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Paul Cuvelier : affres et souffrances d’un amour contrarié

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 10 octobre 2023                      Lien  
« Un artiste sans concession révélé par sa correspondance », tel est le projet des auteurs qui se sont penchés sur Paul Cuvelier (1923-1978), le créateur de Corentin Feldoë, un auteur dont on célèbre les cent ans de la naissance en même temps que les 77 ans du Journal Tintin dont il fut l’un des fondateurs.

En dépit d’un talent précoce qui se destine à l’art (il est l’élève notamment du très ingriste Louis Buisseret à l’Académie de Mons), ses débuts furent si difficiles qu’il trouva dans la bande dessinée un viatique en attendant que sa qualité de peintre lui fut reconnue. Ce qui n’arriva pour ainsi dire jamais.

Sa passion pour le corps féminin, qui conférait à l’obsession, a été son chemin de cohérence. Féru de littérature classique, il eut une correspondance abondante, notamment avec le grand amour de sa vie rencontrée, en 1948 : Ta Huyen-Yen (1931-2004). Une femme qui a conservé sa vie durant les lettres que l’artiste lui avait envoyées, ce qui nous permet de les découvrir aujourd’hui.

Paul Cuvelier : affres et souffrances d'un amour contrarié
Projet de tapisserie. Yen en est la figure centrale.

Ce moment de l’histoire de Paul Cuvelier, qui survient alors qu’il est déjà l’auteur reconnu de milliers de lecteurs du Journal Tintin (il a déjà les deux premiers Corentin, purs chefs-d’œuvre, à son actif). Il rencontre la jeune femme lors d’une conférence qu’elle donne à Mons. Ils ont l’une et l’autre 25 ans.

Pendant ce temps-là, dans Tintin, quelques dessins sublimes...

Mais pour diverses raisons, notamment culturelles, Yen « fuit », pour utiliser les mots de l’artiste. Leur amour ne dure pas, blessure que Paul Cuvelier ne pourra jamais refermer. Yen est pourtant l’un des premiers sujets du jeune artiste : dessins, toiles et même sculptures la représentent d’autant plus idéalisée qu’elle reste distante. Elle fait d’ailleurs sa vie avec un autre homme.

" Je suis dans un état d’extrême concupiscence artistique !" (Paul Cuvelier)

JPEGLa correspondance passionnée, admirablement écrite, que publient Philippe Goddin et Marguerite Mergay, met en évidence la difficulté d’être un artiste à l’idéal un peu dépassé (dans les grandes expositions internationales, notamment à l’Expo 58 de Bruxelles, les noms de Calder, Pollock ou Soto sont ceux qui font l’actualité), aux préoccupations -l’érotisme- un peu en avance sur son temps (il décède en juillet 1978, quand émergent les Aslan, Crepax, Manara et autres Serpieri…) et un monde de la bande dessinée qui s’intéresse à lui -Hergé principalement, mais pas seulement- mais qui se rend compte que l’homme est en décalage avec la bande dessinée de son temps vouée aux séries commerciales un peu vulgaires. La publication d’Epoxy chez Eric Losfeld (l’éditeur d’André Breton et de Barbarella !), sur un scénario de Jean van Hamme, lui permet d’accéder à ce statut envié. Mais l’ouvrage paraît en Mai 68 et passe inaperçu. C’est un échec cuisant pour Cuvelier qui espérait pouvoir en vivre.

"Ah ! Pouvoir faire surgir l’oeuvre comme on profère un son !" (Paul Cuvelier)

L’ouvrage qui évoque de façon détaillée la relation passionnée entre ces deux êtres, qui continueront à échanger par lettres jusque dans les derniers temps (heureusement, en ce temps-là, les mails n’existaient pas), corpus qui a pu être sauvé par Yen et transmis à la famille, est régulièrement entrecoupé de lettres de Hergé à l’artiste qui l’encourage, pour ainsi dire en vain, mais aussi de notes personnelles de Paul qui ne détestait pas la bande dessinée comme on a pu l’écrire trop souvent, mais qui considérait que son idéal artistique n’était pas adapté à ce médium.

Voici en tout cas une somme admirable, un travail passionnant et passionné qui ne nous étonne pas de l’hergéologue Philippe Goddin. Il contextualise très utilement l’histoire méconnue d’une des plus grandes figures de la bande dessinée belge.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782390700746

Le Mystère Paul Cuvelier – Par Philippe Goddin et Martine Mergeay – Les Impressions Nouvelles

Corentin Les Impressions nouvelles ✏️ Paul Cuvelier à partir de 17 ans Etude sur la BD Belgique
 
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3 Messages :
  • Les deux ne peuvent avoir 25 ans lors de leur rencontre en 1948 alors qu’ils sont nés avec 8 ans d’intervalle. Elle avait autour de 17 ans et lui en avait environ 25. Ou la date de naissance de Yen est erronée…

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    • Répondu par Pequet le 25 novembre 2023 à  09:43 :

      Vous avez raison.
      A la page 31, l’auteur écrit : « Au cours de l’été 1949, Huynh-Yen, Vietnamienne de dix-huit ans... ».
      Quant à sa date de naissance, elle est exacte car, sur l’annonce de son décès à Boulogne-Billancourt, survenu le 29 janvier 2004, sa date de naissance est indiquée : 23 mars 1931 à Hanoï.

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  • Amour auto contrarié
    29 novembre 2023 06:55, par Général Propergol

    Etait-il indispensable de publier la correspondance amoureuse de cet artiste ?
    C’est la question que je me pose en pleine lecture. Je m’accroche pour finir ce pavé. Cuvelier y apparaît comme un ratiocineur, prompt à l’auto dénigrement, ne terminant aucune de ses peintures sous prétexte d’exigence et accablant son amoureuse au moindre faux pas qu’il imagine. Se livrant de manière obsessionnelle et complaisante, alternant les déclarations enflammées et les propos venimeux et menaçants, le tout parsemé de promesses de s’amender jamais honorées. Un comportement immature qui ne provoque à la longue aucune indulgence et fait verser le lecteur dans le voyeurisme.
    Certes, c’est remarquablement écrit, mais qu’est-ce qu’on s’ennuie !
    Yen a exigé de lui qu’il détruise ses lettres, du coup on ne sait rien de la belle qui m’a l’air d’avoir aussi un sacré caractère et ne dédaigne pas jouer avec son correspondant, s’amusant à alterner le chaud et le froid. Cependant, on ne peut qu’admirer sa patience. Mais là où j’en suis du livre on découvre très peu sur elle. Je ne suis pas sûr de poursuivre cette lecture dérangeante et répétitive encore longtemps.

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