Est-ce l’arrivée d’une nouvelle génération aux commandes ? Des fans de la première heure comme Sergio Honorez (directeur éditorial), José-Louis Bocquet (directeur éditorial adjoint) ou Frédéric Niffle (rédacteur en chef de Spirou) qui ont redécouvert, au mitan de la grande époque de la Ligne Claire, les grands classiques de la bande dessinée belge ? Probablement. Mais il y a aussi de la part des éditions Dupuis une prise de conscience et un calcul.
La prise de conscience qu’un patrimoine est précieux, qu’il constitue une richesse, un ensemble de marques et d’univers sur lesquels on peut bâtir une stratégie qui n’est pas antagoniste avec la recherche de nouveaux talents. Le 75e anniversaire du groom n’est qu’un prétexte, la manœuvre a quelques années déjà et elle a été couronnée par l’énorme succès critique et public du Journal d’un ingénu d’Émile Bravo : " Non seulement, écrivions-nous, la « Ligne Claire » triomphe dans Spirou, mais [Le journal d’un ingénu] constitue un petit chef-d’œuvre qui marquera à jamais l’histoire de la bande dessinée franco-belge. [Il] surclasse sans problème les autres titres de la collection « Une aventure de Spirou & Fantasio par… », parce qu’il n’affiche aucune prétention de reprise, parce que c’est un hommage bien compris au patrimoine de ses prédécesseurs, et surtout parce que, et c’est le plus important, nous nous trouvons en présence de l’œuvre d’un grand auteur."
Le calcul, c’est qu’en l’absence de journaux où les nouvelles générations pouvaient ébaucher leur style, se familiariser avec un domaine créatif relativement complexe, ces grandes séries -et Spirou en particulier ces dernières années- pouvaient servir de terrain de jeu à toutes sortes de démarches créatives. La survivance de collections implantées depuis longtemps (récemment par exemple Michel Vaillant ou Buck Danny) permet aujourd’hui d’employer des professionnels aguerris dépourvus de grand succès public, voire des débutants doués, pour les mettre sous l’aile protectrice d’une grande série, à l’abri d’incertains lendemains, en surfant sur un "marketing de la nostalgie" dont la cible est intergénérationnelle et la marque, propriété de l’éditeur.
Un petit pastiche à l’apéritif ?
Ainsi en est-il de Spirou, sous le manteau (Parution : le 6 septembre 2013, aux éditions Dupuis), ce remarquable album d’Alec Severin, un auteur au talent immense qui n’avait jamais réussi jusqu’ici à s’installer durablement dans le catalogue d’un grand éditeur de la place. Précisément en raison de son caractère référentiel, nostalgique, de sa révérence permanente au Spirou de Joseph Gillain dont il mime le merveilleux savoir-faire, en particulier dans les illustrations à la gouache.
La réussite est saisissante : reprenant le style "loustic" du créateur de Fantasio, il fantasme une série de couvertures d’un Spirou clandestin sous l’Occupation, à une époque où l’hebdomadaire de Marcinelle cessa de paraître parce que ses propriétaires avaient refusé de laisser entrer dans l’entreprise un actionnaire allemand. En mesure de rétorsion, l’occupant leur coupa l’approvisionnement du papier, ce qui condamnait l’hebdomadaire de la bonne humeur à cesser de paraître jusqu’à la Libération. Severin réussit parfaitement l’exercice du pastiche, au point que les contributeurs au forum d’ActuaBD s’en sont émus..
L’autre bouffée de nostalgie qui nous attend en octobre, alors même que les Rencontres Chaland 2013 ont lieu à Nérac, c’est la réédition du Spirou du prince de la Ligne Claire, Spirou par Y. Chaland. Dans un format oblong, au fil de la plume de José-Louis Bocquet, cet album retrace l’incroyable incursion dans Spirou de ce formidable graphiste, ludion de Métal Hurlant. Avec à la clé une foultitude de dessins inédits, des pastiches de couvertures également, qui mettent en évidence tout le talent de l’un des dessinateurs les plus élégants des années 1980. Un grand moment de l’histoire de la bande dessinée dont Alec Severin est l’héritier direct.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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