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Hubert ou la fragilité des apparences

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 13 février 2020                      Lien  
La faucheuse fait des dégâts ces jours-ci. Après la disparition de Claire Bretécher, l’autrice de BD la plus célèbre de son temps, c’est au tour du coloriste et scénariste Hubert d’être frappé à l’âge de 49 ans. Un auteur à la production déjà considérable, Prix Jacques-Lob du scénario à Blois, qui disparaît alors même qu’il accédait de plus en plus à la notoriété.

Comment s’attendre à cela ? Comment un auteur dans la fleur de l’âge multipliant les projets peut-il ainsi s’effacer sans même que l’on ait eu le temps de lui dire au revoir ? Quand on parle d’Hubert -les réseaux sociaux sont plein d’hommages depuis ces dernières heures- ce sont souvent les mots de gentillesse, d’empathie, de curiosité et d’intelligence qui reviennent.

Il cumulait les qualités rares de scénariste et de coloriste. Ayant fait les Beaux-arts d’Angers avec le dessinateur Yoann, c’est ce dernier qui l’invite à « entrer en couleurs ». C’est pourquoi on le retrouve à enluminer le Spirou de Yoann et Vehlmann, avant de mettre son talent au service du grand classique réaliste Paul Gillon, du très hype dessinateur norvégien Jason ou du fondateur de L’Association David B dont le graphisme et l‘usage des noirs est si proche de Tardi ou de Mike Mignola avec qui il aurait aimé travailler comme avec bien d’autres.

Hubert ou la fragilité des apparences

Il n’a jamais lâché cette activité, même lorsque sa carrière de scénariste pouvait lui laisser entrevoir cette perspective. Il avait fait le choix de publier peu, mais bien, la couleur lui laissant l’opportunité de peaufiner ses récits. « Je travaille à l’amitié » disait-il pour expliquer la diversité de ses collaborations graphiques. « J’aime ma double casquette, déclarait-il à ActuaBD au micro de Nicolas Anspach. Elle me laisse une liberté dans mon travail d’écriture. Je ne suis pas obligé d’être rentable en alignant les scénarios. Si mes projets ne sont pas aboutis, je peux m’offrir le luxe de ne sortir qu’un album par an ! Et comme je limite mon travail de coloriste à une dizaine d’albums chaque année, je peux consacrer du temps à l’écriture. Cela me permet de rester dans la pure envie. J’invente des histoires, non pas par métier, mais parce que j’adore cela ! … Et cela me rassure ! »

Un scénariste d’exception

Cet admirateur de Fred, mais aussi de William Faulkner et de Joseph Conrad transposait dans ses récits ses goûts esthétiques marqués par l’onirisme.

Sa première série, dessinée par Zanzim, dont les deux premiers tomes étaient parus chez Carabas en 2002 (il espérait la continuer, le troisième tome étant écrit) était déjà dans cette veine. Dans Le Legs de l’Alchimiste, dessiné par Tanquerelle (Glénat), il fait appel à la figure du Golem. Le héros de l’album, un tire-laine assez pleutre, provoque la folie de la créature d’argile en tentant de l’ouvrir pour y dérober la pierre philosophale. Il imagine un Golem qui ne dirige sa fureur que vers ceux qui lui adressent la parole, action dont on devine toute la portée symbolique : celle que l’on ne peut abattre le monstre que par le silence.

La monstruosité, la laideur : intérieure, fantasmée, sociale… face à l’innocence et à la beauté est une des thématiques majeures de son travail. Dans Miss Pas Touche, la « Rouletabille des bordels », dont le dessin est assuré par le duo Kerascoët (Marie Pommepuy et Sébastien Cosset), il joue de cette dualité monstruosité/beauté sur le mode social tandis que dans La Chair de l’araignée (dessin et couleurs : Marie Caillou, Glénat), il traite de la haine de soi et de la question de l’anorexie. Dans Beauté (3 vol. chez Dupuis, à nouveau dessiné par les Kerascoët), il revient encore sur ce tragique jeu des apparences dans le contexte du merveilleux et du pouvoir, tandis que Ma Vie posthume (avec Zanzim à nouveau, chez Glénat) l’interroge dans celui de l’au-delà.

Dans le cycle des Ogres-Dieux, magnifiquement dessiné par Bertrand Gatignol (Dupuis), il reprend le registre du conte gothique pour faire écho à cette violence venue du fond des âges dans la relation sociale. Elle se retrouve dans son dernier travail, Peau d’Homme (dessin Zanzim, à paraître en avril chez Glénat) où la sexualité est à nouveau interrogée à travers le prisme du rapport de domination.

La Ligne droite procède du même développement, mais a des accents bien plus personnels : il y évoque sa jeunesse en province dans une famille à l’esprit étriqué qui écrase un adolescent qui découvre son homosexualité. Le dessin tout en douceur de Marie Caillou contraste avec la noirceur de sa situation mentale.

Ce thème sera repris et développé dans La Nuit mange le jour (Glénat), une histoire crue où le dessin tout en noirceur de l’illustrateur Paul Burckel, confère au récit une violence sans échappatoire tandis que dans Monsieur Désire ? (Dessin : Virginie Augustin), tout en sophistication, il décrit un noble oisif et manipulateur qui déploie une cruauté digne d’Oscar Wilde pour mieux dissimuler sa fragilité.

En 2013, publié au moment du vote de la loi controversée du « Mariage pour tous », il dirige un collectif, Les Gens normaux, préfacé par Robert Badinter, recueil de dix témoignages LGBT transposés en bande dessinée et de cinq textes de références interrogeant la normalité et les schémas sociaux et sexuels dominants.

On lui doit aussi une escapade dans le domaine de l’uchronie avec WW2 : Chien jaune, dessinée par Étienne Le Roux (Dargaud), un récit alternatif se déroulant en Chine pendant la Seconde Guerre mondiale, et dans la SF, toujours avec Étienne Le Roux, avec l’adaptation du Temple du Passé, un roman de Stefan Wul (2 vol. chez Ankama).

C’est dans la tristesse que nous pensons à ses proches et à toute cette famille d’auteurs qu’il laisse, comme à nous ses lecteurs, orphelins de son talent.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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4 Messages :
  • Hubert ou la fragilité des apparences
    13 février 2020 19:47, par Couetsch Bousset Lob

    Quelle sinistre nouvelle.
    Un auteur si talentueux et si impliqué en tant que membre du jury du prix Jacques Lob au festival de Blois.
    Mes meilleures pensées à ses proches.
    Couetsch

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    • Répondu par Yslaire le 14 février 2020 à  18:12 :

      J’ai été bouleversé par ’la nuit mange le jour", aimé ’Monsieur Désire’ et les ogres-dieux. je n’ai eu que l’occasion de le croiser lors d’un prix Diagonale que nous lui décernions à Louvain-la neuve. j’espérais le revoir et avoir l’occasion d’échanger avec lui … hélas. C’était un grand scénariste qui avait un véritable sens esthétique. Condoléances à ses proches.

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    • Répondu par BHLG le 14 février 2020 à  18:46 :

      Un bien bel hommage pour une très triste nouvelle ! Nous perdons ici un garçon adorable, bourré de talents ! Salut l’artiste ! au revoir camarade !

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  • Hubert ou la fragilité des apparences
    14 février 2020 21:18, par Hervé G.

    Très ému par cette triste disparition d’un auteur à l’intelligence pétillante... Hommage !

    Répondre à ce message

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