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Comme un oiseau dans un bocal : Portrait de surdoués – Par Lou Lubie - Delcourt

Par Damien Boone le 5 septembre 2023                      Lien  
Ils représentent 2,2% de la population : on les appelle « surdoués » ou « HPI » pour Haut Potentiel Intellectuel. Derrière des termes pour partie impropres, et au-delà de certains effets de mode pour des parents qui croient voir en leurs enfants des petits génies, se cache une réalité complexe et hétérogène qui accompagne certains adultes tout au long de leur vie. Pour le meilleur et pour le pire.

Si la précocité est traditionnellement – et à juste titre - associée aux enfants, que deviennent donc les « anciens précoces », une fois devenus adultes ? C’est à cette question que s’attaque Lou Lubie. Démarche périlleuse tant les représentations de sens commun liées à la « surdouance » sont nombreuses, et parfois contradictoires : tantôt « intelligents » et extrêmement créatifs, tantôt peu sociables et dépressifs, ou encore sensibles, empathiques ou désorganisés. Mais s’il existe tant d’idées sur les « HPI », c’est qu’elles ne sont pas sans fondements : certaines correspondent en effet aux adjectifs proposés ci-dessus, d’autres y correspondent mais à des phases différentes... comme, en fait, la très grande majorité de l’humanité ! Alors, qu’est-ce qui fait donc la spécificité de ces drôles de « zèbres », comme on les surnomme aussi ?

Comme un oiseau dans un bocal : Portrait de surdoués – Par Lou Lubie - Delcourt

C’est à travers deux personnages que l’autrice aborde ce qui traverse ces personnes dont le QI est supérieur à 130 : d’un côté, Birdo, plutôt solitaire, chef cuisiner qui fourmille d’idées et s’épanouit dans son travail ; de l’autre, Raya travaille péniblement dans un cinéma et semble saboter inconsciemment sa vie professionnelle. Le premier se sait surdoué depuis tout petit, et paraît avoir réussi à domestiquer sa différence ; la seconde ne l’a appris qu’à l’âge adulte et se trouve encore en plein questionnement et en quête de réponses. Lors d’une soirée, Birdo et Raya se rencontrent : l’échange est fluide, leurs façons de raisonner et de s’exprimer les rapprochent. Nul besoin de se le dire explicitement : ils savent ce qui les lie.

Birdo et Raya confrontent alors leurs expériences. Leurs échanges sont un prétexte pour balayer, avec force références scientifiques, statistiques, et illustrations concrètes, cette singularité dont les manifestations en font autant un atout qu’un handicap, à rebours de l’idée selon laquelle le Haut Potentiel Intellectuel serait un trophée que l’on brandirait avec orgueil et condescendance. Il est plutôt un état inné avec lequel composer, et dont les manifestations sont aléatoires. Non, les surdoués ne sont pas (tous) des petits génies ! Ils sont même plus enclins à se retrouver en difficulté socialement ou en détresse émotionnelle. Comme pour toute entreprise ambitieuse, Lou Lubie s’attache donc d’abord à déconstruire certains préjugés liés à l’idée qu’en somme, il y aurait des individus plus malins que les autres... Pour cela, on peut faire confiance à une autrice qui s’est déjà attachée à revisiter certains mythes, comme les contes de fée dans un précédent ouvrage remarqué.

Le récit est nuancé, précisant bien qu’il existe autant de « surdoués » que de manières de vivre sa surdouance, et distinguant bien ce qui relève de la personnalité de ce qui relève du HPI. Il explique de façon didactique comment, à travers le temps, s’est construite la mesure de l’« intelligence » (non, ce n’est pas avec le premier test trouvé en ligne qu’on y parviendra), avec ses travers et ses insuffisances, jusqu’à parvenir à une définition à peu près consensuelle qui renvoie davantage à certaines dispositions plus ou moins activées (d’où le recours au terme de potentiel) avec, tout de même, quelques traits saillants et partagés tels qu’une hyperactivité cérébrale (avec, pour pendant, une difficulté à organiser ou hiérarchiser ses idées) ou encore une sensibilité sensorielle parfois exacerbée (qui a pour effet négatif de ressentir ou d’absorber les émotions des autres). Les manifestations qui peuvent en découler (cyclothymie, idées originales...) sont posées avec pédagogie et humour.

Lou Lubie a travaillé en bichromie bleu et jaune pour ce livre. Elle a fait le choix original de représenter Birdo et Raya de manière thérianthropique : l’un a une tête d’oiseau, l’autre a, en guise de tête, un poisson dans un bocal. Cela a pour effet de limiter l’éventail de leurs expressions faciales et ainsi, probablement, d’éviter d’associer à une disposition d’esprit une expression particulière, manière de préserver délicatement la sensibilité propre et la façon de la vivre de celles et ceux qui se retrouveraient dans cet album très réussi.

(par Damien Boone)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782413077497

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