Les Horizons Amers - Par Laurent-Frédéric Bollée et Laura Guglielmo - Éd. Robinson

Incroyable histoire que celle de Matthew Flinders né le 16 mars 1774 à Donington, un des plus remarquables navigateurs de son époque. Pendant plus de vingt ans, il mène une carrière d’explorateur et surtout de cartographe. Il est notamment connu pour avoir fait le tour de l’Australie, et choisi ce nom pour désigner ce continent alors inconnu.

Cette nouvelle mission s’avérera plus compliquée qu’il ne le supposait. Il doit d’abord faire face à un sévère concurrent, le Français Nicolas Baudin ; puis sera prisonnier des autorités françaises sur l’île de France (aujourd’hui Maurice). Dans le contexte du conflit franco-anglais, celui qui voyait le monde comme une carte à dessiner va se retrouver au cœur de rivalités géopolitiques qui le dépassent, victime de l’obstination des autorités et du général Decaen, gouverneur de la place. Soupçonné d’espionnage, l’explorateur restera ainsi retenu près de 7 ans avant de pouvoir rejoindre Londres et sa famille. Epuisé, il finira par s’éteindre en 1841 non sans avoir terminé la rédaction de A voyage to Terra Australis, ouvrage majeur sur la découverte de l’Australie et fruit d’un travail considérable.

Le destin pour le moins singulier de ce scientifique est effectivement digne d’un roman, on comprend pourquoi il a poussé les auteurs à se lancer dans ce récit aussi dense que captivant, aux limites de l’invraisemblable et de l’absurde. Les conditions dans lesquelles ce héros modeste, profondément humain se retrouve plongé au centre des enjeux

en 2013, L-F Bollée s’était déjà penché sur l’histoire de l’Australie.

stratégiques qui se jouent (déjà !) dans cette région du monde sont décrites avec précision et érudition. Le caractère tragique et presque kafkaïen de cette détention à l’autre bout du monde pointe l’absurdité de l’acharnement du général gouverneur. « La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre », cette célèbre maxime d’Yves Lacoste [1] démontre dans la captivité de l’explorateur le caractère surréaliste et dramatique. Au delà de cet épisode clef, Laurent Frédéric Bollée retrace aussi en détails le parcours du jeune scientifique, sa méthodologie, ses espoirs, sa gestion de l’équipage (il a le grade de capitaine), mais aussi les mœurs et les coutumes de cette période.

Tout cela contribue à donner une touche humaine et crédible à cette incroyable épopée.

La fluidité et la finesse du trait de Laura Guglielmo renvoient à des images fortes et lumineuses en s’appuyant sur une gamme de couleurs douces et sensibles. L’ambiance générale du récit rappelle l’iconographie et les modes de représentation de l’époque aussi bien dans le choix des teintes que dans le traitement graphique des personnages.

La bombe, paru en 2020 a connu un beau succès public et critique.

Tout aussi documenté que ses précédents albums, ce bel ouvrage, précis et rigoureux, réussit à faire le lien entre un récit historique parfaitement maîtrisé et l’odyssée romanesque et émouvante d’un homme victime des enjeux géopolitiques de son époque. Une démarche déjà repérée dans la Bombe (publiée chez Glénat avec Alcante et Rodier) et que les auteurs semblent dominer avec brio.