Les teintes sont douces, le propos posé. Membre de Cartooning for Peace depuis 2006, Michel Kichka n’est pas un caricaturiste au trait meurtrier. La pandémie lui permet de prendre le temps d’observer des choses qu’il avait laissées de côté jusqu’ici : détailler les espèces d’oiseaux qui passent par son jardin, s’arrêter sur le nom des rues ou revenir sur les origines de sa vocation pour le dessin. Et si tout était parti de cette boîte de biscuits décorée par un tableau de Brueghel l’ancien ? Il dessinait comme son père dessinait. Plus par aptitude que par vocation. Le dessin est devenu un choix de vie à cause de… ou grâce à… un accident survenu à son adolescence en Belgique et qui l’avait immobilisé pendant quatre mois. Il les passe à dessiner et à lire des bandes dessinées.
Les souvenirs s’égrènent au fil des pages. Ses débuts de caricaturiste pour la télévision ou pour la presse internationale percutés par l’attentat contre les tours du World Trade Center puis contre la rédaction de Charlie Hebdo, ce qui l’amène à se mobiliser dans le combat pour la liberté de la presse aux côtés de Plantu et de dessinateurs de diverses origines, notamment palestiniens, avec qui il participe à des rencontres dans le monde entier. Enfin la BD, ses premiers albums, le Festival d’Angoulême et, autre accomplissement, son travail d’enseignant à l’école Bezalel à Jérusalem. Les plus grands dessinateurs de BD israéliens contemporains ont été ses élèves…
Un parcours déconnecté de la situation de son pays, de ses origines juives ? Non, le retour à la pandémie le ramène à sa condition : « La vérité est que j’ai une identité hybride », constate-t-il. Il est à la fois : un citoyen « israélien, belge, wallon, ashkénaze, laïc, auteur, dessinateur de presse, démocrate, libéral, partisan de la paix, membre de Cartooning for Peace, enseignant, mari, père, grand-père… Toutes ces identités à la fois et chacune d’elles séparément. Une véritable mosaïque. »
Il brocarde celui qui, politiquement, profite de la séquence Covid : Benjamin -Bibi- Netanyahou. S’il ne manifeste pas contre ses tentatives de changer la loi en sa faveur, il est fier que ses enfants et petits-enfants le fassent. Il déteste ce gouvernement populiste comme ces antivax qui arborent l’étoile jaune pour dénoncer une « dictature sanitaire ». Lui qui a perdu son père, mort en Belgique du fait de la Covid 19, il en connaît le prix. Sur ces considérations, les paysages de son quartier de Jérusalem défilent, respirations silencieuses, splendides, divines…
Pour la première fois, Kichka parle de religion, d’islam, de Dieu, de la façon dont ces mots pèsent sur la Jérusalem millénaire. En laïc, il se rebelle : « À quand la séparation de la Synagogue et de l’État ? », réclame-t-il. Il conteste le fait qu’en Israël, les étudiants en religion soient dispensés de service militaire. À propos des juifs orthodoxes, très présents dans sa ville, il écrit : « Ils veulent m’imposer comment vivre. Je refuse que l’on mette son nez dans mon assiette. Et encore moins dans mon slip. » Il fustige ces fanatiques du « Grand Israël » « qui se croient sortis de la cuisse de Yahvé . » Il se bat enfin pour que la Charte de l’indépendance d’Israël (un pays qui n’a pas de constitution) qui définit le pays comme un État « juif et démocratique », ne sacrifie la démocratie au nom de la judaïcité.
Avec cet album, Kichka produit un de ses livres les plus politiques, mais aussi les plus tendres.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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