Notre site est abondamment revenu au cours de 2022 et au début de cette année sur la sacralisation de personnalités liées au neuvième art par les plus prestigieuses des institutions culturelles françaises, les académies en l’occurrence. Celles-ci ont en effet décerné leurs palmes, en les y intégrant, à Catherine Meurisse, Pascal Ory ou, plus récemment, Emmanuel Guibert.
Hormis cela, le processus de légitimation — d’artification, selon un néologisme devenu courant — d’un artiste de la bande dessinée, tel celui d’un peintre, en passe souvent au préalable par d’autres voies. Il se traduit par sa participation à des ventes aux enchères ou des expositions-ventes en galerie, voire des expositions publiques, via la consécration par un musée, accompagnée d’une reconnaissance par la critique, si possible.
Dans ce contexte, il semble pertinent de revenir sur le cas de Virginio Vona, qui s’est constamment tenu à la croisée de la bande dessinée et de la peinture, adepte des deux sans jamais les hiérarchiser. Depuis un certain nombre d’années, il a ainsi apporté sa pierre à l’édifice du processus de légitimation artistique du neuvième art, en en cochant un maximum d’étapes à titre individuel.
D’ailleurs, de façon significative, il revendique comme l’un de ses principaux modèles Vinicio Berti (1921 - 1991). Tout autant que peintre inclinant vers l’abstrait, après avoir été influencé par le cubisme et le futurisme, celui-ci fut indifféremment auteur de bandes dessinées (fumettista) ou illustrateur, en particulier du Pinocchio de Carlo Collodi, un Florentin comme lui.
Virginio Vona, né à Rome en 1969, y étudie la communication graphique, puis suit les cours de l’école de bande dessinée Comics international. Sa formation, de manière caractéristique chez lui, balance entre ses deux domaines de prédilection.
Elle est déterminée en partie par son goût pour la bande dessinée, en s’appuyant toutefois sur une solide formation artistique classique à l’italienne. À lʼInstitut dʼArt San Giacomo, il apprend en outre les techniques de la décoration murale et du trompe-l’œil. Il s’en servira plus tard dans ses nombreuses performances devant un public.
Il récolte aujourd’hui les fruits de sa persévérante démarche en étant « adoubé » par un prestigieux musée d’art contemporain en Italie et par la critique de son pays d’origine, puisque le Musée du Présent (Museo del Presente) de Rende lui consacre en ce moment l’exposition Virginio Vona, Tra Segno e Fumetto (Virginio Vona, Entre Signe et bande dessinée).
Là-bas, l’association de la peinture et d’un mode d’expression qui demeure moins reconnu, loin de rebuter, est non seulement bien accueillie par les tenants de « l’art officiel », mais elle attire le public. Ce vif succès est renforcé par des demandes de visites scolaires telles que l’événement est prolongé de quinze jours, jusqu’au 28 janvier. La leçon sera à méditer.
De manière concomitante, la salle du Carré d’Art de la ville de Montgeron, près de Paris, propose une autre exposition de Virginio Vona. Celle-ci présente un choix rétrospectif d’œuvres produites ces dernières années par l’artiste autour du concept Bio-Umano ? (notez le point d’interrogation). Italien installé en France, son origine transparaît également dans ce titre (Umano sans H donc).
Son ironie y brocarde l’obsession du bio, organic en anglais. L’intitulé interrogatif du titre de l’exposition Bio-Umano ? renforce l’effet que Virginio Vona a souhaité lui donner. Son sens de la dérision et du décalage s’y plaît à comparer ses séries de portraits d’humains transformés par la technologie, les implants, les greffes ou le clonage, de différents formats et apparences, à des produits bio (!). L’intention parle d’elle-même.
De plus, en liant l’organique et la machine, le but consiste à anticiper sur l’amplification des formes d’hybridation actuelles. Il est question ici du lien entre l’homme et la machine et de son avenir : du déploiement de l’intelligence artificielle et des robots jusqu’au nanomonde, du transhumanisme du cyborg et de l’humain augmenté vers sa dématérialisation totale dans la Matrice. Le « Marionnettiste » (« Puppet Master ») de Ghost in the Shell n’est pas loin...
On reconnaîtra dans ce qu’évoqué précédemment l’un des thèmes essentiels traités par le cyberpunk, ce sous-genre devenu dominant de la science-fiction. Depuis les années 1980 et le film Blade Runner de Ridley Scott, adapté d’un roman fondateur de Philip K. Dick, voire Neuromancien (Neuromancer) de William Gibson, inventeur du terme de cyberespace, sa postérité, cinématographique entre autres, saute aux yeux. Elle a pris une place incontournable dans la culture populaire.
Pour mémoire, c’est autour de 2005 que Virginio Vona a commencé à développer la série de bande dessinée inspirée par ce mouvement Fenice, avec le scénariste Frédéric-Christophe Gaffiat, alias Iah-hel. Ensuite, sur le principe d’un univers étendu, en partant notamment de ses personnages et décors, sa quête d’expérimentation(s) amorcée alors a trouvé à se développer dans le domaine artistique de la peinture.
On en retrouve donc les échos dans l’exposition Cyberpunk à la galerie Art-maniak (Paris) en février 2021 ou dans les paysages urbains futuristes et aux tons expressionnistes de l’exposition chez Marc Breyne à Bruxelles en octobre 2022. Les humains-machines présentés à Montgeron et les œuvres relevant de la peinture et la bande dessinée montrées à Rende procèdent d’une veine identique.
L’artiste transalpin ne compte pas dévier de sa trajectoire, désirant poursuivre de front sa carrière dans les deux domaines. Dès le départ, pour le neuvième art, il a démontré son esprit d’indépendance, demeuré coûte que coûte autopublié et trouvant des sponsors pour garantir sa liberté de création.
Tandis que la période des confinements successifs dus à la Covid a aussi stimulé son envie de s’essayer à un mode d’expression différent. Il la concrétise, avec la complicité de quelques proches, en réalisant le court-métrage d’animation Fobia Androide, adapté de Fenice, montré dans des festivals.
Si l’on esquisse un bref retour sur l’histoire de la bande dessinée, celle-ci s’est longtemps cantonnée à s’inscrire dans des genres et sous-genres, de l’humour à l’aventure, de la science-fiction aux super-héros, etc. De son registre humoristique initial, elle a même conservé en anglais le terme générique pour la désigner de comics.
Certains dessinateurs ont graduellement voulu s’affranchir de cette segmentation en genres au profit d’une conception renforçant leur positionnement en tant qu’auteur. De son côté, depuis des décennies, la pensée critique s’est efforcée d’hisser le neuvième art au niveau des autres, lorgnant du côté de la littérature pour minorer son caractère hybride à cheval sur le texte et l’image. Car cette dernière a pâti durablement de la réputation d’être moins porteuse d’intellectualité que l’écrit, aggravant le préjugé d’infantilisation prêté à la bande dessinée.
Or, pour d’autres de ses professionnels, la notion de genre reste un cadre dans lequel ils souhaitent persister à s’exprimer. Et ceci s’entend y compris sous des formes de plus en plus artistiques et unanimement reconnues de la sorte, comme la peinture, les performances en public du type live painting, le film d’animation, etc. Constatons donc que cette voie conserve ses partisans, quelles qu’en soient les motivations, en dehors de répondre à une demande du public ou d’un éditeur, du désir de se concevoir en continuateur d’une certaine « tradition » à celui de s’imposer une forme de contrainte poétique, pourquoi pas.
Dans la reconnaissance que Virginio Vona est en train de recueillir de la part de « temples » de l’art officiel, le plus remarquable réside sans doute dans le fait que ce processus s’opère sans discrimination envers le cyberpunk, ce sous-genre très important et populaire de la science-fiction duquel son parcours est indissociable. Déjà de mieux en mieux placée pour être vraiment reconnue comme art à part entière, la bande dessinée serait-elle aussi sur le point de surmonter un autre obstacle majeur désormais ?
Parviendra-t-elle à faire coup double et à se disculper définitivement du soupçon de manque d’intellectualité pesant sur elle à cause de l’héritage de sa soumission, volontaire ou contrainte, à la notion de genre ? L’avenir nous le dira. Mais, à ce propos, un Virginio Vona fait bouger les lignes, en y rajoutant ses couleurs.
Voir en ligne : Voir le site de Virginio Vona
(par Florian Rubis)
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En médaillon : vue de l’exposition à Montgeron, lors du vernissage, avec Virginio Vona à l’arrière-plan/Photo : © 2023 Florian Rubis
"VIRGINIO VONA, TRA SEGNO E FUMETTO (VIRGINIO VONA, ENTRE SIGNE ET BANDE DESSINÉE)"
Musée du Présent (Museo del Presente), musée d’art contemporain de Rende (CS, Italie)
Du 17 décembre 2022 au 28 janvier 2023, suite à prolongation
https://www.facebook.com/museo.delpresente
Exposition parrainée par le ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale d’Italie
Curateur : Roberto Sottile
VIRGINIO VONA
"BIO-UMANO ?"
Carré d’Art de Montgeron (91)
2 rue des Bois
Du 10 au 28 Janvier 2023
Tél. : 01 78 75 20 00
www.montgeron.fr/evenement/virginio-vona-bio-umano/
ENTRÉE LIBRE
Mardi et jeudi de 12 h à 18 h
Mercredi, vendredi et samedi de 10 h à 18 h
L’exposition est accessible aux personnes handicapées moteur et à mobilité réduite
Catalogue rédigé par Florian Rubis
Remerciements aux élus et à l’équipe municipale de Montgeron
Voir "Fobia Androide" :
https://unificationfrance.com/article62010.html