Fils et pères - Anthony Bertrand - La Boîte à Bulles

Le récit s’attache à montrer comment Thomas appréhende sa propre construction alors que ses attaches sont fragiles au regard des normes sociales qu’il avait intégrées. Mais aimer un homme et vivre avec lui sont progressivement dédramatisés et banalisés. S’il ne manque pas d’amour parental, à 30 ans, Thomas souhaite rencontrer ses parents biologiques, l’occasion de créer des liens forts avec ses demi-frères, et reconstitue ainsi pas à pas le puzzle de sa vie. Désireux d’être père lui-même, il raconte enfin son parcours pour construire une famille avec son compagnon, ce qui se concrétisera dans une coparentalité avec un couple de femmes.

Cette histoire autobiographique, au dessin sobre, marque par sa sensibilité et sa simplicité : sans jamais revendiquer ou se situer dans une posture militante, Anthony Bertrand illustre par les faits la volonté de savoir (ses origines) et d’avoir le choix (d’aimer qui l’on veut et d’avoir des enfants). Or, les obstacles sont nombreux, et Thomas rencontre des émotions diverses, d’autant que la recherche de ses parents est surtout solitaire car son compagnon ne le soutient pas forcément dans sa démarche.

L’ouvrage aborde aussi les difficultés du couple, non seulement à devenir parents (avec Thomas comme père biologique), mais aussi à résister au temps qui passe. Ces difficultés sont toutefois traitées avec distance, comme s’il fallait de toute façon composer avec. Qu’elles qu’elles soient, elles sont relatées dans une logique de compréhension des positions de chacun (parfois, un focus est fait sur l’un des personnages, qui fait part de ses impressions comme si on le recevait en privé), sans chercher à dénoncer ou à accuser. On dénote ainsi une grande sensibilité et une grande tolérance de l’auteur à accepter les aléas de sa vie.

Cette démarche peut aussi être frustrante tant les questions abordées interpellent, sans être abordées de front : on sent par exemple tout le poids qui pèse sur un jeune homme qui se découvre une sexualité qui sort des modèles qu’il connaît, ou encore la nécessité, jamais dite explicitement, pour des couples homosexuels de prouver qu’ils seront de "super-parents" pour "mériter" la procréation ou l’adoption.

Cette posture apaisée aux choses s’explique peut-être par le fait que ce récit était initialement destiné au propre fils de l’auteur, dans une logique de transmission filiale, avant que cette version ne soit revue dans une logique éditoriale après avoir été reçue favorablement par La Boîte à Bulles. Si elle donne l’impression de passer à côté de la dimension politique des sujets, elle permet cependant à chacune et à chacun de ne pas se voir proposer une interprétation potentiellement clivante.

Enseignant en arts appliqués, Anthony Bertrand propose une première bande dessinée touchante et qui peut être lue par tous.