Qu’est-ce que la série Lucky Luke ? Une parodie de western. Jadis, ce genre littéraire et cinématographique était un objet d’aventures voire de dérision mais à condition que l’on n’y vit pas de femmes, pas de noirs, pas de juifs et autres sujets qui risquaient de « démoraliser la jeunesse. »
En revanche, on avait le droit de se moquer des Chinois et des Mexicains, des dandys angliches, des cuistots français et des « Red necks » texans. Puis le temps fit son œuvre. Les femmes cessèrent d’être d’affreuses viragos au langage de charretier (poke à Calamity Jane…) et les saloons devinrent un peu plus que des bars où l’on joue aux cartes et où l’on fume (ah, mais on n’y fume plus aujourd’hui…) Une ère nouvelle venait d’arriver.
« Le cinéma américain et même les gens qui ont écrit l’histoire du Far-West ont fait des mythes avec des personnages qui n’étaient que des truands et des assassins, racontait René Goscinny, ou dans le cas de Billy The Kid, un malade, un fou. Moi j’ai fait de Billy The Kid un voyou, ce qu’il était d’ailleurs. Quant à Jesse James, le cinéma l’a traité de Robin des Bois qui volait les riches pour donner aux pauvres. En réalité, il était un criminel effroyable. On sait qu’il a volé beaucoup de riches, mais aucune indication ne montre qu’il ait jamais donné un rond à un pauvre… »
Le procédé récurrent dans l’œuvre de Goscinny est de s’attaquer au cliché, qu’il représente des Ibères, des Corses, des Belges ou des Helvètes. Dans le western, les clichés ne manquèrent pas et l’histoire sert souvent de prétexte aux histoires : Le Grand Duc, Sarah Bernhard, Freud, Pinkerton… ces figures de l’Ouest américain ont été passés à la moulinette du sarcasme de cette série dont le succès n’a pas faibli depuis sa création en 1947.
Depuis que Jul a pris les manettes du scénario avec la complicité d’Achdé, on constate une volonté de ne pas éviter les sujets qui fâchent : La Terre promise évoquait l’immigration juive, et Un Cow-boy dans le coton celui du racisme à l’encontre des Afro-Américains aux Etats-Unis. Le sujet avait déjà été abordé, mais en termes généraux, par Goscinny : Le 20ème de cavalerie à l’égard des peuples autochtones ou la question de la supposée pureté de la race dans Les Rivaux de Painful-Gulch.
Avec L’Arche de Rantanplan, c’est la cause animale qui est le thème central. Et notre bon cow-boy -dont le métier rappelons-le est de mener les bêtes à l’abattoir- va être amené à défendre un particulier inspiré par Henri Bergh, fondateur en 1866 de l’USPCA (Société américain de prévention contre la cruauté envers les animaux). Jul ne pouvait pas passer à côté.
Le procédé est épais comme de la corde à western et on n’évite pas de mettre Rantanplan et Jolly Jumper -d’une émouvante façon- dans la boucle de cette histoire qui se déroule dans une ville rebaptisée comme il se doit « Veggie Town »…
Il y a bien sûr une morale au bout du voyage : tout extrémisme mène à la dérive autoritaire et liberticide. Reste que Jul et le dessinateur Achdé sortent ici de la destruction des clichés pour se concentrer sur le propos politique. La manœuvre est habile mais il n’est pas sûr qu’elle vieillisse aussi bien que celle de ses créateurs d’origine.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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