Carmen Bond et Démonika : initiation et dévotion

Connaissez-vous le travail d’Alfonso Font ? Après avoir dessiné une dizaine d’années dans les publications espagnoles, il arrive à Paris en 1975, où son style réaliste et dynamique va le faire participer à toutes les revues mythiques : une intense production dans Pif avec Patrick Cothias et Roger Lécureux, puis dans Circus, Virus, Hop !, Super As, Pilote, Vécu et d’autres.

Malheureusement, la majeure partie de son travail reste inédite en français, soit parce que ses productions espagnoles n’ont pas encore été traduites. Ou parce que les centaines de pages réalisées dans les magazines français n’ont pas été publiées en album. Depuis peu, on peut heureusement compter sur quelques éditeurs patrimoniaux, comme les Éditions du Taupinambour qui ont publié en 2004 quatre albums des Robinsons de la Terre et en 2015 trois recueils des Sandberg (Père et Fils).

Tabou s’inscrit dans cette louable initiative en publiant ce mois-ci les aventures de Carmen Bond. Ne pensez pas que cette rousse incendiaire ait un quelconque lien de parenté avec James Bond ! Carmen est une fille charmante, mais au destin des plus communs. D’ailleurs, sa vie l’ennuie et même la visite d’un mage hindou la fait bailler profondément. Aussi ce dernier lui jette-t-il un sort : elle va passer d’une époque à l’autre, pour se sortir des situations les plus inextricables, de quoi lui redonner goût à la vie.

Ce prétexte permet à Alfonso Font de nous livrer dix petites histoires de quatre pages aussi humoristiques que polissonnes. Même si on se trouve dans la rubrique adulte d’ActuaBD, Carmen Bond est plus sensuelle que sexuelle. Quelques opulentes poitrines s’offriront à vos yeux, mais la vérité est ailleurs comme disait Mulder. L’auteur détourne quelques fantasmes pour composer de magnifiques saynètes. Ses héroïnes ont du caractère et du répondant, de quoi doper l’intrigue et surtout l’humour omniprésent. De plus, la possibilité de passer d’un cadre à l’autre engendre des tons décalés et très spécifiques : du polar des années 1930 à l’antiquité romaine, de la guerre froide à Tarzan, on ne s’ennuie pas un instant.

La totalité de ces dix récits de quatre pages avait déjà été édité en 1987 chez Magic Strip. En choisissant de remettre Alfonso Font au goût du jour, Tabou a revu les traductions et retravaillé la totalité des dialogues. L’album dispose également d’une nouvelle couverture et d’une remise en couleurs des planches, de quoi redonner une nouvelle jeunesse à cette héroïne que l’on a redécouvert avec beaucoup de plaisir.

Quant à ceux dont le sang aurait été échauffé avec Carmen Bond, ils seront heureux de continuer leur lecture avec Démonika, un récit de quatorze pages inédit en français, et que l’éditeur a ajouté à cette nouvelle édition. Le pitch est simple : Démonika est une démone lubrique qui étanche sa soif de désir avec les damnés des enfers. Ce qui ne plaît pas beaucoup à Lucifer, car ses résidents ne sont pas censé prendre du plaisir en ces lieux. Du coup, il envoie Démonika sur Terre afin de corrompre quelques âmes. Mais comme la belle démone n’y est pas retournée depuis belle lurette, et qu’elle est en plus bien décidée à n’en faire qu’à sa tête, rien ne se passe comme prévu !

Vous l’aurez compris, nous avons fondu face aux récits érotico-humoristiques d’Alfonso Font. Sans oublier son magnifique graphisme, certes un peu rétro, mais qui s’apparente parfaitement avec ses héroïnes qui n’ont pas froid aux yeux. De plus, l’adjonction du récit de Déminika compense l’absence de réelle conclusion de Carmen Bond. De quoi passer un excellent moment, tout en retrouvant un auteur important des années 1970 et 1980 des revues françaises.