La situation de Michel ne semble pas avoir beaucoup évolué depuis Les Temps modernes (L’employé du Moi, 2018). Toujours passionné de radio, il continue d’effectuer des reportages de-ci de-là. Mais il doit aussi accepter de travailler simplement pour remplir son assiette, même s’il a du mal à en supporter les contraintes. Côté cœur, le calme règne et le numérique n’y change rien.
Tout n’est pas sombre pour autant. Il réalise parfois de très bons reportages qu’il parvient à faire caser dans les programmes de telle ou telle radio. Il est même invité à participer à un festival, ce qui lui faut chaud au cœur, lui remonte le moral et lui ouvre des perspectives. Il voit aussi régulièrement un couple d’amis, sur qui il peut compter, et ses parents, certes vieillissants mais encore soudés.
Michel tient davantage du gentil loser que du « fils des âges farouches ». Il n’a pas grand chose du mâle alpha. La calvitie et la bedaine ne favorisent pas son sex appeal. Il enchaîne les bourdes et collectionne les déceptions. Alors qu’il parvient à peine à subvenir à ses propres besoins, il doit commencer à envisager la perte progressive d’autonomie de ses parents. Quand ses amis ont un enfant, il est heureux pour eux, mais cela le renvoie aussi à sa propre solitude. Bref, Michel est un antihéros, moderne certes, mais bien peu en veine quand même.
Comme tout antihéros digne de ce qualificatif, Michel n’est pas sans qualité. Généreux malgré des fins de mois difficiles, attentionné envers ses proches, prêt à rendre service, il s’intéresse à la marche du monde non pas pour participer au tourbillon médiatique, lui qui fait de la radio, mais pour se mettre du côté des humbles et de ceux qui luttent contre le libéralisme effréné et frénétique. Michel est donc loin d’être un super-héros, mais c’est avec lui que nous aimerions partager un apéritif, plutôt qu’avec un Largo Winch rutilant.
Pierre Maurel emploie souvent le contraste entre la situation de son personnage, peu reluisante sans être catastrophique, et ses qualités humaines pour créer de courts récits drôles, parfois loufoques, parfois absurdes. Les gaffes de Michel et les coïncidences malencontreuses provoquent quelques quiproquos ou moments gênants - malaisants écriraient les journalistes reproducteurs des tics de langage de leur époque - qui inspirent un mélange de pitié et d’amusement. Mais si Michel est un peu malmené, ce n’est jamais avec méchanceté et l’écriture de Pierre Maurel est assez fine pour entraîner ce qu’il faut d’empathie pour profiter de la lecture sans tomber dans le pathos.
Les petites (més-)aventures de Michel sont aussi une excellente façon de faire ressortir les absurdités des nouveaux « âges farouches » : la société néo-libérale, de l’ubérisation des travailleurs et de l’ambiance « start-up nation » qui prévalent en France et ailleurs. De moins en moins de villes et villages sont desservis par le train, mais il existe des applications virtuelles pour prendre le bus... Michel, dans le moindre de ses emplois, est sur un siège éjectable. C’est qu’il faut être flexible, c’est-à-dure prêt à sacrifier sa vie personnelle au profit du fonctionnement de l’entreprise !
Au rythme où vont les choses, Pierre Maurel ne risque pas de manquer de matière pour ballotter son Michel d’une déception à une maladresse, dans un monde qui ne tourne plus très rond et qui va surtout beaucoup trop vite pour lui. Nous le retrouverons donc très probablement, que ce soit dans les revues Bento (Radio as Paper) ou Le Voltigeur (Ouïe/Dire) ou, bien sûr, chez L’employé du Moi.
(par Frédéric HOJLO)
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Michel, fils des âges farouches - Par Pierre Maurel - L’employé du Moi - 16 x 23 cm - 80 pages en noir & blanc - couverture cartonnée, dos toilé - parution le 19 mars 2019.
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Pierre Maurel place Michel face aux affres des temps modernes