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Nicolas Finet : "Essayer de faire un nouveau Woodstock a-t-il un sens ?"

Par Vincent SAVI Thomas FIGUERES le 17 août 2019                      Lien  
Il y a 50 ans, le plus célèbre festival de musique de tous les temps battait son plein. Imité, reproduit, mais jamais égalé, le festival de Woodstock fait partie de ces moments historiques qui n'ont pu exister que par une concordance d'évènements en faisant une expérience unique. Aujourd'hui, l'éditeur Robinson vous propose un redécouvrir Woodstock de l'intérieur avec l'album "Forever Woodstock". Nous avons rencontré son auteur, Nicolas Finet.
Nicolas Finet : "Essayer de faire un nouveau Woodstock a-t-il un sens ?"
© Robinson / Dessin : Christopher

Woodstock c’est quoi ?

Je pense que c’est un grand moment d’espoir et de ferveur partagée. Afin de prolonger cela, je citerai l’article de Greil Marcus qui disait il y a peu de temps « Woodstock, c’est un accident magnifique ».

Je trouve que c’est assez bien vu et que cela résume assez bien l’esprit de la chose. C’est-à-dire que tous les éléments pour que cela tourne à la catastrophe étaient réunis : les organisateurs étaient des amateurs, les intempéries, l’approvisionnement en eau et nourriture, les flics débordés… et là, une sorte de miracle se passe et fait que pendant trois jours tout se passe très bien et fait de Woodstock un évènement marquant de la mémoire collective. Je pense que cela, en effet, c’est un accident magnifique. Un miracle dont il reste des traces encore aujourd’hui, et notamment musicales comme le moment où Joe Cocker vient chanter cette chanson des Beatles. 50 ans après, la performance est encore choquante ! Il y a également des moments humains comme le moment où Country Joe McDonald fait reprendre à toute la foule le Gimme an F… Gimme a U… etc. Ça c’est un moment super-fort.

Quel rapport entretenez-vous avec Woodstock ?

Si je remonte dans ma mémoire, jusqu’au moment même où le festival s’est tenu, j‘avais alors 10 ans, je n’en ai absolument jamais entendu parler. Je suis entré dans le monde de la musique, assez jeune, aux alentours de 11 ou 12 ans. J’étais passionné et en côtoyant un peu plus ce milieu ai rapidement entendu parler de Woodstock. J’étais très curieux et J’ai bien vite compris le statut de référence que tenait Woodstock durant ces années-là.

© Robinson / Dessin : Christopher

Selon vous, un autre Woodstock serait-il possible aujourd’hui ?

Je ne saurais pas vous dire. Ce que l’on sait, c’est qu’il y a des gens qui y ont pensé, et ont tenté de monter un concept similaire. On vient d’apprendre que ça a été annulé. La vraie question est : essayer de faire un nouveau Woodstock a-t-il un sens ? Personnellement, je n’en suis pas certain. Ce festival est le produit d’une conjonction d’événements, d’une époque singulière, à un moment particulier de l’histoire de l’Occident. De ce point de vue-là, je ne suis pas sûr que ça ferait sens. Par contre pour ce qui est de s’inspirer de Woodstock pour retrouver un élan collectif, je le souhaite de tout cœur ! Retrouver une façon de prendre plaisir à être ensemble, car c’est là l’un des marqueurs forts de ce qu’il s’est passé il y a 50 ans, serait intéressant.

Le côté fédérateur et artistique de l’événement est super-important. Musicalement, il s’y est passé des choses incroyables, même si tout n’était pas de qualité égale.

© Robinson / Dessin : Christopher

Vous pensez que pour qu’un évènement comme celui-là ait lieu, il fallait que ce soit une époque pleine de contradictions ?

Oui, je pense que ce qui a fait que le moment Woodstock s’est cristallisé, c’est vraiment parce que ça se passe en Amérique, et il y a cette jeunesse qui à la fois se sent très menacée et sent qu’elle vit quelque chose de fort avec des évènements extérieurs stressants. Tout cela fait qu’une forme de magie opère et fait que nous sommes aujourd’hui en train d’en parler ensemble alors que ni vous, ni moi ne l’avons vécu.

Dans cet album, vous parlez de la Guerre du Vietnam. Le pilote d’hélicoptère vétéran est-il un personnage réel ou bien fictif ?

C’est un autre exemple de la manière dont on a travaillé la construction de l’épisode autour de Country Joe McDonald. J’ai imaginé qu’il était vu à travers les yeux d’un personnage, inventé, d’ancien pilote de la Guerre du Vietnam qui a été blessé pendant la guerre et démobilisé juste après. Il se retrouve à être à Woodstock et à faire la navette entre les hôtels qui entourent le site et le lieu du festival. Ça par contre, c’est authentique. Les rotations pour ramener les artistes ont été faites exclusivement sur la base d’une flottille d’hélicoptères puisque les organisateurs n’avaient aucun autre choix. En partant de cette réalité, je me suis dit qu’il y avait quelque chose a inventer, j’ai donc pensé à cet ancien combattant qui permettait de traiter le sujet de la Guerre du Vietnam qui est en cours à ce moment, et surtout de la traiter au moment-même où Country Joe McDonald fait dire à la foule fuck le Vietnam.

D’où proviennent les différents témoignages que l’on y retrouve ?

L’album a été pensé en 12 chapitres que nous avons choisis de façon arbitraire. Nous considérions ces évènements à la fois parlants et surtout comme les plus marquants de l’expérience Woodstock, des épisodes importants. Pour raconter chacun de ces chapitres nous avons choisi d’associer fiction et faits. Chacun des narrateurs est un personnage fictif, mais nous les avons construits à partir de personnage ayant existé ou qui aurait tout à fait pu se trouver à Woodstock à la mi-août 1969.

Pourquoi cet album ?

En premier lieu, cet album est né dans la tête de son dessinateur, Christopher. Il a eu envie de s’impliquer dans cette histoire, mais y a pensé relativement tardivement et ne se sentait pas forcément les épaules pour porter un tel projet seul. De fait, nous nous sommes associés. Sur le papier c’était un peu fou car il faillait réaliser le projet dans un temps très restreint et c’est justement cette aspect défi qui m’a beaucoup plu. Je me suis dit : « Ok, on y va, et on essaye ».

© Robinson / Dessin : Christopher

Christopher vous a-t-il aidé à écrire le scénario ou bien l’avait-il déjà commencé avant que vous rejoigniez l’aventure ?

La chose amusante concernant notre collaboration c’est que nous ne nous sommes jamais rencontrés physiquement du fait de l’éloignement de nos lieux de vie respectifs, Marseille pour lui et Paris pour moi. Néanmoins, avec les moyens d’aujourd’hui, la distance ne représente plus une difficulté. Nous avons télétravaillé constamment et de manière très rapide, car nous étions tenus par un calendrier serré, celui de la commémoration du cinquantenaire de Woodstock. Nous ne pouvions concevoir l’album autrement, il fallait qu’il soit prêt.

Notre collaboration a débuté par de longs échanges qui nous ont permis de découvrir que nous étions spontanément d’accord sur de nombreuses choses. Ainsi, nous avons presque immédiatement trouvé les points d’accroche de ce récit, et étions d’accord sur ce qu’il fallait retenir de l’évènement.

On a par la suite beaucoup discuté de l’esprit que l’on voulait insuffler à l’album et une fois notre idée arrêtée, nous avons déterminé le chapitrage. Christopher m’a laissé toute liberté pour développer les chapitres, mais avec l’idée convenue au préalable d’une approche assez journalistique. Nous voulions nous rapprocher de l’esprit d’un documentaire. Dès lors, il fallait être rigoureux dans les recherches que l’on faisait afin d’être certain des informations avancées.

Dans l’album, certains artistes bénéficient de pleines pages. Est-ce un choix conscient de mise en avant de ces derniers ? Et si oui, comment les avez-vous choisis ?

J’ai laissé Christopher s’éclater là où il a eu envie de se lâcher. C’était important pour moi que cet engouement se voit à l’image.

© Robinson / Dessin : Christopher

L’album est nécessairement musical et chaque chapitre est accompagné par la suggestion d’une bande-son. De fait, avez-vous pensé à un hypothétique partenariat avec une plateforme de streaming afin d’écouter les titres suggérés tout au long de notre lecture ?

Ce serait une bonne idée ! Mais encore une fois, l’urgence de la situation nous a empêché de nous occuper de ce type de projet annexe accompagnant un album. Après, de notre côté, nous avons travaillé presque constamment en musique et avec cette bande-son dans la tête.

Pensez-vous que Woodstock a un lien particulier avec la bande dessinée ?

Direct, je ne pense pas. En revanche, on sait que le moment de cristallisation de cette musique et de cette époque-là correspond aussi, dans le monde américain de l’époque, à un moment de cristallisation de la contre-culture. Et on sait que cette contre-culture a matérialisé des productions importantes dans la bande dessinée comme par exemple l’œuvre de Robert Crumb. Celui-ci a d’ailleurs dessiné la pochette de l’un des albums de Janis Joplin qui elle-même était présente à Woodstock.

Donc même s’il n’y a pas de lien direct avec la bande dessinée, il est vrai que tout au long des années qui ont suivi Woodstock, il existe une connivence entre le monde de la musique et celui du dessin et de la narration en images. Cela s’est retrouvé en France assez vite avec des titres comme Métal Hurlant qui ont conjugué un très fort attrait pour le monde musical. C’était moins l’esprit hippie et plus l’esprit rock, mais au fond la démarche est la même.

© Robinson / Dessin : Christopher

Existe-t-il, dans la bande dessinée asiatique, dont vous êtes spécialiste, un lien aussi fort entre la musique et la bande dessinée ?

Je n’ai pas l’impression que ce lien soit aussi fort avec la bande dessinée asiatique. C’est une impression. En cherchant un peu, on peut tout à fait trouver des références, il y a par exemple en ce moment, une bande dessinée sur le monde du jazz qui fonctionne bien. Il existe donc certaines choses, mais je n’ai pas l’impression que chez les Asiatiques, et lorsque l’on parle de bande dessinée asiatique, on parle surtout des Japonais, il y ait ce même niveau de connivence. En revanche, le mouvement de mai 1968 a eu une grande résonance au Japon. Il y a eu un vrai Mai 1968 japonais, il y avait un esprit partagé et une espèce de rébellion mais je ne crois pas que cela se soit beaucoup transposé dans le monde de la musique.

La comparaison qui me vient à l’esprit, c’est par exemple le travail d’Urasawa qui lui est effectivement enraciné assez fortement du côté de la musique. Mais je pense que c’est plus spécifique à Urasawa lui-même qu’à des connexions entre le monde du manga et celui de la musique.

Quelle est la suite pour vous ?

La suite du travail que je fais va être dans quelques mois la parution d’un essai que je viens d’achever sur David Bowie qui s’appelle Starman et qui sortira chez Castor Astral. Très vite derrière avec Christopher, on est en train de travailler sur Janis Joplin avec un autre éditeur. Nous allons raconter une vie de Janis Joplin en restant proche d’un esprit documentaire, mais en y insérant un travail de fiction.

Propos recueillis par Thomas Figuères et Vincent Savi

Photo : Léo Jacquet. © Ed. Robinson.

(par Vincent SAVI)

(par Thomas FIGUERES)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782017076407

Forever Woodstock - Nicolas Finet (scénario) - Christopher (dessin) - Robinson - 64 pages - 17,95 € - sortie 21 aout 2019

 
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