"Une Femme fidèle" : la réussite au-delà de l’érotique

Nous vous en parlions encore récemment : on note un véritable renouveau au sein de la bande dessinée érotique depuis quelques années. L’une de ces avancées tient à la volonté de certains auteurs de privilégier tant la forme que le fond, et d’oser reléguer le propos érotique (pour ne pas dire pornographique) au deuxième voire au troisième rang, pour mieux développer l’intrigue et/ou les personnages. En fer de lance de ce courant, nous citions les auteurs Trif, les Raven... et Axel !

Avec son dessin réaliste, ce dernier auteur nous a conquis en 2016 dès sa première bande dessinée, La Chambre de verre, où l’aspect sexuel n’était pas omniprésent et laissait le champ libre aux sentiments et à la profondeur de ses personnages.

Un ton particulier qui s’est prolongé dans La Tentation paru en 2019, se doublant d’un regard davantage sociétal sur notre sexualité : comment s’aime-t-on à plus de cinquante ans ? Dans cette quête du renouveau amoureux, la tentation de la glissade est parfois trop forte, mais pour sa part, c’est fondamentalement dans la psyché de ses personnages que l’auteur réussit son nouveau tour de force.

2020 marquait la sortie de son troisième album, Le Prix de l’amour, réflexion sur le tourisme sexuel des femmes mûres et esseulées à la recherche de relations, le temps d’une semaine ou deux, avec de beaux et jeunes hommes brésiliens sur des îles paradisiaques. Une fois de plus, la question du plaisir lié à nos impératifs de société était abordée de manière réfléchie, sans tabou mais avec tact et sensibilité.

Après ces trois albums dont la qualité allalt crescendo nous avait autant séduit que touché, nous découvrons Une Femme fidèle, un titre qui semble prendre le contre-pied des précédents.

Il vous suffira de savoir que nous allons suivre le quotidien de Sophie. Cette intelligente professeure de lycée au port de tête volontaire est le genre de femme qui maîtrise sa vie et dont le charisme impose le respect.

Une vie d’ailleurs plus compliquée qu’il n’y paraît, car une fois ses cours terminé, Sophie regagne son luxueux appartement pour saluer brièvement un mari très souffrant qui ne peut pas quitter son lit médicalisé. Puis elle change de vêtements, quitte sa tenue de professeure pour enfiler de la lingerie, et elle se dirige vers un club échangiste où elle a ses habitudes. Pourtant, pas question pour Sophie de s’exhiber en public ; dès qu’elle a trouvé un homme qui lui convient, elle lui glisse une carte de visite dans la poche, comportant les coordonnées d’un hôtel situé non loin de là...

Toute la première partie du livre pourrait presque se lire sans les dialogues, preuve de son excellent découpage. L’histoire est très forte, intrigante, les expressions sonnent juste et les scènes s’imprègnent d’un profond réalisme. Une fois de plus, Axel emmène le récit érotique dans une autre dimension, au-delà du simple plaisir des sens.

Après une succession de surprises, la seconde partie de l’album laisse la place au doute et aux troubles dans le jeu installé par l’héroïne, tandis que la troisième partie apporte bien entendu des solutions. Enfin, des solutions... Disons qu’en guise de conclusion, les derniers éléments du récit ne manqueront pas d’étonner sans doute quelques lecteurs. À eux alors de revenir en arrière dans le livre pour se trouver les décisions posées par les personnages. Car comme dans la vraie vie, aucun choix n’est facile, aucune situation n’est bonne ou mauvaise.

Vous l’aurez compris, Axel renonce une fois de plus à un voyeurisme facile alignant les clichés excitants, pour traiter avec tact et sensibilité de la vraie vie sexuelle. Ses personnages et les questions qu’ils abordent continuent de vivre en vous une fois que vous avez terminé et fermé l’album. Ce qui est non seulement plutôt rare en bande dessinée, mais reste également l’apanage des grands titres.