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Angoulême 2008 : Benoit Mouchart (Directeur artistique) : « Nous posons un acte ! »

Par Nicolas Fréret le 22 janvier 2008                      Lien  
Depuis qu’il a pris en charge la direction artistique du Festival d’Angoulême en 2003, Benoît Mouchart, qui n’était pas encore né lorsque l’aventure a commencé, s’est appliqué à dépoussiérer la bête en conceptualisant la bande dessinée, au point de la faire fusionner avec d’autres arts opportunément complémentaires, en la faisant sortir de Charente aussi en organisant des évènements délocalisés et en étendant l’internationalité de la programmation. L’année de la BD argentine, sous la présidence de José Munoz, sera peut-être d’ailleurs occultée par l’institutionnalisation d’un bloc Asie avec le lancement du Building Manga. Interview…

Il paraît que vous vous demandez sans arrêt ce qu’est un festival de bande dessinée, vous avez trouvé la réponse ?

Benoît Mouchart : Le jour où j’arrêterai de me poser cette question, je crois que je rendrai mon tablier. C’est primordial de se remettre sans cesse en question, de chercher de nouvelles voies. Il me semble néanmoins qu’en explorant des manières différentes de montrer la richesse de la bande dessinée, à travers des expositions, des spectacles et toujours plus de rencontres avec les auteurs, nous nous approchons d’une nouvelle définition d’Angoulême. Nous avons encore beaucoup de choses à inventer, en particulier pour la résonance des actions du Festival en dehors des quatre jours, et par-delà les remparts de la cité charentaise. C’est ce qui me passionne le plus aujourd’hui dans la mission qui est la mienne.

Angoulême 2008 : Benoit Mouchart (Directeur artistique) : « Nous posons un acte ! »
Thierry Bellefroid (RTBF), Benoit Mouchart et le scénariste Benoit Peeters
Photo : Laurent Melikian

À quel moment le directeur artistique du FIBD que vous êtes a-t-il commencé à lire des mangas ? C’était quoi le premier ?

Je crois que j’ai d’abord absorbé beaucoup de culture manga grâce à la télévision. Mon cousin Christian Mouchart était coproducteur de “Récré A2”, sous la houlette de Jacqueline Joubert... J’ai donc fait connaissance avec les mondes d’Albator, Cobra ou Goldorak sans même connaître les noms de Leiji Matsumoto, Buichi Terasawa ou Go Nagaï. Par la suite, j’ai lu “Akira” dès sa sortie, en kiosque d’abord. Puis, en animant chaque semaine entre 1993 et 1999 une émission de radio consacrée à la bande dessinée avec Jean-Paul Jennequin et Martin Baudry, j’ai pu suivre l’émergence du mouvement en étant intrigué par “Gon” de Tanaka et “L’homme qui marche” de Taniguchi, puis par les rééditions de Tezuka chez Tonkam. Au tout début des traductions de manga en France, il y avait un parfum de clandestinité qui a disparu aujourd’hui. Nous étions par exemple consternés par la censure de “Sheen Angel”, qui nous rappelait de façon inattendue l’actualité de la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse !

Est-ce que cela a un sens de parler de "manga français", lorsqu’il s’agit d’évoquer le travail d’une Vanyda par exemple ? Ou n’est-ce qu’un argument marketing ?

Cela me semble aussi pertinent que de parler de rock français, oui ! Mais je crois que, plus encore que le graphisme, ce qui caractérise le manga, c’est la formidable énergie que ce genre dégage à travers des récits amples qui n’hésitent pas à aborder des sujets de société contemporains, sur un mode frontal ou métaphorique. Je ne retrouve pas toujours ces qualités dans ce que l’on appelle les “mangas français”.

Le rapport annuel du secrétaire général de l’ACBD (l’association des journalistes et critiques de bande dessinée) sur la production de la BD montre bien la prééminence des mangas... en tant qu’organisateur, tenez-vous compte des mouvements éditoriaux pour agir ?

Évidemment ! Je tiens cependant à rappeler qu’Angoulême n’a pas attendu la mode pour se pencher sur la créativité japonaise : en 1982, Jack Lang accueillait Osamu Tezuka au Festival et, en 1991, la programmation présentait notamment une grande exposition consacrée aux mangas. Et, en 2003, n’avions-nous pas accueilli lors des “Rencontres internationales” Jiro Taniguchi et Katsuhiro Otomo ?

Les éditeurs, spécialisés d’abord puis généralistes, se sont fondus dans la brèche en intégrant sur le marché les traductions de toutes les séries à succès parues depuis des années au Japon. Conséquence de cette profusion : chercher les perles, c’est comme chercher une aiguille dans une botte de foin... Le festival doit-il avoir, a-t-il, un rôle de défricheur ?
Il a toujours eu ce rôle d’éclaireur. En récompensant Taniguchi à plusieurs reprises, en invitant Tatsumi, en exposant Shiriagari ou en consacrant des auteurs comme Urasawa et Mizuki, le Festival d’Angoulême a bien montré, je crois, que le manga n’était pas aussi stéréotypé qu’on le prétend parfois encore.

Kotobuki Shiriagari à Angoulême
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

L’espace Franquin devient un building manga pendant le Festival... c’est un message sur l’avenir du FIBD ? Un signe sur l’avenir de la bande dessinée franco-belge ?

Je ne suis pas un grand lecteur de boule de cristal. Mais je ne suis pas inquiet pour la bande dessinée franco-belge quand je constate la créativité de nos meilleurs auteurs ! Le succès de Zep ou de Midam est bien la preuve que l’ère du “tout manga” n’est pas encore venue.

Qu’est-ce qui a motivé la création de ce building ? Les critiques des amateurs qui ne se retrouvaient pas dans l’espace manga, qui a fait son apparition en 2005 ?

Nous avons voulu institutionnaliser la présence des mangas, ce qu’Angoulême doit apporter aux mangas, c’est un supplément de légitimité culturelle. En installant cet espace dans un bâtiment architectural et non sous une structure éphémère, nous posons un acte : oui, la bande dessinée japonaise est bien l’une des plus riches, des plus créatives et des plus passionnantes de la planète et nous entendons bien le démontrer à Angoulême.

Jirô Taniguchi à Angoulême, ça a de la gueule... mais il sera présent en vidéoconférence depuis Tokyo... Il ne voulait pas se déplacer ? Est-ce vraiment dans l’esprit d’un festival international que de sacrifier, même pour un monstre sacré de la BD, le rapport de proximité ?

Il est très difficile de convaincre un éditeur japonais de libérer un auteur quelques jours : la cadence de production est si élevée, que beaucoup ne peuvent se permettre de quitter leur table à dessin ! Par ailleurs, c’est une façon pour nous d’employer de nouvelles technologies et de créer des instants de dialogue avec des auteurs qui ne souhaitent pas se déplacer. Aujourd’hui, j’ai trouvé la solution pour qu’Alan Moore, l’ermite de Northampton, participe aux Rencontres internationales !

Benoit Mouchart et le dessinateur François Schuiten
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Que faut-il savoir de « Clamp » à qui le festival consacre une grande exposition ? Est-ce qu’il y a des équivalents dans le monde de la bande dessinée occidentale ?

Je ne connais pas d’équivalent occidental de Clamp, je suis frappé par la manière formidable avec laquelle ces auteures parviennent à alterner des projets quasi expérimentaux sur le plan formel avec des séries de divertissement pur ! C’est assez rare d’être aussi convaincantes qu’elles dans les deux domaines.

Toujours dans cet esprit d’universalité, le manga semble plus large d’esprit, au point de segmenter et de consacrée une BD féminine…
La bande dessinée japonaise est une industrie, tandis que la bande dessinée européenne est un artisanat, c’est toute la différence ! Le chiffre d’affaires d’un grand éditeur français est souvent comparable à celui d’un hypermarché de ville moyenne. Quand on sait que l’éditeur japonais Shueisha pèse des dizaines de fois plus lourd que le groupe Hachette, ça situe un peu les choses...

De quoi êtes-vous le plus fier dans la programmation du festival 2008, dans sa version asiatique s’entend ?

Je tire mon chapeau à Julien Bastide et Nathalie Bougon qui ont réussi à concrétiser notre projet d’exposition Clamp. Négocier avec les Japonais est une chose complexe pour un Occidental, car, comme dit Brigitte Fontaine, "Le jour de l’Occident est la nuit de l’Orient". Le terrain d’entente qu’ils ont trouvé avec le Studio Clamp est une fierté pour nous.

Et pour lancer le débat… Quel regard portez-vous sur JapanExpo ? Est-ce qu’il n’y a pas danger pour le festival d’Angoulême, un danger de ringardisation (JapanExpo étant résolument orienté, sans jeu de mots, sur les nouvelles technologies et semble anticiper les futures stratégies éditoriales quand le FIBD s’apparente à un village gaulois qui évoque davantage -et ça peut-être flatteur- l’artisanat ?

Parce que nous restons attachés au livre de bande dessinée ? N’oubliez pas que c’est notre vocation première, même si cela ne nous interdit pas de nous ouvrir à d’autres supports (comme nous le ferons d’ailleurs dans l’exposition “Villes du futur”). J’ai beaucoup de respect pour les organisateurs de JapanExpo, avec qui nous échangeons depuis longtemps. Thomas Sirdey me disait récemment que nous ne faisions pas le même métier : lui se définit d’emblée comme un vendeur d’espace promotionnel, et il qualifie mon travail de “producteur de contenus”. C’est assez vrai : le Festival d’Angoulême n’est pas seulement un salon du livre où les éditeurs achètent un stand, c’est aussi un évènement qui produit un certain nombre de choses inédites et non marchandes. C’est d’ailleurs pourquoi nous n’excluons pas de travailler un jour avec JapanExpo ! Qui sait si l’exposition Clamp ne pourrait pas être présentée dans le cadre de cette manifestation ? Je crois par ailleurs que le développement que Franck Bondoux a initié, en créant une société à vocation culturelle non lucrative et en démarchant de nouveaux partenaires comme la Fnac et la SNCF devrait porter ses fruits dans les années qui viennent, on vivra davantage le Festival hors les murs, et notamment sur Internet, dans très peu de temps. Je ne crois pas que ce soit là des signes de ringardisation, bien au contraire.

Propos recueillis par Nicolas Fréret.

(par Nicolas Fréret)

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