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On aurait aimé savoir. Chronique du procès des attentats du 13 novembre - Par Bahareh Akrami - Ed. Steinkis

Par Damien Boone le 6 décembre 2023                      Lien  
8 septembre 2021 : le procès des attentats du 13 novembre s'ouvre, et durera près de 8 mois. Bahareh Akrami, une des victimes des terroristes, a pu suivre méticuleusement les échanges, qu'elle a relatés sur ses réseaux sociaux. En voici la compilation.

Le 13 novembre 2015, Bahareh Akrami est attablée à l’intérieur du Carillon, avec son compagnon et des amis. Par chance – si l’on peut dire – ils échappent aux rafales des kalachnikovs et s’en sortent sans blessure physique. Pour Bahareh, alors enceinte de sept mois, la vie continue et reprend un cours normal, embelli par l’arrivée de cet enfant. Un travail psychologique ne décèle ni traumatisme ni séquelle particulière de ce sombre soir. Mais alors qu’approche l’ouverture du procès, les événements jusque-là enfouis remontent à la surface.

Ce que Bahareh a vécu en France en 2015 lui rappelle que ses parents ont dû fuir la République islamique d’Iran, qui exécutait des milliers d’opposants, alors qu’elle n’avait qu’un an. Ils n’ont pas pu l’emmener immédiatement avec eux mais, après une année chez sa grand-mère, la famille était réunie, en France.

Deux fois victime, elle se porte alors partie civile au procès, ce qui lui permet d’assister à l’ensemble des débats, soit sur place, soit via un dispositif spécifiquement mis en place pour toutes les parties civiles. Sous le pseudonyme Baboo, elle les a chroniqués presque quotidiennement sur Instagram.

On aurait aimé savoir. Chronique du procès des attentats du 13 novembre - Par Bahareh Akrami - Ed. Steinkis

« Experte en gribouillis pour parler de choses sérieuses » : c’est ainsi que se décrit l’autrice sur son compte twitter. Le livre se présente comme un pavé de 315 pages (avec de longues annexes qui rappellent le parcours des protagonistes, des transcriptions de plaidoiries), ce qui n’est rien de trop pour relater un tel procès-fleuve, qui est bel et bien une « chose sérieuse ». Ce livre est un document important pour la mémoire des échanges. On y trouve surtout du texte, au style divers : descriptif, technique (pour quelques éléments juridiques), personnel, ironique. Et c’est en effet accompagné ça et là de quelques « gribouillis », où Akrami représente les intervenants du procès (y compris elle-même, car elle finit par y témoigner) en leur donnant quelques surnoms, propose quelques illustrations qui dynamisent le récit, et y intègre des éléments plus décalés qui apportent une touche humoristique.

On ne doute pas que tout procès – même de ce genre – crée des moments au moins absurdes. À ce titre, la description des principaux accusés et la restitution de leurs propos désarçonne : on n’imaginait pas que ce soit des génies, mais la faiblesse de leurs raisonnements, et même leur manque d’idéologie, sont à la fois désarmants et terrifiants. Les enquêteurs belges, qui interviennent à distance, en prennent aussi pour leur grade, tant on les sent à un étonnant niveau d’impréparation. Quelques anecdotes, comme cette histoire de tuyau d’aspirateur, ne manquent pas de piquant.

Cela étant, la rencontre entre le style adopté et l’objet du récit ne se fait pas toujours de manière fluide. L’autrice prend volontairement un ton cynique, lui permettant sûrement de mettre à distance la dureté de ce qui est jugé. Cela intègre le texte, sous la forme d’irruption dans le récit de jeux de mots, de petites blagues, ou le recyclage de célèbres mèmes d’Internet, qui saccadent le texte comme si apparaissaient soudainement des publicités indésirées. C’est un peu comme si on se trouvait dans une émission d’infotainment, où l’on mélange, comme son nom l’indique, information et divertissement, ce qui n’est pas une mauvaise idée en soi, mais qui postule que le lecteur ou la lectrice sont incapables de soutenir un récit grave sans devoir à un moment passer par une nécessaire décontraction.

Ces écueils doivent probablement au média d’origine, Instagram, qui favorise une lecture fun et accessible des événements, à une époque où le zapping et le scrolling sont tentants lorsque certains de ces codes sont absents. Ces notes sarcastiques sont sûrement des manières pour l’autrice de souligner l’absurdité des agissements des terroristes - qui lui apparaissent si peu compréhensibles (comme elle le répète dans la BD), et qui apparaissent de manière éclatante dans un tribunal (un traitement "à froid" d’évènements si brûlants intimement). Cependant, les traits ironiques ne sont pas toujours très clairs pour le lectorat, et auraient gagné à être davantage accompagnés par les ressentis de l’autrice. Le passage d’un média à l’autre ne donne pas le même rapport au récit, qui semble en l’occurrence mieux adapté à son format d’origine.

Enfin, en fil rouge, l’autrice établit une relation entre son exil d’enfance et ce qu’elle a subi le 13 novembre, y voyant la même main, celle de « l’obscurantisme ». Le déclenchement de la « révolution du voile » en Iran au moment où s’achève le procès lui laisse un goût amer. Ce parallèle entre ses souvenirs et leur résurgence est cependant moins travaillé, et l’autrice n’explicite pas toujours le lien qu’elle voit entre les deux (par exemple en terminant ses phrases par "JDCJDR" ; note : "je dis ça je dis rien"), ce qui peut laisser la porte ouverte à de nombreuses interprétations, plus polémiques.

(par Damien Boone)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782368467381

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