"Peau", prix Goscinny du jeune scénariste en route pour Angoulême

Malgré son titre un peu étrange, Vel en flamand ne nous raconte pas exclusivement une histoire d’épiderme, de chair, ou d’écailles même si de nos personnages l’une est une vieille peau, l’autre est mal dans la sienne.

Esther est une jeune femme dans les nuages, qui préfère dessiner et nourrir ses phasmes plutôt que de se soucier d’argent. Rita vient de divorcer et s’habitue à une vie plus solitaire, où elle tente de renouer avec sa fille adolescente. L’une rentre dans la vieillesse, l’autre dans l’âge adulte ; l’une est sûre d’elle, l’autre n’a pas confiance. Et chacune, avec ses failles personnelles, nous emporte simplement dans leur tête dans cet album style tranche de vie.

Peau - Sabien Clement & Mieke Versyp © Ça et Là

On sent dans les dessins l’influence jeunesse - Sabien Clement a derrière elle déjà une carrière d’illustratrice de livres pour enfants. Les deux autrices avaient notamment collaboré en 2007 sur Linus, un album jeunesse primé. Quant à la scénariste Mieke Versyp, qui est également directrice d’une compagnie de théâtre, on ne peut que louer son habileté à alterner entre les points de vue, ce qui pousse en effet les personnages à comme se déshabiller sur scène.

Peau - Sabien Clement & Mieke Versyp © Ça et Là

Les textes tapés à l’ordinateur, dont la seule couleur fait alterner les locuteurs, jonglent entre les voix - celle des protagonistes et du narrateur inconnu, pour créer une distance de plus entre eux, puis entre nous et les personnages, avec une plume simple, touchante, honnête :

"Esther calcula l’âge qu’elle aurait eu si elle était un phasme. Mettons qu’un être humain vive en moyenne 80 ans et un phasme un an et demi, se dit-elle, cela me ferait exactement 9 mois et 7 jours. [...] Mais ce n’était pas le pire, et cette idée faisait frissonner Esther : certains adultes qui avaient perdu trop de pattes ne pouvaient plus s’accrocher pour muer. Ceux-là restaient coincés dans leur ancienne peau, ne pouvaient plus grandir et mourraient."

Peau - Sabien Clement & Mieke Versyp © Ça et Là

Le graphisme est à première vue un peu déstabilisant : très léger, avec des aquarelles vert délavé et des figures allongées qui portent des traits mal définis. Parfois, des touches de rouge et de jaune dans des moments de tension, quand Rita a la peau dure ou quand Esther rencontre un homme. Mais comme du modèle vivant, les corps se délient au fil des pages rythmées par des faux carnets de croquis.

C’est une histoire de vulnérabilité où Esther et Rita ne se rencontrent jamais tout à fait, ne se rapprochent que par nécessité, mais luttent chacune à leur manière pour faire peau neuve.

Peau - Sabien Clement & Mieke Versyp © Ça et Là

Peau fait partie de ces albums auxquels on repense après la lecture pour y déceler un message caché, tant on tente de deviner chez les protagonistes les vraies personnes qu’elles incarnent, les multitudes de vies qui se cachent derrière cette relation anodine. C’est un album en somme que l’on a dans la peau.

En sélection officielle, le livre a aussi remporté le Prix Goscinny du jeune scénariste aux côtés de Thierry Smolderen, qui remporte le Prix Goscinny pour Cauchemars Ex Machina (Dargaud).