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Stern : "L’Ouest, le vrai" !

Par Charles-Louis Detournay le 2 février 2019                      Lien  
Déjà le troisième album du déroutant "Stern", un western orienté vers l'authentique et mené de main de maître par Julien & Frédéric Maffre. Un succès mérité qui bénéficie actuellement d'une exposition chez Comic Art Factory.

"L’Ouest, le vrai" clame le titre de ce troisième album de la série Stern. Effectivement, depuis le premier opus, Stern se distingue des autres westerns en tentant de se rapprocher d’un vécu plus authentique, tout en jouant avec les codes du genre, surtout institutionnalisés par le cinéma. Comme nous l’explique le dessinateur Julien Maffre :

Stern : "L'Ouest, le vrai" !
Couverure du tirage de tête
L’un des original en vente à la Comic Art Factory.

"Depuis le début de la série, nous voulions nous éloigner de cette vision du western où les duels se déroulent face à face dans la grande rue, devant le saloon. Paradoxalement, ce troisième tome est plus western que les deux premiers, avec son lot de fusillades. Pourtant, nous continuons à cultiver une approche oblique, via des chemins de traverse, surtout que notre héros n’est pas un pistolero. Ne nous ne méprenons pas : je suis un grand fan des westerns classiques ! Mais l’on devine souvent la fin de l’histoire : le héros se retrouve dans une fusillade finale dont il se tire avec les honneurs. Un schéma impossible avec le personnage de Stern. Non seulement nous voulons changer de genre à chaque tome, et le fait qu’il ne puisse pas toucher une arme à feu nous oblige à trouver d’autres solutions pour faire progresser le récit."

Le croque-mort confronté à une légende l’Ouest

Au début de ce nouvel album, le conseil municipal de la petite ville de Morrison, où Stern officie en tant que croque-mort, délibère dans la salle d’école sur les affaires courantes. Et notamment sur le renouvellement du contrat triennal du croque-mort dont la place est remise en question. Mais très vite, la réunion est perturbée par la présence en ville d’une fine gâchette, Colorado Cobb, venu dédicacer son livre de mémoires intitulé « Guns & Women » ! Toute la ville est en émoi devant cette légende de l’Ouest. Mais cette présence va provoquer des complications insoupçonnées !

"Dans ce troisième tome, nous avons voulu traiter du fonctionnement des armes à feu de l’époque, explique Julien Maffre. Et des problèmes qu’on pouvait rencontrer : la poudre mouillée, la détente trop sensible qui provoque des accidents, les ricochets, etc. Tout cela provient d’une anecdote trouvée par Frédéric [Maffre, le scénariste] : les six-coups garnis uniquement de cinq cartouches pour éviter le tir accidentel. Tout cela donne une toute autre dynamique aux fusillades de western."

"Nous souhaitions également confronter la petite et la grande histoire du Far-West, continue-t-il. D’un côté, des pistoleros qui s’affrontent, et de l’autre côté, le point de vue du héros qui s’avère n’être qu’un figurant. Comme nous l’avions réalisé dans le premier tome de Stern, à savoir n’utiliser que les personnages secondaires qui apparaissent dans les westerns (le croque-mort, l’entraîneuse, le pianiste alcoolique, etc.) pour les mettre au centre du récit, tout en reléguant au second-plan les shérifs, et autres bandits."

Un héros atypique

La série Stern se distingue par les thématiques abordées, l’angle de vue choisi et le mode anticonformiste qui fait progresser l’intrigue. Ce troisième tome ne fait pas exception à ses principes : certes, le récit bénéficie d’une intrigue (qui en veut à Colorado Cobb ? Et pourquoi ?!), mais le vrai intérêt réside dans l’évocation très "authentique" choisie par les frères Maffre. Quels étaient les relations entre les différents protagonistes d’une ville ? Comment les élections pouvaient-elles modifier les équilibres ? Et surtout, quelles étaient les places des femmes, souvent reléguées au second voire troisième plan dans les films du genre.

L’autre grand ressort de la série repose sur les épaules de son personnage principal, Stern, institué tel un héros car la série porte son nom, alors qu’il fait tout pour mener une vie la plus calme et retirée possible, plongé dans ses livres. Ce personnage taciturne n’est d’ailleurs pas vraiment un moteur de l’action : il ne pose quasiment aucune question pour résoudre l’enquête du premier tome ; il ne cherche qu’à récupérer son argent dans le deuxième opus ; et fait presque tout pour éviter les ennuis dans cette troisième histoire. Pourtant, le lecteur épouse en permanence son point de vue, car Stern est presque toujours présent dans les scènes. L’intérêt réside également sur sa personnalité, qui demeure énigmatique, même après 150 pages d’omni-présence.

"Ce mystère participe aux particularités de la série, nous explique Julien Maffre. Frédéric et moi savons ce qu’il a vécu, et nous voulons éviter d’avoir recours aux flashes-back pour le dévoiler par bribes. Rappelons que la première séquence de la série n’est pas un flash-back, juste le début de l’histoire avant une longue ellipse. Pour nous, Stern est la transposition d’un geek au Far-West. Et la question que nous nous posions était de savoir à quoi Stern aurait accès si c’était un passionné de narration ? La littérature ! Stern donc est un fan de romans : par envie, et parce qu’il n’a sans doute rien d’autre à quoi il peut s’accrocher."

L’un des originaux en vente à la Comic Art Factory.

"Cette liste de principes (pas de flash-back, Stern ne peut pas utiliser d’armes à feu, etc.) compose la charpente de la série, continue-t-il. Comme à chaque tome, le quatrième album donnera des informations complémentaires sur le passé de notre héros, d’une manière différente, une fois de plus. Je préfère les œuvres qui font travailler l’imaginaire du lecteur. Et je pense que si on montrait ces éléments par flash-back, ce serait d’office décevant pour le lecteur, qui se sera fait sa propre image auparavant, surtout pour un prequel. Pour prendre un exemple, je n’ai rien contre le film « Solo », mais je préférais nettement ce que je m’étais imaginé en regardant les premiers « Star Wars »."

A défaut de revolver, Elijah Stern sait manier la pelle.
L’un des originaux en vente à la Comic Art Factory.

Un dessin en constante évolution

Julien Maffre
Photo : Charles-Louis Detournay

Un autre point marquant de Stern réside dans le dessin de Julien Maffre. S’éloignant de la multitude de détails dont il truffait sa précédente série Le Tombeau d’Alexandre, le dessinateur équilibre mieux les planches de Stern, jouant sur la composition pour mieux évoquer les ambiances désirées. Cette évolution se remarque d’ailleurs au fur et à mesure que les tomes de Stern ne se succèdent, de manière consciente comme l’explique Julien Maffre :

"L’expérience aidant, mon trait évolue, tout en restant dans le semi-réaliste. Cela se constate surtout lors de l’encrage, plus léger et sans aplats noirs (sauf pour le personnage de Stern qui doit ressortir par rapport au reste). L’aquarelle prend beaucoup plus de place, donnant du volume sur un dessin qui pourrait paraître plat sans les couleurs. A contrario, « La Cour des miracles » profite de hachures et d’aplats noirs, en référence aux gravures de l’époque, ce qui modifie l’atmosphère."

L’un des originaux en vente à la Comic Art Factory.

Et de continuer : "Plus j’avance, et plus je pousse les deux styles dans des directions opposées, en s’essayant de m’adapter au propos. Dans le futur, je vais continuer à adapter mon graphisme pour coller à chaque projet et à l’envie du moment. Puis, mes séries se renvoient la balle : ici, j’apprends des choses sur "La Cour des miracles" que j’applique sur Stern, et vice-versa : que cela soit dans le découpage, le traitement ou le dessin."

Pages de garde de Stern, par Julien Maffre.
L’un des original en vente à la Comic Art Factory.

"Le western n’est pas un genre historique, du point de vue des images qu’il véhicule, continue le dessinateur. Il est plus cinématographique. Je ne cherche donc pas de documentation authentique sur laquelle m’appuyer, mais plutôt auprès des films qui sont une fabuleuse source, ainsi que le jeu vidéo, à commencer par « Red Dead Redemption » : lorsqu’on cherche une information, on se balade dans le jeu jusqu’à trouver l’endroit désiré, puis on tourne pour dénicher le cadrage souhaité. Idem pour une rue, ou si l’on a besoin d’un meuble, on entre dans une maison. Ce qui est bien moins facile dans un film que l’on regarde finalement entièrement en avance rapide jusqu’à trouver ce que l’on recherche."

Vous l’aurez compris, ce troisième opus de Stern nous a conquis une fois de plus, tant dans sa forme que dans son fond. Une thématique qui coïncide d’ailleurs avec le Texas Jack de Pierre Dubois et Dimitri Armand paru récemment au Lombard, preuve que les auteurs cherchent à renouveler le genre, en confrontrnt leurs références iconiques à une vérité historique bien éloignée. Cette hybridation fournit des récits plus authentiques et qui continuent à bénéficier d’un réel souffle épique. Une belle fontaine de jouvence !

Le western s’expose

Cette réappropriation artistique du western par le neuvième art n’a pas échappé au galeriste Frédéric Lorge qui lui consacre actuellement une exposition jusqu’au 16 février prochain au Comic Art Factory (Bruxelles). Des œuvres de deux albums récents sont proposés simultanément, tirées du troisième tome de Stern, ainsi que de Tout le plaisir est pour moi, un polar angoissant dans le Dakota enneigé de la fin du XIXe siècle. Le galeriste nous explique ses choix :

"Depuis « Le Tombeau d’Alexandre », j’étais en contact avec Julien Maffre dans l’idée de réaliser une exposition-vente de ses dessins. Avec la difficulté qu’il ne travaille plus qu’en numérique depuis "La Banque". Il a pu trouver quelques semaines entre deux projets pour travailler à nouveau en traditionnel, tout d’abord pour les couvertures et pages de garde, puis pour des illustrations de scènes emblématique de la série : le saloon, le cimetière, etc. Ce sont donc neuf dessins très poussés, en lien avec les trois tomes, ici à l’encre et au lavis bleu. Et j’ai été très agréablement surpris du résultat final : sa ligne ébréchée, ses personnages, le soin du détail, l’équilibre,…. Je vous laisse en juger."

"Je suis un grand fan de western, continue Frédéric Lorge. D’ailleurs, mes premiers films en version originale étaient tirés de "La Dernière Séance" le programme TV d’Eddy Mitchell, et il s’agissait bien de westerns : c’est un genre qui me plaît énormément. Sachant que nous allions travailler ensemble avec Julien Maffre, j’ai lu "Tout le plaisir est pour moi", de Fred Druart (Glénat), et j’ai beaucoup apprécié l’atmosphère qui s’en dégageait, ainsi que le fait de placer toute l’intrigue sous la neige, alors que peu de films ne s’y déroule entièrement, outre "Jeremiah Johnson". J’ai donc voulu associer le western de Maffre au polar du far-west de Fred Druart, plein de contraste, de matière et de sales gueules. La thématique les rapproche, mais les atmosphères sont très différente. Ce contraste, ainsi que ce mélange de polar et western, justifiait de les exposer ensemble. Et je voulais des prix de vente qui devaient être accessibles, justifiés tout en restant en relation avec la qualité et le succès d’une série."

Fred Druart : Exposition à la Comic Art Factory
Fred Druart
En vente à la Comic Art Factory
Fred Druart
En vente à la Comic Art Factory

Une exposition qui sent la poudre !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782205079265

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Sur ActuaBD, Lire nos articles consacrés aux précédents albums de Julien Maffre :
- Stern T.2 : La Cité des sauvages - Par Frédéric & Julien Maffre - Dargaud
- L’interview des auteurs à l’occasion de la publication du 1er tome de Stern
- La chronique du premier tome de Stern : Le Croque-mort, le clochard et l’assassin - Par Frédéric et Julien Maffre (Dargaud)
- les chroniques dédiées au Tombeau d’Alexandre avec Isabelle Dethan, la précédente série de Julien Maffre : tomes 1 (Le manuscrit de Cyrène) et 3 (Le Sarcophage d’albâtre)

Expo Western
Galerie Comic Art Factory
Du 18 janvier au 16 février 2019
Chaussée de Wavre 237
1050 Bruxelles (galerie située en face de Museum - l’Institut royal des Sciences naturelles de Belgique)
Heures d’ouverture : jeudi, vendredi et samedi de 11 à 19h. Les autres jours sur rendez-vous.

 
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