribution et le manque de maisons d'édition spécialisées. Qu'à cela ne tienne, les auteurs africains s'organisent. Un exemple ? Le festival Mboa BD au Cameroun, dont la 9ème édition se tient actuellement à Douala et à Yaoundé. Rencontre avec Yannick Deubou, le délégué général du festival.
Yannick Deubou (Festival Mboa BD) : "Travailler sur la qualité de la production est l'élément-clé pour le développement de la BD camerounaise"

Qui est à l’initiative du Mboa BD ?

Yannick Deubou : Derrière le Mboa BD, il y a une association qui s’appelle le Collectif A3. Il s’agit d’une association d’auteurs de BD qui est basée à Yaoundé. Quant à moi, j’occupe le poste de délégué général du festival. Nous avons une petite équipe composée en bonne partie de bénévoles qui sont répartis à Douala et à Yaoundé, villes où se déroule le festival.

Pourquoi avez-vous créé ce festival ?

Nous avons créé l’association en 2009 car nous nous sommes rendu compte qu’il y avait de gros problèmes de formation et d’accompagnement des auteurs, ainsi que de la promotion de la BD au Cameroun. Le secteur du livre dans son ensemble est très fragile dans notre pays et lorsque des auteurs arrivent à produire un magazine de BD, ils n’ont pas vraiment d’espace de visibilité. C’est pour ces raisons que j’ai proposé aux autres de monter un festival qui nous permettrait de nous donner une visibilité auprès des médias et du public, ainsi que de nous rencontrer entre auteurs de BD mais aussi de réunir les différents corps de métier de l’édition. C’est à dire, les éditeurs, les imprimeurs, les diffuseurs, etc.

La première édition du Mboa BD a eu lieu en 2010. Une vingtaine d’auteurs y ont participé afin de soutenir le projet. Parmi eux, il y avait Pat Masioni, Christophe Cassiau-Haurie et Simon Pierre Mbumbo qui est un auteur camerounais dont la BD Malamine, un africain à Paris est sortie aux éditions Enfants Rouges est réédité localement par Ifrikiya. Le succès de cette première édition nous a encouragé à persévérer dans cette voix car les auteurs locaux se sont rendu compte que le public existe et qu’ils peuvent faire leur métier sur place. Donc si je dois résumer, le projet du Mboa BD c’est : la formation des auteurs, la promotion auprès du public, le lobbying auprès des autorités pour qu’elles comprennent que la BD et l’édition sont des secteurs vecteurs d’emplois qu’elles doivent soutenir.

Yannick Deubou Sikoue, délégué général du festival Mboa BD
Crédit photo © DR

En Afrique, le Cameroun n’est pas un pays spécialement réputé pour la BD, si on le compare à l’Algérie ou à la République Démocratique du Congo (RDC), des pays où il y a une longue tradition de la BD. La BD a-t-elle été bien accueillie dès le départ par les Camerounaises et les Camerounais ?

Dès le départ, non, parce qu’il n’y avait pas suffisamment de production locale pour faire poids auprès du public et les problèmes de diffusion n’ont pas aidé. Mais nous travaillons sur ces point depuis le début. Nous travaillons le rapport qu’ont les auteurs avec le public, nous travaillons sur la qualité de la production des auteurs qui est pour moi l’élément-clé pour le développement d’une industrie. Après, il faut garder à l’esprit que la BD au Cameroun demeure un secteur nouveau car les premières BD ne datent que des années 1970. Dans les années 1980, il y a eu pas mal de maisons d’édition qui ont émergé, encouragées par la multiplication des magazines BD. Néanmoins, notre démarche qui consiste à rassembler des auteurs de BD afin de les aider à se professionnaliser est une initiative nouvelle.

Comme vous l’avez souligné dans votre question, la visibilité du Cameroun à l’international est aussi un point sur lequel nous devons travailler, surtout lorsque l’on se compare aux auteurs congolais de la RDC. L’année dernière, nous avions invité Thembo Kash car c’est un auteur congolais qui a une bonne visibilité chez nous. La RDC a plus de visibilité car elle bénéficie de liens historiques avec la Belgique, notamment au niveau de la formation, et de parrainages de la part d’auteurs belges de BD. Nous ne bénéficions pas de ces avantages là au Cameroun. Pourtant, il y a aujourd’hui une grosse production de BD dans notre pays. Des auteurs camerounais commencent même à se faire éditer en Europe tels que Simon Pierre Mbumbo, la caricaturiste Annick Kamgang (Lucha, aux éditions La Boite à Bulles) ou encore Christophe Ngalle Edimo, auteur des [Tribulations d’Alphonse Madiba dit Daudet (éditions L’Harmattan). Localement, les éditeurs se mettent aussi à produire de la BD. Il reste encore à mettre en place un circuit de distribution professionnel mais il y a aujourd’hui suffisamment de matière pour travailler et faire grandir la BD camerounaise. Nous en sommes convaincu car le Mboa BD est aussi une occasion pour le public d’acheter des BD camerounaises et nos chiffres de vente sont très encourageants. Nous sentons qu’il y a de la demande.

Quelques BD camerounaises
Crédit photo © DR
Crédit photo © DR

Quelles sont les activités que propose le festival Mboa BD ?

Il y a tout d’abord les dédicaces. C’est vraiment un des temps forts du festival car le public vient d’abord pour rencontrer les auteurs et acheter des BD. C’est un moment de partage entre les auteurs et leurs lecteurs. Il y a des masterclass et des concerts dessinées tels que celui proposé par le dessinateur Cédric Minlo en featuring avec le rappeur Skriim. Il y a aussi le cosplay qui est devenu un rendez-vous très attendu du public. C’est d’ailleurs intéressant de voir comment le public camerounais s’approprie cette pratique qui nous vient d’Asie.

Est-ce que le public se déguise en héros de BD camerounaises ou africaines ?

Oui, bien sur. Par exemple, la lauréate du concours 2017 de cosplay s’était déguisée en Erine, un personnage du jeu vidéo Aurion - L’héritage des Kori-Odan, qui est produit et publié par l’éditeur camerounais de jeux vidéo Kiro’o Games. Pour nous, c’est vraiment une fierté de voir que le public s’approprie autant les productions locales et cela nous encourage à redoubler d’efforts. Mais il y a aussi d’autres personnages issus principalement des mangas et des jeux vidéos qui sont représentés.

La gagnante du concours Cosplay 2017
Crédit photo © DR

En dehors du festival Mboa BD, proposez-vous d’autres événements dédiés au 9ème Art ?

Oui, en effet. En partenariat avec l’Institut Français, nous organisons les 24h de la BD qui ont lieu généralement en janvier. Le reste de l’année, nous accompagnons les auteurs dans leurs projets, nous poursuivons notre travail d’évangélisation du public à la BD.

Pendant longtemps, la BD en Afrique consistait surtout à l’édition de bandes dessinées de sensibilisation. Une activité qui permettait aux auteurs africains de vivre de leur art mais qui les enfermait aussi dans une sorte de “BD de seconde zone”... L’industrie de la BD camerounaise dépend-elle encore beaucoup de la BD de sensibilisation ?

Effectivement, pendant longtemps la BD de sensibilisation a été le gros de la production de BD au Cameroun. Mais dans le cadre du Mboa BD, nous avons très vite voulu marquer une différence entre ce type de production - sans la dénigrer car beaucoup d’auteurs vivent encore de ça au Cameroun - et le genre de BD dite “professionnelle” que nous voulons promouvoir. Dans cette seconde catégorie, les auteurs organisent un réseau de distribution de leurs BD, ils font des rencontres avec le public et des dédicaces. Toutes ces choses-là ne sont pas organisées lorsqu’il s’agit de BD de sensibilisation. Les BD de sensibilisation sont distribués dans un cadre précis. Par exemple, lorsque une ONG produit une BD de sensibilisation contre le paludisme, celle-ci sera distribuée dans les hôpitaux ou dans les écoles mais on ne la retrouvera pas dans les librairies.

Quels sont les publics de la BD au Cameroun ? Essentiellement les jeunes ou retrouvent-on également des adultes parmi les lecteurs ?

Le public est majoritairement constitué de la classe moyenne. Ce sont de jeunes adultes éduqués, actifs et qui veulent consommer des BD africaines car ils ont besoin de lire des histoires qui leurs ressemblent. Il y a aussi beaucoup de parents qui achètent des BD pour leurs enfants. Enfin, il y a les nostalgiques de la BD des années 1970 et 1980 qui ont grandi avec ces BD-là.

Crédit photo © DR
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Photo de clôture de la partie Douala du Mboa BD 2018
Crédit photo © DR

Voir en ligne : Visitez le site du festival Mboa BD

(par Christian MISSIA DIO)

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Agenda :

Festival Mboa BD

Du 21 au 24 novembre au Centre culturel de l’Institut Français de Douala
61 bis, boulevard de la Liberté
Douala
Cameroun

Du 28 novembre au 1er décembre à l’Institut Français de Yaoundé
140 Avenue du Président Ahmadou Ahidjo
Yaoundé
Cameroun

Contact :
BP. 392 Etoa-Meki, Yaoundé
Tel : +237 222 20 89 43
Email : contact@mboabd.com

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