Nous sommes en août 1976, dans le Finistère. Il fait chaud, caniculaire même. La famille Tripp est en roulottes avec cheval sur les routes de campagne. Ils sont au complet : la mère, Jean-Louis et ses frères Dominique (14 ans) et Gilles qui va avoir 12 ans en novembre.
Les deux roulottes doivent passer à un certain moment par une départementale en direction de Saint-Herbot. Là, les voitures dépassent en permanence les roulottes. À un moment, dans l’insouciance de son âge, Gilles fait le con sur le marchepied du véhicule et là c’est le drame : un chauffard l’emporte dans un éclair vert.
Il y a ce moment, et tout l’après : l’hôpital, l’enquête de police, l’identification du chauffard, le procès… Du lourd, de quoi marquer au fer rouge les 18 ans du dessinateur. La fin de l’insouciance.
À 60 ans, Jean-Louis Tripp revient sur ce deuil qui l’a construit. Avec son trait charbonneux, il fait un sublime travail de mémoire, un retour sur soi, une enquête intime sur un événement que l’on a mis des années à dissimuler au fond de la mémoire et autour duquel, forcément, s’organisent les sentiments, sinon les névroses. Avec la conscience de la fragilité des choses, la conscience d’être un survivant.
C’est en cela que Le Petit Frère est une œuvre incontournable. Si, comme le théorisait Jacques Brel, l’époque est à l’intelligence, mais dépourvue de cœur, un tel album vient nous dire qu’il y a encore, dans ce registre, un brin d’espoir.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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