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L’Âge d’eau T. 1 – par Benjamin Flao – Ed. Futuropolis

Par Thomas FIGUERES le 17 février 2022                      Lien  
Sortie d’un incasable. "L’Âge d’eau" de Benjamin Flao n’est pas un récit post-apocalyptique classique. Ici point de zombies, de guerres nucléaires ou de courses de motos effrénées au travers de grandes étendues sablonneuses façon "Mad Max". Non, rien de tout ça. Ici, l’apocalypse est en train d’avoir lieu. Les eaux montent inexorablement et bouleversent l’organisation sociale humaine. Une plongée en eaux troubles emprunte de poésie et mysticisme.

L’apocalypse est donc climatique. Les océans montants, de nombreuses zones de vie ne sont plus habitables. Pour pallier ces expropriations forcées, une partie de l’humanité décide de se réorganiser en dehors des villes, autour de nouvelles entités politiques flottantes. Le rapport nature/culture en est nécessairement modifié et c’est là l’un des thèmes que vous vous plairez à découvrir à la lecture de ce nouvel âge prophétique que nous dépeint l’auteur de Kililana song.

Enfin, avant d’en révéler sur l’histoire ici contée, il nous faut vous préciser qu’elle n’est ancrée ni dans le temps, ni dans l’espace, à l’image de l’humanité qu’elle met en scène, à la dérive. En orchestrant cette absence de repères spatio-temporels, Benjamin Flao joue sur la perméabilité entre anticipation fictionnelle et réalité et dessine le futur d’une humanité sourde aux appels répétés des scientifiques, associations et autres lanceurs d’alerte. Le constat est amer, enrayer la machine se révèle impossible : il va maintenant falloir composer avec.

L'Âge d'eau T. 1 – par Benjamin Flao – Ed. Futuropolis
© éditions Futuropolis

Pour vous faire découvrir ce monde en pleine réorganisation, embarquez aux côtés de Hans Vogel, un ancien activiste antiétatique, saboteur émérite impertinent, Gorza, son frère handicapé et incroyable apnéiste et leur chien bleu. Sur leur radeau, ils plongent et pêchent dans des eaux marécageuses et nauséabondes puis voguent d’une zone d’habitation à l’autre, allant de la maison isolée à la néo-ZAD aquatique.

Cette expédition est prétexte à la découverte des nouvelles mœurs en vigueur, méthodes de culture, systèmes d’échanges et de trocs ou encore moyens de circulation. Mais plus important encore, c’est le rapport de force entre ces nouvelles entités politiques et la ville située non loin - où l’ordre ancien tente de se maintenir quoiqu’il en coûte - qui va devenir le véritable moteur du récit et dynamiques observées.

© éditions Futuropolis

Les gouvernants savent pertinemment que le mode de vie qu’ils maintiennent n’est pas résilient et préparent l’après. Des tensions ont cours autour de la question du droit de propriété avec d’un côté, les entités politiques flottantes nouvellement formées, de l’autre, la ville. Ce point de vue citadin est d’ailleurs abordé grâce au personnage de la fille de Hans, Vinée. La jeune femme a fait le choix de rejoindre sa mère à la ville pour y étudier à l’université où elle subit les discriminations de ces camarades du fait de ses origines, comprendre en dehors de la ville.

Ainsi, Benjamin Flao met en place un récit d’anticipation d’action/aventure de 157 pages sans toutefois déroger à ce qui le démarque du reste de la scène BD, sa gestion du rythme et la versatilité de son trait. Les transits entre les différents lieux d’action sont l’occasion de contempler une nature en pleine mutation et participent au récit, là où beaucoup auraient opté pour l’ellipse. Pause dans l’action, ces pleines pages sont l’occasion d’envolées lyriques et poétiques à interpréter à l’aune du récit. Graphiquement, le dessin est lâché, moins précis que les crayonnés des personnages, et les couleurs plus déliées. Tout participe à l’élaboration de la narration.

© éditions Futuropolis

Si Hans Vogel est le personnage principal de ce premier tome de L’Âge d’eau il n’en est cependant pas le narrateur ! Originalité du nouveau récit apocalyptique de Benjamin Flao, l’histoire vous est contée par le chien bleu qui accompagne notre héros (qui n’en est d’ailleurs pas un) et son frère sur leur barque. L’auteur y retranscrit sa perception des situations vécues en portant une attention particulière aux sens, l’ouïe et l’odorat notamment. L’étrange compagnon canidé est de plus porteur d’une certaine mystique qui devrait prendre tout son sens dans le second tome à venir.

Si le futur que Benjamin Flao dépeint est loin d’être enviable, la finesse et la beauté qu’il y emploie doivent s’interpréter comme une invitation à la découverte ainsi qu’une réflexion sur notre présent : crise écologique, désobéissance et marginalité. Une lecture envoûtante autant qu’alarmante, l’une des grandes réussites de ce début d’année 2022 !

(par Thomas FIGUERES)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782754831178

L’Âge d’eau T. 1 - par Benjamin Flao - éditions Futuropolis - 160 pages - 220 x 297 mm - Sortie le 12/01/2022 - 22 euros.

Benjamin Flao sur ActuaBD :
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2 Messages :
  • L’Âge d’eau T. 1 – par Benjamin Flao – Ed. Futuropolis
    24 février 2022 08:46, par Lorenzaccio

    Benjamin Flao est un dessinateur génial et qui sort totalement des sentiers battus. Kililana Song était déjà une vraie poésie graphique. Je m’attends au meilleur avec cette nouvelle histoire mais je voulais signaler un autre ouvrage de Benjamin Flao qu’ActuaBD n’a pas commenté et qui s’appelle Essence (co-scénarisé par Fred Bernard). Un type se retrouve au volant d’une voiture avec une jeune femme qu’il ne connaît pas assise à ses côtés. Et c’est parti pour un "road-movie" (road-cartoon ?) incroyable, totalement déjanté et envoûtant, plein de tendresse et de poésie. A ne pas manquer.

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    • Répondu par Milles Sabords le 26 février 2022 à  13:06 :

      En effet, Essence est un album très abouti. Les ambiances couleurs, saisissantes, viennent se heurter à des contrastes de blanc très marqués pour donner un résultat solaire. Le tout, agréablement soutenu par un trait désinvolte et efficace. L’influence Moebiusienne n’est pas loin. Très bonne lecture.

      Répondre à ce message

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