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Eileen Hofer et Christopher : "On a senti qu’Audrey nous remerciait le jour du vernissage de l’exposition... " [INTERVIEW]

Par Gaëlle BEDIS le 14 septembre 2023                      Lien  
C'est avec le salon Le Livre sur les Quais de la ville suisse de Morges que l'exposition "Audrey Hepburn, une vie en bande dessinée" a tiré sa révérence le week-end du 1er au 3 septembre 2023. L'occasion pour ActuaBD d'interviewer Eileen Hofer et Christopher, les auteurs du roman graphique dont le travail a été mis en avant depuis le 1er juillet au Musée Bolle, avec la complicité de son conservateur, Salvatore Gervasi.

Bonjour Eileen, bonjour Christopher ! Si cela vous va, entrons tout de suite dans le vif du sujet : comment en êtes-vous venus à travailler ensemble sur une bande dessinée ayant pour sujet Audrey Hepburn ?

Christopher  : Tout est parti d’une discussion avec mon éditrice chez Michel Lafon, Laetitia Lehmann. Je venais chercher un ouvrage sur Audrey Hepburn, quelque chose qui sortirait un peu des biographies classiques sur l’actrice mais elle n’avait rien de ce genre. En revanche, ses yeux se sont illuminés quand j’ai dit "Tu te rends compte qu’il n’y a aucun graphique sur elle ?" : à partir de ce moment, le projet était lancé ! Je précise que Laetitia a dirigé la collection de Catel et Bocquet chez Casterman, ce qui explique son emballement !

C’est ma femme qui m’a ensuite mis en relation avec Eileen dont elle connaissait le travail. En effet, je voulais absolument un point de vue féminin pour la partie écrite. Je trouvais important d’insister sur la relation qu’Audrey avait eue avec son père et qu’elle serait mieux rendue si une femme écrivait le scénario. Avec Eileen, ça a fonctionné tout de suite : elle a bien compris l’importance de l’absence du père et de la relation père/fille qui a conditionné toute la vie d’Audrey et elle l’a développée d’une manière subtile et intelligente. Et je me connais, si je devais écrire le scénario, j’y serai encore dans cinq ans !

Eileen Hofer : Il se trouve de mon côté qu’au moment précis où Christopher m’a contactée pour me proposer de travailler avec lui sur cette biographie, j’étais en train de faire le circuit Audrey Hepburn à Tolochenaz, le village où elle a vécu et est enterrée. La coïncidence était trop belle pour ne pas y voir un signe ! J’ai aussitôt accepté.

Combien de temps avez-vous travaillé sur l’album, ensemble et séparément ?

Eileen Hofer  : Christopher m’a contactée pour la première fois en avril 2021 et j’ai commencé mon travail de recherches à partir de juin de la même année. Cela incluait non seulement les recherches documentaires mais aussi les financements, ce qui a pris pas mal de temps. J’ai vraiment entamé la construction du scénario en février 2022 et je l’ai poursuivi sur une bonne partie de l’année.

Christopher : Comme on était d’accord sur le ton et l’angle d’approche, Eileen a écrit le scénario d’une traite pendant que je faisais mes propres recherches documentaires tout en terminant mes projets en cours. Comme nous avions une deadline pour une sortie en juin 2023, il a fallu que je mette les bouchées doubles. En novembre 2022, on s’est dit que ça serait bien d’envoyer les cinquante premières planches à Luca Dotti, le fils cadet d’Audrey Hepburn, histoire d’avoir un retour. Il fut au-dessus de nos attentes !

Eileen Hofer et Christopher : "On a senti qu'Audrey nous remerciait le jour du vernissage de l'exposition... " [INTERVIEW]
Extrait de l’interview de Luca Dotti - Audrey Hepburn, 2023
Première page de l’interview de Luca Dotti, fils cadet d’Audrey Hepburn, dans le roman graphique éponyme d’Eileen Hofer et Christopher.
© Christopher (dessin)

Justement, comment avez-vous réussi à impliquer à ce point le fils cadet d’Audrey Hepburn dans votre projet ?

Christopher  : Notre éditeur avait besoin de la validation d’un des ayants droits d’Audrey Hepburn pour que le projet soit validé sur le plan juridique et puisse se faire donc nous avons rapidement cherché à contacter Sean Ferrer et Luca Dotti [1]. Mais c’est davantage toi Eileen qui a géré ce côté-là, je la laisse expliquer...

Eileen Hofer : C’est vrai qu’en tant que journaliste, j’ai l’habitude de rechercher des personnes et leurs coordonnées ! Quand j’ai obtenu les adresses mail des fils d’Audrey, nous leur avons envoyé un courriel leur expliquant notre projet et demandant leur accord pour le réaliser. Et très vite, Luca Dotti s’est distingué comme le plus réceptif et le plus accessible des deux. Il nous a rapidement envoyé un accusé de bonne réception pour nous demander un peu de temps pour lire notre présentation. Il est revenu quelques jours plus tard avec son feu vert. On a aussi pu organiser au fil des mois des visioconférences avec lui. Il me fait beaucoup penser à sa mère par sa générosité, sa politesse, sa bienveillance. Quand nous lui avons fait parvenir les premières pages du projet, sa réponse a été enthousiaste : il ne s’attendait pas à ce que nous mettions en avant la femme autant que l’actrice. A partir de ce moment, il s’est complètement investi et nous a apporté une aide précieuse sur plusieurs détails de la vie d’Audrey.

Lesquels par exemple ?

Christopher  : J’en ai deux qui me viennent en tête. Le premier concerne la mise en pension d’Audrey en Angleterre en 1939. Les dates n’avaient jamais été connues précisément, on avait une fourchette entre septembre 1939 et mai 1940, ce qui pour moi en tant que dessinateur perfectionniste était insuffisant comme information. Quand j’ai appelé Luca pour lui demander s’il savait quand sa mère était partie en Angleterre exactement, il m’a simplement répondu "Ne quittez pas, je vais vérifier sur son passeport...". C’est fou quand on y pense !

L’autre exemple concernait un de mes dessins où j’avais représenté Audrey en train de fumer pendant qu’elle traversait la rue pour aller chez Givenchy. La remarque de Luca a été "Maman ne fumait jamais en public". C’est ce genre de détails qui, pour un dessinateur comme moi, fait toute la différence, car il rend le dessin vivant et réaliste pour celles et ceux qui ont côtoyé Audrey et c’est cela que je cherche à atteindre dans mes représentations.

Mais l’aide a été réciproque aussi ! Grâce aux recherches approfondies d’Eileen sur les personnes ayant côtoyé Audrey ou les endroits où elle avait pu vivre et passer, Luca a découvert des éléments de la vie de sa mère qui lui étaient encore inconnus.

Comment vous est venue l’idée du découpage en saisons ?

Eileen Hofer  : On était d’accord avec Christopher qu’il nous fallait des chapitres et c’est en regardant le film Printemps, été, automne, hiver.. et printemps [2] que j’ai eu cette idée. J’ai commencé par l’hiver avec la jeunesse d’Audrey, marquée par la guerre et les privations, puis enchaîné avec le printemps, qui correspond au moment où sa carrière éclôt et où elle-même commence à s’épanouir et à se révéler. L’été est l’apogée de sa carrière, avec tous ses grands films comme Sabrina , Vacances romaines et surtout Breakfast at Tiffany’s, ainsi que le moment de sa rencontre déterminante avec Hubert de Givenchy. Enfin, l’automne marque le ralentissement volontaire du cinéma au profit de son action auprès de l’UNICEF.

Christopher  : On avait deux choses à l’esprit avec notre éditrice pour ce roman graphique : on voulait une BD chronologique et peu de textes hors cases. C’est vrai que la structure en saisons s’est vite imposée comme une évidence !

Eileen Hofer et Christopher dans la galerie des portraits d’Audrey Hepburn - 1er septembre 2023, Musée Bolle, Morges, Suisse
Eileen Hofer et Christopher posent devant les portraits réalisés spécialement pour l’exposition du musée Bolle - 1er septembre 2023
© Christopher (dessin) - © Gaëlle Bédis (photographie)

Le noir & blanc donne une dimension intemporelle à votre album : était-ce volontaire ?

Christopher  : Oui, tout à fait. Cela évitait déjà de faire appel à un coloriste, ce qui aurait allongé la durée de réalisation. Et puis, d’un point de vue personnel, je trouve que la couleur fatigue vite l’œil lorsqu’on lit, surtout quand un album est aussi long que le nôtre.

Eileen Hofer : Il fait en effet 320 pages, c’est assez conséquent ! Et puis comme l’a dit Christopher plus tôt, Laetitia Lehmann a aussi dirigé la collection des biographies graphiques de Casterman où le noir et blanc fonctionne très bien. Il y avait donc une logique à rester sur cet axe.

Eileen, quelles ont été les différences, les difficultés rencontrées par rapport à votre précédent album "Alicia, Prima ballerina Assoluta" ?

Ça n’a clairement rien à voir ! L’approche est totalement différente puisque pour Alicia, j’avais déjà réalisé un long métrage à son sujet et je l’ai rencontrée. J’ai aussi vécu à Cuba, ce qui aide beaucoup pour la reconstitution des faits et l’accès aux archives. Quand je me suis lancée dans le projet de mettre Alicia en BD, il était bien sûr exclu que je reprenne mon film tel quel. Je suis donc allée chercher dans les rushes et les passages coupés ce qui pouvait être réexploité et mis en valeur dans un roman graphique.

Avec Audrey Hepburn, le travail était beaucoup plus indirect dans le sens où je n’ai eu connaissance de ce qu’elle était qu’à partir de sources tierces. J’ai pu rencontrer quelques personnes qui l’avaient côtoyée, notamment son fils mais en dehors de cela, tout le reste a été du pur travail de recherche. J’ai plus fait œuvre d’historienne que de journaliste !

Laquelle des deux a été la plus difficile à quitter : Alicia ou Audrey ?

Eileen Hofer : Audrey, sans hésiter ! Elle m’a vraiment accompagnée tout au long de l’écriture avec de jolies synchronicités. J’ai senti au vernissage de l’expo qu’elle avait fait son job et qu’elle était heureuse de voir ses amis et voisins réunis autour d’un verre. Mais elle revient occasionnellement dans ma vie. Elle a tâché de confiture de myrtilles une robe que j’avais prévu de mettre pour un reportage au Journal de France 3, comme un signe pour me dire que je pouvais trouver un ensemble plus joli. (rires)

Christopher  : Moi non plus, elle ne m’a pas vraiment quittée...

Eileen Hofer et Christopher - 1er septembre 2023, Musée Bolle, Morges, Suisse
Christopher et Eileen Hofer parlant de leur roman graphique "Audrey Hepburn" au musée Bolle, le 1er septembre 2023.

Christopher, quelle a été la planche la plus difficile à réaliser ? Et celle que vous avez adoré faire ?

Difficile sur quel plan ? Graphiquement, émotionnellement ?

Les deux !

Christopher  : Alors les plus difficiles émotionnellement ont été les planches en lien avec la guerre et les nazis, puisque que pour m’imprégner de l’ambiance, je regardais tous les documentaires traitant de ce sujet en même temps que je réalisais mes dessins. Les planches sur l’UNICEF ont aussi été compliquées car faire ressortir la souffrance est assez ardu.

Sur le plan graphique, le plus dur a été de dessiner des éléments de décor ou des sets de tournage sur lesquels je n’avais absolument aucune information, aucune photo. Et représenter des enfants n’est définitivement pas ce que je préfère (rires) !

En revanche, j’attendais avec impatience de pouvoir réaliser la double page de Breakfast at Tiffany’s ! (Il cherche dans l’album et montre les pages 234-235) Celle-là, c’est ma préférée !

L’idée de réaliser une exposition sur votre album était-elle prévue dès l’origine ?

Eileen Hofer : Complètement ! Dans le cadre de mes recherches de financement pour que la BD puisse voir le jour, j’ai contacté de nombreuses personnes dont le conservateur du musée Bolle, Salvatore Gervasi, figure incontournable quand on s’intéresse de près à Audrey. Il a tout de suite été intéressé par le projet et nous a donné accès aux archives du musée qui organise chaque année une exposition sur Audrey. La mise en valeur de notre album sous cette forme allait donc plus ou moins de soi.

"Audrey Hepburn, une vie en bande dessinée" - 2023
Panneau annonçant l’exposition "Audrey Hepburn, une vie en bande dessinée" au musée Bolle de la ville de Morges en Suisse.
© Gaëlle Bédis (photographie)

M. Gervasi, vous avez l’habitude de réaliser des expositions sur Audrey Hepburn. Avez-vous rencontré des difficultés particulières par rapport au format graphique que vous deviez mettre en avant cette année ?

Salvatore Gervasi [3] : Pas vraiment ! Comme le disait Eileen, j’ai suivi le projet dès le début, comme tout ce qui tourne autour d’Audrey Hepburn, dans l’idée de m’assurer de la qualité de ce qui allait ressortir de tout cela et j’ai très vite été rassuré ! Eileen et Christopher ont aussi beaucoup facilité la mise en place des éléments, on a vraiment pu co-construire ce projet à trois.

Le concept de l’exposition de cette année consistait à s’immerger dans la BD en se promenant dans nos salles et de lier les planches avec les objets que nous avons dans notre musée, dont la vraie chaise de tournage d’Audrey pour My Fair Lady par exemple. Je redoutais juste que le public soit surpris de se retrouver devant des dessins et pas des photographies mais mes craintes ont vite disparu devant l’enthousiasme des visiteurs. Beaucoup de gens ont été ravis d’avoir un autre regard sur Audrey.

Comment le choix des planches à exposer s’est opéré ?

Eileen Hofer et Christopher (montrant Salvatore Gervasi du doigt) : C’est lui qui a tout choisi !

Salvatore Gervasi  : En effet, il était convenu dès le départ que je sélectionnerais les planches et les éléments à exposer et que je concevrais le parcours muséographique. Pour le portfolio de portraits d’Audrey que nous vendons et certains dessins originaux comme ceux de l’entrée du musée et la porte près de l’escalier, j’ai demandé à Christopher de les créer.

Christopher  : Et ça n’a pas été simple compte tenu des délais ! J’ai terminé le dessin de la porte du placard quelques heures avant l’exposition !

Audrey Hepburn dans son jardin - Musée Bolle, 2023
Dessin représentant Audrey Hepburn dans le jardin de sa maison La Paisible. Réalisation de Christopher pour l’exposition "Audrey Hepburn, une vie en bande dessinée" du Musée Bolle, du 1er juillet au 3 septembre 2023.
© Christopher (dessin) - © Gaëlle Bédis (photographie)

Que va devenir l’exposition ?

Salvatore Gervasi : une partie va partir à Genève pour y être conservée et le Musée Bolle gardera aussi quelques éléments. L’idée est bien évidemment de réutiliser le matériau de grande qualité qui a été créé cette année pour le réexploiter dans le cadre des futures expositions sur Audrey Hepburn et le faire durer.

Christopher : Certains dessins originaux seront également visibles lors de notre exposition à venir à la Galerie Paris Cinéma Club du 21 septembre au 15 octobre 2023, mais son concept sera différent.

Eileen, Christopher, pour conclure : quels sont vos projets à venir ?

Eileen Hofer : Top secret pour l’instant ! Je ne peux rien dire puisque rien n’est sûr... mais j’ai un rendez-vous dans 45 minutes à ce sujet !

Christopher  : Pour moi, c’est un projet sur les Beatles ! Et puis on a aussi notre tournée de dédicaces et le Festival de vendredi à dimanche où on sera présents pour signer nos albums et assurer une conférence ! On sera également présents à Paris pour le vernissage de la nouvelle exposition le 21 septembre.

(par Gaëlle BEDIS)

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Code EAN : 9782749950624

Une nouvelle exposition sur le roman graphique Audrey Hepburn aura lieu à la Galerie Paris Cinéma Club, du 21 septembre au 15 octobre 2023, en présence d’Eileen Hofer et Christopher le soir du vernissage.

[1Ndlr : les fils qu’Audrey a eu avec respectivement l’acteur Mel Ferrer et le psychiatre Luca Dotti

[2NDLR : du réalisateur coréen Kim Ki-Duk, sorti en 2004

[3conservateur du musée Bolle, NDLR

Michel Lafon ✍ Eileen Hofer ✏️ Christopher tout public Biopic Suisse
 
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