Daniel Maghen met Pellerin et Batem à l’honneur

Les collectionneurs le savent : le mois de juin est l’un des deux moments charnières de l’année où les plus belles pièces se vendent lors de ventes aux enchères prestigieuses. Un mois qui a d’ailleurs très bien commencé avec la vente Huberty & Breyne, lors de laquelle des œuvres de Tillieux, Morris et Hermann ont battu, on vous l’a raconté, d’impressionnants records de vente.

Les habitués répondent « présent »

La seconde vacation très attendue reste bien entendu celle de Daniel Maghen. Et une fois de plus, les amateurs seront éblouis par les 169 pièces que le galeriste a pu rassembler. Ce dernier peut compter sur un groupe d’auteurs qui lui sont fidèles, et qui ont déjà pu bénéficier des honneurs de précédents catalogues spécialement dédiés. Ainsi retrouve-t-on une demi-douzaine de pièces d’André Juillard, issues de l’univers des Sept Vies de l’épervier, du Cahier bleu et de Blake et Mortimer. On retrouve aussi plusieurs planches et illustrations de Ted Benoît mettant également à l’honneur le célèbre tandem de Jacobs.

André Juillard - Le Cahier bleu, Casterman 1994

Sans surprise (mais toujours avec bonheur), Jean-Pierre Gibrat a répondu présent avec des planches tirées du Vol du Corbeau, de Mattéo et du Sursis, ainsi surtout que quelques très belles couvertures et illustrations qui risquent une fois de plus d’affoler les enchères.

Désormais également habitué de la maison depuis le catalogue qui lui a été consacré il y a deux ans, Matthieu Bonhomme a repris la célèbre couverture de Lucky Luke contre Joss Jamon, et propose une planche du premier tome de Charlotte impératrice.

Rosinski est à nouveau de la partie, avec une planche d’Au-delà des Ombres (Thorgal), ainsi qu’une des dernières pages du Grand Pouvoir du Chninkel, l’une de celles où le jeune héros, comprenant la mission qui lui était confiée, accepte le funeste sort qui en découle. Ce n’est sans doute pas la planche la plus graphique du premier roman graphique de Rosinski, mais certainement l’une des plus fortes en termes d’émotion, pour ce qui reste l’un des one-shots les plus vendus de la bande dessinée européenne.

Rosinski - Le Grand Pouvoir du Chninkel, Casterman 1988

Les grands maîtres

Comme une symphonie, Daniel Maghen a composé sa vente en alternant ses auteurs fidèles à quelques pièces d’auteurs mythiques du neuvième art, sans qui cette vacation n’aurait pas le même prestige. Citons pêle-mêle Bilal et deux très belles planches en couleurs directes de Partie de chasse, Giraud et deux planches de Blueberry réalisées à deux moments très différents de la carrière de l’auteur, Mézières avec deux planches de Valérian, Le Pays sur l’étoile et L’Ambassadeur des ombres, sans oublier Tardi, Uderzo, Greg et d’autres.

Bilal - Partie de chasse, Dargaud 1983

Parmi les têtes d’affiches du Journal Tintin, on retrouve deux pièces de Cuvelier dont un magnifique work in progress de Corentin, comme si l’auteur allait reprendre son travail dans l’instant qui suit. On profite également d’un superbe échantillon du travail de Jacques Martin, dont le 4e de couverture de L’Odyssée d’Alix, une planche des Légions perdues, un album considéré comme l’un des sommets du maître de la reconstitution historique, ainsi que l’original d’une des Scènes de la vie antique, un monument de détails !

Jacques Martin - Scènes de la vie antique, 1983

Pas d’Hergé, ni de Jacobs, mais par contre un beau double dessin de Franquin, avec Gaston dans sa Fiat, réalisée pour la fabrication d’un sweat-shirt. Gotlib n’est pas oublié, avec la double page d’une parodie des Cinq Dernières Minutes présentée comme inédit en album ! N’oublions pas non plus Tillieux, dont on verra si la cote se maintiendra après les deux records atteints la semaine dernière.

Impossible également d’omettre William Vance, dont la vente d’une des couvertures de Ramiro avait atteint des records de la précédente édition. Dès lors, Maghen propose cette fois l’une des plus magnifiques couvertures de Bruce J. Hawker, et lui fait même l’honneur de la couverture de son catalogue général, c’est dire l’importance que le maître belge aux yeux du galeriste parisien, sans oublier une planche de XIII et une magnifique illustration à la mine de plomb du Major Jones, aussi présents dans cette vente.

William Vance a l’honneur de la couverture du catalogue général de cette vacation

Vance

Maghen présente par ailleurs quelques pièces d’auteurs qui se retrouvent plus souvent dans le catalogue d’Huberty & Breyne, comme cette très belle illustration de saloon pour Bouncer signé par François Boucq, ainsi qu’une demi-douzaine d’œuvres de Milo Manara. Pour ce dernier, on retrouve une planche du Parfum de l’Invisible, et surtout deux plus récentes illustrations du maître italien, utilisée pour des rééditions italiennes du Déclic et de Giuseppe Bergman, l’une dans de magnifiques couleurs, et la seconde dans un parfait équilibre de noir et blanc, comme les deux faces d’une médaille qui démontre tout le talent de cet immense auteur.

Également mis à l’honneur par la couverture de la précédente vacation, les gouaches de Pierre Joubert composent des tableaux en dehors du temps, où le scoutisme, le partage et la vie en groupe sont autant de valeurs dont l’artiste témoigne dans ses compositions.

Enfin, saluons la demi-douzaine de pièces signées par le regretté Michel Plessix. Qu’il s’agisse de crayonnés, de planches encrées, ou de magnifiques illustrations en couleurs, son talent et sa sensibilité transparaissent sans aucun doute au sein de ces œuvres à la poésie bucolique.

Pierre Joubert - Illustration pour le calendrier FSCBPB 1953

Les attendus

Certains auteurs sont plus rares en vente aux enchères, même s’ils disposent déjà d’une carrière aussi impressionnante que celle de Didier Tarquin. De quoi espérer que les collectionneurs montreront de l’intérêt de cette planche de Lanfeust de Troy, surtout qu’il s’agit d’une des premiers tomes de ce qui reste comme l’une des plus grandes sagas d’Heroic-Fantasy humoristique du genre.

Didier Tarquin - Lanfeust de Troy T.3 - 1996.

D’autres auteurs et illustrateurs disposent également d’une pièce ou l’autre, au sein de cette prestigieuse vacation. Impossible de tous les énumérer, mais dans le domaine du space-opéra, citons tout de même Serge Pellé avec une couverture d’Orbital, ainsi que cette magnifique illustration réalisée par Manchu.

Manchu - Scrap Dealers 2, illustration originale réalisée en 2022

Pellerin en majesté

Deux invités d’honneur font l’objet de catalogues qui leur sont exclusivement réservés. Ces ouvrages s’apparentent à de petites biographies, où le soin de la reproduction des pièces se dispute à d’intéressants dossiers au sein desquels ces auteurs ont l’occasion de témoigner de leur passion pour le dessin.

Concernant Patrice Pellerin, il s’agit autant de dessin que de rigueur historique. Une implication pleinement comprise par les fans de l’auteur, qui attendent patiemment plusieurs années entre chacun de ses albums, le temps que Pellerin puisse rassembler la documentation nécessaire et consciencieusement leur faire revivre le passé.

La dizaine de pièces rassemblées brosse d’ailleurs largement la carrière de l’auteur. Deux planches de Barbe-Rouge, scénarisée par Jean-Michel Charlier, avant que le décès de celui-ci ne force Pellerin à transformer Éric, le fils de Barbe-Rouge, en L’Épervier, le dotant d’une grande cicatrice pour différencier les deux personnages.

Patrice Pellerin - L’Epervier T.4, Dupuis 1999.

Avec L’Épervier, Pellerin prend son envol, pour le bonheur de ses lecteurs. La sélection retrace ces étapes importantes, avec des planches qui rassemblent la mer, les bateaux, et les personnages principaux. Citons ainsi la planche 38 du tome 4 intitulé Captives à bord, où l’on retrouve non seulement La Méduse, le fameux bateau du héros, mais aussi la belle Marion.

Agnès de Kermellec est également à l’honneur d’une illustration en couleurs. Des aquarelles que solliciteront sans aucun doute les amateurs, qui feront monter les prix bien plus haut que les valeurs d’estimation affichées !

Patrice Pellerin - L’Epervier, Archives secrètes, Dupuis 2006

Batem : aux côtés du Marsupilami

Second invité de prestige : l’illustre [Batem qui préside à la destinée du Marsupilami, depuis que Franquin lui en a confié la tâche il y a trente-cinq ans. Une vie d’investissement au sein de laquelle Luc Batem a pu démontrer combien il méritait la confiance du maître, en insufflant une vie bondissante dans chacune de ses planches.

Une énergie et des détails foisonnants qui se retrouvent évidemment dans la sélection opérée par Daniel Maghen. Des planches qui débutent dès le tout premier album de Marsupilami, lorsque Franquin pouvait encore conseiller le jeune auteur qu’était Luc Batem à l’époque, jusqu’à des parutions plus proches de nous et qui ont tout autant marqué les lecteurs.

Batem - Le Marsupilami T.18, Marsu Productions 2005.

L’artiste sait également jouer avec la couleur, en proposant des magnifiques compositions chatoyantes à la gouache, ou d’autres où la touche de couleur permet paradoxalement de mettre en exergue tous les détails réalisés à l’encre.

Batem, une vie en dessins, Dupuis 2021

Vacation après vacation, Maghen continue donc à imprimer sa marque avec un goût sûr, une appétence à défendre les artistes auxquels il croit, tout en continuant de proposer une offre large, contemporaine, sans négliger le patrimonial. Les résultats devraient une fois de plus confirmer cette stratégie payante.