Jeune lecteur, jeune lectrice qui feuilletez cet album en vous disant que c’est exigeant, voire "un peu vieillot", dites-vous que oui, ce l’est, comme Shakespeare, Molière, Boileau, Pierre Larousse ou Jules Verne le sont dans leur registre et leur époque respectifs.
Il y a d’abord la minutie de son travail, le souci de l’exactitude historique, de la cohérence du récit, du détail inédit. D’aucuns diraient "la maniaquerie..." Il répond : "la passion". La construction de chaque histoire, de chaque page, de chaque case est une incroyable aventure dont on n’a pas idée de l’élaboration.
Son propos en outre est d’une incroyable modernité. Il met en avant des héroïnes, indépendantes, rebelles, intelligentes, séduisantes sans être "sexys", antiesclavagistes et féministes à une époque où cela n’existait même pas, toutes pétries d’idéal.
Alors que la gauche française est en train de chercher aujourd’hui sa boussole, égarée l’on ne sait où, et que la droite nous rejoue la bonne vieille pièce de l’homme providentiel inspirée des bons vieux modèles bonapartistes, légitimistes ou orléanistes de l’ancien régime, Bourgeon évoque ces têtes bien faites animées par un idéal de liberté, d’égalité et de fraternité, cabossées quand elles n’ont pas été écrasées par un ordre bourgeois qui est en train mettre en place sa « révolution industrielle ».
Derrière la grande histoire, il y a un récit très personnel où une mère raconte son parcours à une jeune interlocutrice comme on confie un secret : dans le Paris insurgé de la Commune, puis au bagne aux côtés de figures historiques comme Louise Michel, Elisée Reclus, Henri Rochefort ou Henri Rivière… pour finir devant le Mur des Fédérés au Père-Lachaise. S’esquissent dans les conversations les grandes théories politiques qui structureront le XXe siècle : l’anarchisme, le communisme, ou encore les modèles autoritaires qui inspireront les fascismes…
Avec comme décors : Paris, la Nouvelle-Calédonie (on n’élude pas la question canaque), la Bretagne… Il s’en dégage une nostalgie pour des lieux et des paysages dont on constate que la mémoire s’efface peu à peu pour s’enfermer dans le donjon des livres d’histoire. Ces idéaux qui avaient enflammé plusieurs générations d’une jeunesse rebelle, sont retombés fourbus, reprenant le souffle jusqu’à la reprise de la lutte. Car le chemin vers la véritable humanité est long et périlleux, parsemé d’embûches, un éternel combat.
Faites un sort heureux à cette fin de partie pour Les Passagers du vent de François Bourgeon, une série digne et exemplaire. Noël est là pour cela. Relisez la saga, en attendant la publication de l’entretien vidéo que nous avons eu avec l’auteur voici quelques semaines et qui ne devrait plus tarder à être monté.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Les Passagers du vent T. 9 : Le Sang des cerises – Livre 2 : rue des martyrs – Par François Bourgeon – Delcourt
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