« Il me semble que dans la rue les gens
Luttent terriblement avec le temps,
Et à chaque instant, de victoire en victoire,
Pour l’avenir s’élève une armée… »
Ces vers prophétiques sont de Missak Manouchian qui n’a pas été seulement l’un des 23 résistants de « l’Affiche rouge » assassinés sur le Mont Valérien par l’occupant nazi, mais qui était aussi un grand poète et traducteur en français des plus grands écrivains arméniens.
Cette qualité de poète, autant que celle de communiste et d’immigré, est au cœur de la mémoire qui le mène au Panthéon.
Si Louis Aragon, Paul Eluard et plus tard Léo Ferré ont pu lui rendre hommage, c’est par cette complicité d’artistes des mots. La dernière lettre que Manouchian écrit à sa femme, Mélinée, procède du chef d’oeuvre : « Je meurs à deux doigts de la victoire et du but. Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je suis sûr que le peuple français et tous les combattants de la Liberté sauront honorer notre mémoire dignement. Au moment de mourir, je proclame que je n’ai aucune haine contre le peuple allemand… »
Les mots sont forts, touchants, comme sa recommandation à son épouse de se remarier et de faire des enfants. Manouchian sait que la mémoire ne se transmet que par des personnes vivantes.
Le Parti Communiste, parti des immigrés dans la France de l’entre-deux guerres exsangue en raison de la « Der des ders », a son chantre, Aragon, qui scande :
« Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent
Vingt et trois qui donnaient leur cœur avant le temps
Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant
Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir
Vingt et trois qui criaient la France en s’abattant… »
Un autre artiste des mots, Didier Daeninckx, avait écrit voici quinze ans un roman pour éviter d’avoir à parler à la place du poète arménien : Missak (2010, version poche en 2018). Il est le premier à accéder à des archives familiales inédites, ouvrant le champ à des témoins et des historiens qui, de Mélinée Manouchian (Manouchian, Parenthèse, 2023) au petit libelle d’Annette Wieviorka (Anatomie de l’Affiche rouge, Le Seuil, 2024) éclairent et contextualisent un événement qui concerne 23 hommes et une femme, Olga Bancic, guillotinée en Allemagne, tous égaux face à la mémoire de ces événements.
Il y a aussi la dimension politique actuelle, alors que l’immigration est un enjeu d’élection, que cet étranger mort pour la France, laquelle lui avait refusé à deux reprises la naturalisation (c’est cette fois à Denis Peschanski que l’on doit la découverte).
Il y a enfin cette traduction en bande dessinée faite par le romancier Didier Daeninckx et parallèlement par Jean-David Morvan. Daeninckx -on le voit- sait de quoi il parle. Ce n’est pas non plus sa première bande dessinée. Depuis 1999, avec Carton Jaune ! pour Assaf Hanouka et Soldat Varlot pour Tardi, il a un état de service impressionnant.
Nous avons interrogé le romancier et l’historien qui traduisent aujourd’hui Manouchian dans le registre du 9e art. Pourquoi ? et comment ? On a un élément de réponse : Manouchian s’y prête, il a même une sacrée gueule, que les nazis avaient même instrumentalisée pour essayer de faire peur aux gens. Ils en ont fait une icône capable, c’était son souhait, de lever une armée au nom de la Liberté.
Didier Daninckx et Denis Peschanski au micro d’ActuaBD
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
(par Hippolyte ARZILLIER)
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Missak, Mélinée et le groupe Manouchian – Par Jean-David Morvan et Thomas Tcherkezian – Dupuis.
LIRE AUSSI (IL N’Y A PAS QUE LA BD DANS LA VIE) :
Avec le Groupe Manouchian - Des immigrés dans la résistance - Par Didier Daeninckx – Ed. Oskar.
Missak – Par Didier Daeninckx – Ed. Folio, 2023..
Anatomie de l’Affiche rouge - Par Annette Wieviorka - Le Seuil, 2024.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)