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Amaury Bündgen signe "Le Rite" : « Je ne m’interdis aucun thème, mais les univers fantastiques ont vraiment ma préférence »

Par Charles-Louis Detournay le 5 mai 2022                      Lien  
Après "Ion Mud", qui traitait d’un vaisseau spatial en déliquescence, Amaury Bündgen change radicalement de registre pour son second album, avec un récit qui se rapproche un peu de la Dark Fantasy, tout en ayant des connotations contemporaines. Un album très graphique, qui surprend et séduit, tout au long de sa lecture.

Après votre Ion Mud plus SF, vouliez-vous changer de thématique pour entretenir votre passion du dessin ?

Amaury Bündgen signe "Le Rite" : « Je ne m'interdis aucun thème, mais les univers fantastiques ont vraiment ma préférence »C’était plutôt une envie d’aborder mon second thème de prédilection : la Fantasy. J’ai plusieurs histoires en préparation, et toutes se déroulent dans des univers fantastiques. Disons qu’à ce moment de ma carrière, c’est celui-ci que je souhaitais réaliser. Ma passion du dessin est toujours intacte, et mon envie de raconter des histoires l’est tout autant. Et heureusement ! Je ne suis auteur que depuis quelques années ! Je ne m’interdis aucun rivage, aucun thème, mais les univers fantastiques ont vraiment ma préférence. Comme auteur ET comme lecteur.

Alors qu’Ion Mud commençait avec huit pages muettes, Le Rite en bénéficie d’une quinzaine d’entrée de jeu. Une manière d’immerger votre lecteur dans votre univers avant de rajouter progressivement les éléments de l’intrigue ?

Oui, ça m’a paru naturel dans les deux albums. C’est effectivement une façon simple et efficace de faire entrer le lecteur dans l’histoire, en introduisant à la fois le personnage principal et le décor qui héberge l’intrigue. Mais il ne faudrait pas que ça devienne une habitude. Je réalise, en écrivant ça, que c’est de cette façon que j’envisageais de commencer un autre album de fantasy qui est en préparation dans un coin de ma tête... il va peut-être falloir que j’y réfléchisse à deux fois !

Deux pages non-consécutives extraites de l’introduction muette

Votre album Le Rite se déroule juste après l’invasion d’un petit pays pacifique porté par la spiritualité, attaqué par une grande nation belligérante. Est-ce que le statut du Tibet vous a influencé pour ce point de départ ?

Oui, bien sûr. C’était une cause encore très en vogue il y a 15 ans, mais aujourd’hui, on dirait que ça ne touche plus personne. D’autres causes "humanitaires" occupent désormais l’espace médiatique. C’est dommage. On dirait que la puissance économique chinoise pèse trop lourd dans la balance, maintenant. Ça en dit long sur notre époque et ses indignations à géométrie variable. En tout cas, bien qu’on puisse transposer Le Rite à divers conflits dans le monde, à travers les âges, un des éléments du scénario m’a en effet été "soufflé" par l’occupation du Tibet : c’est l’eau, dont j’avais lu quelque part que la Chine en sécurisait ainsi d’énormes réserves en provenance du Tibet.

Un peu comme les races d’extraterrestres dans votre précédent Ion Mud, vous semblez prendre un grand plaisir à décrire et mettre en lumière les us et coutumes des diverses peuplades de votre univers. Est-ce pour lui donner de la cohérence ou suivez-vous surtout vos envies personnelles en ce domaine ?

Un peu les deux, je suppose. Je trouve ça toujours très amusant d’étoffer un univers, et ça ne me demande pas un très gros effort. D’autant que j’ai un carnet rempli d’idées de noms de lieux, de personnages, de peuplades, ou de créatures. Quand une idée me vient, je la note, et si je sèche au cours du processus d’écriture, je vais alors piocher dedans. Tout le monde devrait avoir son petit carnet.

L’un de vos personnages principaux est un Scorne, étrange centaure empreint de religion et de mysticisme. Vouliez-vous montrer que des personnes aux croyances très différentes peuvent parfois s’allier par la force des choses ?

Pas vraiment... Finalement, ce personnage n’est l’allié de personne, mais plutôt un mercenaire louant ses services au gré de ses envies. On sent qu’il est assez proche du code moral des kévarks, mais c’est aussi un guerrier qui admire la société martiale Haïmar et ses accomplissements. Cette dualité le rend intéressant. Il est un peu l’arbitre dans cette confrontation verbale entre les deux camps, et, à plusieurs reprises, il permet de faire avancer l’intrigue. Et puis j’adore dessiner des créatures. Je crois que c’est la raison principale de sa présence dans l’album !

Votre récit est une fois de plus en noir et blanc. Vous estimez que la couleur pourrait ôter une partie de la force de votre graphisme ?

Je ne me trouve pas très bon avec la couleur, pour l’instant. Peut-être que j’y viendrai un jour, mais ces deux projets étaient de toute façon en noir et blanc dans ma tête. Je pense que la couleur n’aurait rien apporté. Et puis je dois bien admettre que j’ai un faible pour le noir et blanc. Il paraît que ça se vend moins que la couleur. Je ne sais pas. Je veux dire... c’est ce que semblent indiquer les chiffres, en tout cas. Mais si on considère les centaines de millions d’exemplaires de mangas qui se vendent dans le monde, dont une très grande partie en noir et blanc... Je ne vois pas pourquoi ce serait différent avec du franco-belge... Mais bon, disons que j’ai eu la chance de pouvoir faire ces deux albums dans de bonnes conditions. J’espère que les ventes seront bonnes, et que ça aidera pour les prochains, que je compte bien faire en noir et blanc aussi !

Comme c’est votre première interview pour ActuaBD, je pense qu’il faut tout de même vous présenter. Vous étiez concept designer dans le jeu vidéo, et à quarante ans, vous avez décidé de tout lâcher pour vous consacrer à la bande dessinée. Qu’est-ce qui vous a motivé ?

Ce n’est pas tout à fait exact : j’étais technicien de laboratoire. J’ai exercé ce métier pendant 17 ans, puis je suis parti à l’arrivée de la quarantaine, estimant avoir déjà perdu trop de temps, et voulant vivre de ce qui avait été une passion tout ce temps : le dessin. J’ai alors essayé de devenir concept artist pour le jeu vidéo, ce qui me paraissait (bêtement) plus accessible qu’auteur de BD, mais les places sont rares, et il y a des tonnes de gens talentueux sur le marché. Et puis, je ne devais pas m’y prendre comme il faut. Après plusieurs années infructueuses, et quelques retours sporadiques dans la biologie, j’ai décidé de franchir le pas et essayer la BD, dont je suis un gros consommateur depuis toujours : je me suis rendu à un job dating avec 30 planches d’Ion Mud, sans stress, en me disant qu’au moins, j’aurais essayé. Et bam ! Ça a tapé dans l’œil de Casterman. La vie, des fois, c’est surprenant !

Quelles sont vos références ? Si Ion Mud rappelle certains mangas comme Blame, Le Rite s’en éloigne pour se rapprocher du franco-belge, en mode Métal Hurlant ou A Suivre…

Ah oui, bien vu ! Une grosse influence pour Le Rite est La vengeance d’Arn, de Dionnet &Le Gal, chez les Humanos. Il y a aussi Le grand pouvoir du Chninkel, avec le personnage du Hardelin qui évoque un peu la trajectoire de Bom-Bom (surtout la fin). Dans tous les cas, je suis de cette génération qui a grandi avec l’esprit Métal Hurlant... Je reste un fan inconditionnel de cette époque et des géants qui l’ont animée : Moebius, Druillet, Corben,... On ne s’est toujours pas remis de la claque que cette époque nous a mise, avec une liberté de ton qui permettait tous les excès, tous les délires... J’espère que ça infuse un peu dans mes albums...

Votre premier récit était numérique, mais vous avez choisi de réaliser celui-ci en traditionnel. Était-ce pour vous confronter à la planche, une technique plus risquée que la palette ?

Oui, complètement. Une sorte de défi personnel, et un mini hommage à tous ces auteurs "tradi" dont les planches ne cesseront de m’émerveiller, les Toppi, De la Fuente, etc. C ’est toujours délicat de donner des noms, parce qu’on sait qu’on va en oublier. Mais oui, j’avais besoin de me confronter à la planche, de me prouver que je pouvais faire de la BD "à l’ancienne". Ce qui n’enlève rien au numérique, hein ! Ça reste un outil fabuleux, et qui ne dessine pas à votre place... Mais les erreurs se corrigent bien plus facilement.

Quels ont été les défis que vous avez dû relever pour ce passage au traditionnel ?

Et bien le plus dur, ça a été les 100 premières planches ! Plus sérieusement, sur les toutes premières, j’étais tendu au point que ma plume tremblait... Petit à petit, au fil de l’album, je me suis relaxé, et sur la fin, mon trait était bien plus affirmé. D’ailleurs à mi-album, je suis passé au pinceau, gardant la plume pour des hachures, ou de tout petits détails. Le trait au pinceau est largement aussi fin, et plus souple. On dirait que je redécouvre la roue, mais étant autodidacte, je crois que c’est dans l’ordre des choses. En tout cas, ce défi m’a fait progresser sur plein de niveaux. Même mon dessin numérique s’est amélioré.

On sent d’ailleurs une gradation dans votre album, avec plus de maîtrise graphique au fur et à mesure des planches. Les avez-vous réalisées dans l’ordre chronologique ?

Oui, absolument. Et il y a quand même eu une retouche numérique sur l’ensemble, pour harmoniser le tout. Sans cela, je crois que la différence entre le début et la fin de l’album aurait été encore plus visible.

Votre prochain récit devrait mélanger tradi et numérique. Pourquoi ce choix ?

Parce que c’est ce qui nous paraît le plus approprié. Il y aura des architectures folles, et pour ça, le numérique reste -à mes yeux-, incomparable. Mais je compte aussi utiliser des lavis d’encre : encore une technique que je découvre. C’est vraiment intéressant, on peut obtenir des textures très organiques. Pour l’instant, n’ayant pas de style défini, je peux m’amuser et essayer toutes sortes de techniques. Je ne vais donc pas me priver !

Quelle sera la thématique de ce futur projet ?

C’est du post-apocalyptique. Le scénario est tiré d’une nouvelle d’Emmanuel Delporte, et je travaille dessus avec Lloyd Chéry, qui se charge de l’adaptation de l’histoire.

De manière générale, quelles sont vos ambitions lorsque vous réalisez une bande dessinée : proposer de l’évasion et de la réflexion auprès du lecteur ?

Tout à fait ! Etrangement, SF et Fantasy, qui sont des genres très particuliers, et ont longtemps été regardés "de haut", se prêtent merveilleusement à l’un comme à l’autre. Au final, j’espère tout simplement procurer une petite heure de bonheur à mes lecteurs. Pour cela, je m’efforce de rester le plus honnête, le plus authentique possible. Ne faire aucun compromis, ne pas suivre des pistes qui ne m’intéressent pas simplement parce qu’elles sont dans l’air du temps... Je crois (j’espère !) que cela se ressent sur le résultat final.

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782203231375

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