L’Ecluse - Par Pelaez et Aris – Editions Grand Angle / Bamboo

Malgré son caractère bucolique et méridional, le petit village de Douelle est le théâtre d’une succession de noyades suspectes. Trois jeunes femmes sont retrouvées sans vie en moins d’un an, à proximité de l’écluse, ça fait beaucoup ! C’est même beaucoup trop pour la petite écluse dont s’occupe Octave. Quasimodo des temps modernes, le garçon est boîteux, bossu, solitaire et muet. Associé à cela sa position de bouc émissaire d’une bande d’ados violents et méprisants.

Comme tout bon petit village de France, la population est très réceptive aux rumeurs et aux préjugés. Pour eux, le jeune éclusier difforme, marginal et un peu attardé apparaît comme le suspect idéal. Deux policiers venus de Cahors sont chargés de mener l’enquête et ramener à la raison une population hostile et bien décidée à faire justice elle-même.

On s’en doute, avec ce drame ne remonte de la rivière pas seulement les cadavres des victimes mais aussi et surtout, de vieilles rancœurs pas éloignées que ça des différents meurtres.

Le graphisme de Gilles Aris se révèle parfaitement adapté à ce récit tendu et ténébreux.

Philippe Pelaez confirme son installation au sein de l’équipe de scénaristes du label Grand Angle avec ce nouvel album. Chronique provinciale et thriller rural, le récit s’appuie sur une large galerie de portraits. On note que certains personnages obéissent à des profils convenus, à la limite du cliché : Octave, marginal et reclus est le suspect numéro 1. Secrètement amoureux de la belle Fanette, (lointaine cousine de l’Esméralda d’Hugo ?) le jeune homme difforme se retrouve la risée d’une partie de la population et plus particulièrement de la bande du sinistre Alban.

Mais au delà de personnages trop marqués, le scénariste parvient à dérouler son intrigue jusqu’au dénouement. Les villageois, les policiers et les adolescents de cette petite commune regroupés près de la rivière et de son écluse passent tous par différentes émotions. On percevra par la suite le poids de l’histoire et de la mémoire sur la vie du village.

Gilles Aris, à qui l’on doit déjà La Ballade de Dusty (avec Aurélien Ducoudray chez le même éditeur) restitue avec justesse les ambiances de chaleur et les paysages lumineux de ce cadre bucolique frappé par le drame qui rôde. L’action se déroule une quinzaine d’années après la Seconde Guerre mondiale, une période qui a fortement marqué le village. Les deux auteurs arrivent à inscrire ce polar rural dans dans une atmosphère décalée et volontairement vieillotte. Ce qui en fait une chronique des cruautés ordinaires qui mérite le détour.