François Bourgeon, personnalité BD de l’année 2023

Il a eu 78 ans cette année, et il ne les fait pas, il faut bien le dire. Le Breton François Bourgeon est encore bien vigoureux et passionné par son art comme nous avons pu le constater en lui rendant visite cette année (voir vidéo ci-dessous).

Son père journaliste l’aurait bien vu médecin, mais sa dyslexie, même bien soignée par l’orthophoniste Claude Chassigny, a eu raison de cette ambition. C’est dans l’art que s’accomplit le jeune François Bourgeon comme facteur de vitraux puisqu’il décroche un diplôme de maître-verrier. Mais ce sont d’autres images que le destin l’amènera à illustrer : celle de la presse jeunesse grâce à un recrutement miraculeux dans le journal Lisette, une revue de BD pour fillettes concurrente à la Semaine de Suzette. La voie de Bourgeon est toute tracée dans la presse bien-pensante où il publie Brunelle et Colin, sur un scénario de Robert Génin, pour Djinn, une revue de Fleurus Presse, une série bientôt reprise par Circus.

Mai 1968 passe par là avec l’avènement d’une bande dessinée destinée à un lectorat adulte. Henri Filippini, éditeur chez Glénat, s’emploie à convertir les meilleurs talents de cette presse confessionnelle en déclin (Bourgeon mais aussi André Juillard, Didier Convard, etc.) vers une bande dessinée pour adultes que le jeune éditeur grenoblois Jacques Glénat a le génie d’introduire dans la grande distribution avec l’Histoire comme oriflamme.

Bourgeon en sera le fer de lance créant avec Les Passagers du vent, apparue dans le premier numéro de Circus, ce qui lui permet de rafler le Prix du meilleur album à Angoulême en 1980, alors même que paraît le premier tome. Rareté pour l’époque qui sort à peine des réprimandes de la Commission de censure de la Loi de 1949 pour la protection de la jeunesse, la série met en avant une héroïne au caractère aussi trempé que ses chemisiers sont moulants… La série dépasse à ses débuts le million d’exemplaires vendu par titre.

C’est surtout la rigueur narrative et historique qui impressionne les lecteurs de l’époque. Le dessin de Bourgeon, qui ne doit rien à personne car il ne singe aucun de ses prédécesseurs, se déploie dans une passionnante saga maritime qui court du XVIIIe au XIXe siècle, comporte neuf titres publiés entre 1979 et 2022 (Ed. Delcourt).

Un travail rigoureux

Elle est élaborée, on peut le dire, avec une certaine maniaquerie, tant les personnages, les costumes, les gréements des navires et la langue même sont minutieusement documentés. Il est certain que les œuvres de Bourgeon constitueront un corpus de référence pour les historiens futurs de la traite négrière, de la place des femmes et de l’évolution des idées sociales dans les mœurs de la France du XVIIIe et du XIXe siècle. Nous recommandons tout particulièrement les hors-séries « Autour des Passagers du vent » de François Bourgeon et Michel Thiébaut qui documentent ce travail.

Toutes les oeuvres de François Bourgeon font l’objet de recherches minutieuses et souvent de maquettes.

Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Ce n’est pas la seule série remarquable de l’auteur breton : son passage dans la revue (A Suivre), autre grande revue novatrice des années 1980, avec Les Compagnons du crépuscule (trois tomes entre 1984 et 1990, aujourd’hui chez Delcourt), une saga médiévale se déroulant au XIVe siècle pendant la Guerre des Cent ans, constitue un autre joyau historique incontournable.

Enfin, son travail de science-fiction, Le Cycle de Cyann (Six volumes avec Claude Lacroix), un univers exigeant et inventif, est une réflexion profonde et subtile sur le rapport de l’humanité à la science, à l’univers et au temps. Un travail méconnu en raison de sa singularité dans l’œuvre de l’auteur et de l’exigence de sa lecture.

Déjà récipiendaire de distinctions à Angoulême (Prix du meilleur dessinateur, Prix du public), en Italie (Prix Yellow Kid), en Norvège (Prix Sproing), en Suède (Prix Urhunden), à Blois dont il a été Grand Boum et même à Quimper (Prix de la BD bretonne au festival Penn ar BD), c’est un très grand créateur, un auteur unique, qui est distingué par l’équipe d’ActuaBD cette année.

La grande exposition rétrospective « Bourgeon et la traversée des mondes » jusqu’au 5 mai 2024 au Musée de la Cité de la BD d’Angoulême.