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Un été sombre et horrifique avec Huginn & Muninn - Sevens Sons - Wimdom, Mao et Jae Lee

Par Romain GARNIER le 14 août 2023                      Lien  
En cet été, laissant à désirer pour une large partie de la France métropolitaine, nous vous proposons d’accorder vos lectures à ces pluies incessantes et ce soleil de passage. Faites-vous peur, tremblez d’horreur et appréciez ces histoires tragiques publiées aux éditions Huginn & Muninn.
Afin de poursuivre la découverte de leurs dernières publications ("Silver Coin"), nous vous proposons de revenir sur "Seven Sons". Une dystopie mystico-politique où se mêlent anticipation et uchronie. Un univers qui n'est pas sans rappeler le travail littéraire de Margaret Atwood ("La servante écarlate"), bien que le traitement en soit radicalement différent. Une fable sur les fantasmes de dictatures religieuses, leurs manipulations et leurs hypocrisies, nourrie par les idées audacieuses des scénaristes Robert Windom et Kelvin Mao. Le tout est mis en scène avec brio par le découpage et le dessin adéquat de Jae Lee (la série "Inhumains" récompensée par un prix Eisner, Namor, Batman/Superman...).
Un été sombre et horrifique avec Huginn & Muninn - Sevens Sons - Wimdom, Mao et Jae Lee
© Huginn & Muninn

Le dernier messager du cycle des révélations ou la seconde incarnation du Christ

1998. Nouvelle Canaan (ancienne Las Vegas). Les médias s’affolent alors que le second fils de Dieu s’apprête à être reconnu comme tel afin de guider les humains vers une nouvelle ère de paix, de prospérité et de moralité. Pour les esprits un peu caustiques, on pourrait croire un slogan d’une publicité capitaliste de la première partie du XXème siècle. Un mélange de scientisme et de conservatisme aigris.

Comment en est-on arrivé là ? En 1977, un homme publie l’ouvrage le Livre des Sept fils. Il y annonce une prophétie selon laquelle vont naître sept fils identiques, conçus sans pêché, toutes les mères étant vierges. Parmi ces fils, un seul, le jour de ses 21 ans, se révèlera être le nouveau fils de Dieu, l’Élu, la seconde incarnation du Christ sur Terre. Les 7 naissent. Se forme alors un groupe d’adeptes qui donne naissance à une nouvelle religion.

Ce nouveau dogme met à mal les anciennes croyances, notamment monothéistes. Parmi elles, les Gardiens d’Allah qui fustigent ces faux prophètes et fomentent des assassinats afin d’empêcher le couronnement audiovisuel et religieux annoncé. Pour s’assurer que ces menaces ne se concrétisent, le prophète du Livre des Sept, Nicolaus, veille à la protection de ces enfants. "Le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas" (André Malraux).

Une mise en scène du fait religieux grâce aux médias qui n’a rien à envier à des pasteurs et leur show bien réel
© Huginn & Muninn

La religion spectacle ou le protestantisme 2.0

Ernest Renan disait que "Le christianisme est une secte qui a réussi". L’Église des 7 est passée en moins de vingt années (1977-1997) du stade de secte à celle d’Église dominante sur Terre, énième branche d’une religion aux innombrables ramifications depuis son apparition. Pour s’assurer de cette domination, ce qui ressemble à une entreprise, truisme s’il en est quand il est question de critiquer des organisations religieuses, applique à la lettre les commandements du capitalisme, du marketing et et de la manipulation contemporaine des masses. Feu Les Guignols de l’Info, victimes de l’intolérance, brocardaient avec un humour corrosif et en un autre temps, l’OMC. Une organisation mondiale du commerce religieux où chaque culte se disputait les parts de marché des croyants. Des marchands de foi.

Si la cérémonie consacrant l’arrivée du nouveau fils de Dieu en est l’incarnation, les auteurs n’ont pas lésiné sur les mises en scène et propos connotés en divers endroits de l’ouvrage. Quand un des Sept fils organise un discours public, celui-ci se clôt en privé avec une conseillère en communication où les mots "marketing", "chiffres d’audience", "paiement à la séance" et "vidéo à la demande", voire "design des jouets" sont évoqués, témoignant de ce consumérisme moderne mêlé au pseudo-religieux, faisant le miel de l’Église.

© Huginn & Muninn

Cet aspect critique est à mettre en relation directe avec des pasteurs, bien réels, de certaines branches protestantes, qui s’adonnent à une débauche de moyens modernes lors des cérémonies religieuses. On y excite les sentiments des croyants. L’argent a une position centrale et les réseaux sociaux y sont exploités. Ces pasteurs deviennent des stars et en retirent argent et pouvoir. Deux mamelles corruptrices dont l’histoire de l’humanité regorge, le tout enrobé d’un culte de la personnalité. Si une forme du protestantisme américain est ici mis en scène par les scénaristes, il ne faut pas oublier l’émergence des protestants dans d’autres parties du monde, dont l’Asie du Sud-Est depuis une trentaine d’années. Les organisations et les méthodes y sont similaires (Singapour par exemple).

L’uniformité du fanatisme religieux versus l’ode à la différence

La domination sans pitié de l’Église des Sept fils est liée au fait qu’elle suscite d’innombrables conversions, faisant souffrir les autres croyances qui voient leurs fidèles s’en aller. Les réfractaires, les fidèles à leur foi originelle, dénoncent une organisation hypocrite et dangereuse. Dans cet ouvrage, les auteurs ont souhaité dispenser deux messages progressistes : la diversité est profitable au genre humain et l’islam peut-être une religion positive, comme toutes les autres religions.

Pour le premier, l’idée est de dénoncer l’uniformité et l’appauvrissement qu’induisent ces sociétés qui mêlent religion et politique, qui imposent des normes dont le poids social est tel qu’elles conduisent à l’exclusion de l’autre. La richesse des points de vue, la diversité des conceptions du monde, la mixité de la famille humaine est un prérequis aux sociétés saines. En cela, rien d’original sous le soleil dit progressiste.

© Huginn & Muninn

En revanche, pour la seconde, il est un inversement plutôt inattendu. Celui de montrer dans cette large critique du fait religieux extrémiste, une mise en scène complexe de l’Islam, plutôt bienveillante, tout en s’appuyant sur sa vision négative véhiculée en Occident, à savoir sa dimension violente, haineuse et guerrière. Mais ici, cette vision s’exprime pour supprimer les Sept fils, accusés de soumettre le monde humain à leur machinerie politico-marketing et leurs prétentions blasphématoires.

On est donc à rebours de l’image publique véhiculée par le djihadisme international et le wahhabisme proche-oriental. Point d’attentats contre des populations civiles. Pas de revendications politiques afin d’instaurer un ordre religieux extrémiste. Au contraire, il s’agit d’empêcher cette dictature religieuse venue d’Amérique avec néanmoins des arguments religieux : combattre les faux prophètes. Un lointain écho de la fameuse secte des Assassins qui assassinaient des hauts dignitaires sunnites et qui a inspiré Ubisoft.

Par ailleurs, un des personnages principaux en vient à rencontrer une musulmane qui lui sera d’un précieux conseil, tenante d’un discours prônant la diversité. Celui d’une ancienne professeure pieuse mais tolérante. Il est regrettable que cette complexité tombe parfois dans le fantasme historique à travers les Gardiens d’Allah qui affirment défendre avec justice les minorités religieuses. Un mythe historique, comme celui de la coexistence pacifique en Al-Andalus (Espagne), que les scénaristes avaient peut-être à l’esprit lors du processus d’écriture.

© Huginn & Muninn

Ces messages mis de côté, les scénaristes ont imaginé une fin inattendue, rocambolesque, géniale et quelque peu cruelle pour le lecteur qui comprend mais entrevoit ce qui aurait pu être un second tome.

Pour conclure sur des considérations plus dessinées, il est à noter les ambiances réussies de la coloriste June Chung et l’excellent travail du dessinateur Jae Lee. Pas tant par son dessin, de grande qualité certes, mais qui n’est pas d’une grande originalité dans l’industrie du comics, que par son découpage. Des pages riches où les possibilités de lecture sont nombreuses, diverses combinaisons étant possibles sans perdre le fil de la narration. D’autres pages donnent à voir un jeu de symétrie qui allie la forme - harmonie, sentiment d’ordre, symbolique des chiffres - au fond - discours religieux appelant à la perfection.

Pour le lecteur, difficile de ne pas saisir le plaisir que Jae Lee a eu à composer ses pages, ainsi que son désir de construire des mises en scène qui rejaillissent sur le scénario. Ce beau travail va jusqu’à proposer un découpage comme matrice des souvenirs d’un personnage, planche visible ci-dessus.

Sevens Sons est un comic qui questionne notre époque où se mêlent le tragique de la croyance et l’horreur du fanatisme. Une belle découverte.

Couverture étasunienne pour la publication au format souple
© Huginn & Muninn

(par Romain GARNIER)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782364809116

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