Un mec au nom apparemment rigolo, Gottlieb, pas le fondateur de Fluide Glacial, mais plutôt Carl Philipp Gottlieb von Clausewitz, le fameux théoricien militaire prussien, professait que « La guerre n’est que le prolongement de la politique par d’autres moyens. » L’inverse est vrai aussi : la politique est le prolongement de la guerre par d’autres moyens. Cette nouvelle série du Lombard en est l’illustration. Mettant en scène des diplomates, elle éclaire d’un jour nouveau des événements historiques que l’on croyait connus, comme ici les ressorts d’une lutte à mort pour le contrôle de puits de pétrole en Iran en pleine Guerre Froide.
De fait, nous sommes en 1953, à Téhéran. Un jeune diplomate, Jean d’Arven, entre en poste comme ambassadeur de France. Il est le plus jeune ambassadeur de sa promotion. Il est accompagné de son meilleur ami, Jacques, bien moins brillant, devenu son garde du corps et chauffeur personnel, davantage adepte de manœuvres un peu plus discrètes, pour ne pas dire secrètes… Ils se connaissent bien : ils étudiaient sur les mêmes bancs à la faculté des langues orientales de Paris.
Dans cette région du monde, jadis appelée la Perse, on a découvert depuis 1908 les plus grandes réserves de pétrole du monde. C’est dire si l’enjeu est stratégique, prolongement d’un « Grand Jeu » qui opposait depuis un siècle l’Angleterre et la Russie dans la région. Durant la Seconde Guerre mondiale, Reza Shah, le père du dernier Shah d’Iran, proclame que son pays est un pays neutre, ce qui lui permet de fournir du pétrole à l’Allemagne nazie. L’Angleterre et l’URSS contraignirent le monarque à abdiquer en faveur de son fils, Mohammad Reza Pahlavi plus accommodant avec les Alliés. En 1943, il déclare même la guerre à l’Allemagne, ce qui lui permet d’intégrer les Nations Unies, tandis que la fameuse Conférence de Téhéran entre Churchill, Roosevelt et Staline, confirme notamment l’indépendance du pays. Arrive la Guerre Froide et notre histoire.
La première opération internationale de la CIA
La France, l’Angleterre, mais surtout les USA s’intéressent de très près aux réserves pétrolières du pays, d’autant que les Soviétiques, par l’intermédiaire du Parti Communiste iranien, le Tudeh, déstabilisent le régime et tentent de créer un Azerbaïdjan iranien et même une république du Kurdistan à leur botte.
Le Premier Ministre Mossadegh profite de ces rivalités entre grandes puissances pour nationaliser l’exploitation du pétrole iranien. C’est là que les Français ont une carte à jouer en apportant de la technologie en échange de concessions auprès de ce nouveau producteur de pétrole indépendant. L’album montre les liens entre la diplomatie française et le régime de Mossadegh.
Mais celle-ci doit composer avec des compagnies pétrolières hexagonales qui n’hésitent pas à se tirer dans les pattes entre elles. Mais ni les entreprises, ni la chancllerie n’ont anticipé le coup d’état mené par la CIA, dont c’est la première action dans l’après-guerre, qui installe la dictature du Shah sur la région. Nos héros sont au cœur de cette bataille géostratégique.
Cet album est formidablement dessiné par Christophe Simon dont le dessin classique -c’est un ancien assistant de Jacques Martin, le dessinateur d’Alix et de Lefranc- s’est amélioré encore depuis qu’avec son Corentin, il a infléchi son dessin vers celui de Paul Cuvelier. Une preuve de son savoir-faire ? Cette couverture très réussie, avec son effet de gravure en taille-douce, comme sur les billets de banque.
C’est surtout un récit très bien raconté par Tristan Roulot qui avait déjà tâté de la géopolitique dans son thriller financier Hedge Fund et qui s’appuie, pour cette histoire, sur les archives déclassifiées du Quai d’Orsay avec une remarquable réussite. Une passionnante nouvelle série que l’on suivra avec intérêt.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Chroniques Diplomatiques T.1 : Iran 1953 - Par Tristan Roulot et Christophe Simon - Le Lombard
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