Il était né le 17 août 1932 à Pessac en Gironde. Discrètement, dans une famille de petites gens, fils naturel adopté par un certain monsieur Sempé, représentant de commerce qui fait ses tournées à vélo (on le reverra, le vélo…) sans oublier de passer par les bistrots, ce qui ne fait pas un ménage heureux.
Pas de ressentiment chez le petit Jean-Jacques. Son œil bleu, perçant comme une vrille, discret, observe tout cela avec acuité. Et quand il fréquentera les grands de ce monde, à Saint-Germain des Prés, le succès venant, il se souviendra toujours d’où il vient, avec une ironie jamais méchante.
C’est en 1950, après avoir fait des petits boulots, un peu comme son père, qu’il commence à publier dans Sud-Ouest Dimanche. Il est dans la tradition de ces grands dessinateurs que l’on appelait à l’époque « d’humour » avant que l’on utilise le terme « cartoonist » : Chaval, Bordelais comme lui, dont il retient le trait absurde, Dubout et ses multitudes, l’élégance du trait et le "swing" des dessinateurs du New Yorker.
Le Petit Nicolas
Monté à Paris à la faveur de son service militaire, il aboutit en 1953 à la World Press de Georges Troisfontaines, grand fournisseur de contenu éditorial et de bandes dessinées aux éditions Dupuis, l’éditeur du Journal de Spirou et du Moustique. Il est repéré par René Goscinny qui adore le dessin d’humour et avec qui il se lie d’amitié.
Les deux solitaires qui découvrent Paris à peu près en même temps construiront une amitié indéfectible : « C’était mon premier ami parisien, autant dire mon premier ami » dira Sempé, plus tard.
C’est pour Moustique qu’il fait ses premières couvertures et qu’il crée une bande dessinée, sur scénario de Goscinny (qui signe Agostini) entre 1955 et 1956, intitulée Le Petit Nicolas.
Goscinny viré par Troisfontaines pour syndicalisme aggravé, Dupuis tente de lui coller un autre scénariste sur Le Petit Nicolas. [1] Sempé reste solidaire de Goscinny et d’ailleurs, ça l’arrange, pour lui cette BD est un vrai pensum, il préfère l’illustration et le dessin d’humour. Plus tard, il le dira carrément : « Je n’aime pas la BD. »
Le Petit Nicolas deviendra une suite de petites nouvelles écrites par René Goscinny, souvent inspirées par les souvenirs du petit cancre bordelais, publiées dans Sud-Ouest Dimanche d’abord, dans Pilote ensuite lorsque Goscinny, viré de la World, crée ce journal avec Jean-Michel Charlier et Albert Uderzo. Le succès est immédiat et mondial. Le trait de Sempé est aussitôt demandé dans les plus grands journaux : Paris Match, L’Express, Le Figaro, Le Nouvel Observateur, Télérama, The New Yorker dont il fait régulièrement les Unes. Ses premiers livres d’humour paraissent chez Denoël, l’éditeur du Petit Nicolas, auquel il restera fidèle : Rien n’est simple (1962), puis Tout se complique (1963). Suivront des dizaines d’autres, au rythme quasi annuel. Une œuvre colossale.
Humour et distanciation
René Goscinny a parfaitement caractérisé le dessin de Sempé : « J’ai été de tout temps un très bon observateur. Mais à fréquenter Sempé, c’était comme si j’avais aiguisé mes yeux et mes oreilles. Il m’a appris ceci par exemple : la conversation que l’on tient à une table de restaurant et qui vous paraît normale devient une source inépuisable de drôlerie dès lors que vous vous écartez. » [2]
De fait, avec ses illustrations à la longue focale, il regarde le monde du point de vue de Sirius, loin de la rumeur, loin du bruit. Aujourd’hui, il s’en est éloigné plus encore. On espère que de là où il est, une fois encore, il sourit.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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