On connaît notre position sur les Grands Prix depuis plusieurs années : ils sont le produit d’un vote « de la profession ». Pour pouvoir accéder au vote, il faut avoir qualité d’auteur. Le site du Festival s’adresse directement à ceux-ci : « Rapprochez-vous de votre maison d’édition qui transmettra directement votre demande au Festival. »
Il y a environ 350 maisons d’édition de BD en France qui vont de la multinationale au fanzineux de province, et plus de 1500 auteurs. Quelle est la proportion des uns et des autres ? Mystère. Le FIBD nous dit avoir reçu 970 votes. Le résultat s’est joué à très peu de voix de différence. Il y avait des femmes dans la sélection, mais pas à l’arrivée.
Avec cette question : la voix d’un auteur sur le web qui a commencé il y a trois semaines et qui a deux lecteurs et demi (le demi, c’est la grand-mère qui a acheté l’album mais qui ne lit pas les bandes dessinées) est-elle la même que celle d’une Florence Cestac, d’un Boucq ou d’un René Pétillon qui sont les consciences de la profession ? Un éditeur régionaliste qui publie des bandes dessinées sur les grands personnages de son pays (travail respectable) pèse-t-il autant qu’un éditeur qui, depuis des années, construit un catalogue exigeant qui fait avancer le 9ème art ?
Quel est le taux d’abstention des « vrais professionnels », c’est à dire des auteurs réputés, depuis longtemps dans le métier, par rapport à une cohorte de jeunes gens, fraîchement (dé)formés dans leurs écoles de bande dessinée, qui traînent un bon nombre de vieux dogmatismes impulsés par leurs professeurs et qui n’ont du métier qu’une vision fantasmatique ?
Nous préférions de loin une « académie » qui représentait la profession avec certes des auteurs qui se cooptaient un peu eux-mêmes mais, qui, la liste des « académiciens » en témoigne, représentaient dignement l’histoire de la bande dessinée française mais aussi internationale. Le FIBD a décidé de leur enlever ce rôle. C’est son droit, mais nous avons toujours pensé que c’était une faute.
Certes, le choix du premier tour de l’élection du Grand Prix qui s’est déroulé du 9 au 15 janvier 2017 a sorti trois auteurs incontestables du chapeau. En réalité, Alan Moore figurait dans le trio de tête. Mais, contacté par le FIBD, il a répété ce qu’il disait sur ActuaBD précédemment : bien que flatté, il refuse de participer à ce genre de rituel qui intéresse bien plus un petit monde qui lui échappe qu’il nourrit son propre travail : « J’ai décidé de ne plus accepter de prix, il ne faut pas m’en vouloir. Je préfère que ce soit donné à des gens moins conventionnels. Je ne me rends plus dans des festivals, je n’accepte plus aucune récompense. Je conçois et j’apprécie les sentiments de tous ces gens qui me choisissent, mais je ne veux assumer que ce que j’ai décidé moi-même d’entreprendre, pas ce que les autres veulent de moi. » C’est sans appel.
Les organisateurs du FIBD l’ont donc retiré de la liste, le quatrième se retrouvant dans le trio de tête.
Le classique, le punk et le styliste
Qui sont-ils ?
Il y a Cosey d’abord. Cela fait cinq ans, pour notre part, que nous soutenons l’ « hypothèse Cosey » que nous désignions comme : « Un artiste complet qui a su tracer sa voie singulière entre les autoroutes de la bande dessinée commerciale et les pics escarpés de la BD indépendante, un auteur dans tous les sens du terme, héritier du classicisme franco-belge, mais aussi un précurseur du roman graphique à la Emmanuel Guibert, flirtant avec l’autofiction, s’inscrivant dans un discours « cérébral » que ne dénierait pas un Fred, un Mandryka ou un Moebius. »
Ensuite vient, par ordre alphabétique, le « punk des pâturages » Manu Larcenet qui a marqué les esprits avec son Rapport de Brodeck et à propos duquel Frédéric Hojlo a pu écrire sur ActuaBD : « Manu Larcenet poursuit et achève de la plus belle des manières son adaptation du roman de Philippe Claudel. Il clôt ainsi un diptyque où sa description de l’âme humaine est aussi sombre que son graphisme est brillant. »
Enfin, Chris Ware, un dessinateur américain multi-célébré, notamment à Angoulême, chef de file de la Ligne claire US, à propos duquel nous écrivions : « Avec Chris Ware, nous sommes au-delà d’une simple bande dessinée, de la définition de la bande dessinée elle-même. Prodigieux, son dernier ouvrage relève autant de l’expérience de lecture que de l’initiation narrative et graphique. »
On voit bien les différentes typologies qui se dégagent : un créateur « classique » grand public à la fois auteur de séries (Jonathan, au Lombard) et de romans graphiques élégants et sensibles (Voyage en Italie ou encore Saïgon-Hanoï, Alph-Art du meilleur scénario au Festival en 1993) dont on couronnerait la carrière exemplaire ; un auteur plus récent qui a déjà une belle carrière derrière lui et une personnalité forte ; un styliste enfin qui accompagne l’avant-garde de la bande dessinée depuis les années 1980.
Le deuxième tour se déroulera du 18 au 22 janvier 2017 minuit dans les mêmes conditions que le premier tour, c’est-à-dire, nous dit le FIBD : « …Tout.e auteur/autrice de bande dessinée professionnel.le, quelle que soit sa nationalité, dont les œuvres sont traduites en français et diffusées dans l’espace francophone et ayant participé au premier tour est admis.e à voter pour l’élection du nouveau Grand Prix de la ville d’Angoulême. » Le vote s’effectue sous forme électronique via le site du FIBD à une adresse spécifique Le nom du nouveau Grand Prix sera annoncé le mercredi 25 janvier 2017 à 18 heures à la médiathèque de l’Alpha lors de la cérémonie d’ouverture de la 44ème édition du Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême la semaine prochaine.
Et vous, pour qui votez-vous ?
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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