Retour en 2010, dans un lycée privé de Normandie. C’est l’époque des slims, des babyrockeurs, des téléphones à clapets, des premiers cafés... On appelle le groupe des élèves populaires les "fraîcheurs". La définition du terme est la seule information délivrée en quatrième de couverture...
Les fraîcheurs sont beaux, riches, jeunes... Tout pour faire rêver. La jeune Pia n’y échappe pas, débarquant pour sa dernière année de lycée dans cet établissement privé. Celle qui a toujours été scolarisé dans le public découvre ce monde où les autres sont "BG" et "trop bien sapés". Lorsque Diane lui propose de boire un café avec sa bande, Pia n’hésite pas. Elle aussi voudrait être une fraîcheur, avoir un mec, faire des soirées... Quitte à laisser tomber Pauline, sa seule copine, rencontrée pendant son job d’été.
Diane prend Pia sous son aile. Il lui faut alors s’acheter des vêtements, fumer, aller à un concert. L’héroïne suit, sans trop se poser de questions. Elle rencontre David, un étudiant de trois ans son aîné, un pianiste moustachu au charisme évident. Là non plus, la jeune ado ne réfléchit pas trop. Avec lui, elle décide de faire sa première fois qui se déroule rapidement, sans trop de tendresse. C’est fait. Mais jusqu’où cette quête de reconnaissance mènera la lycéenne ?
Dans ce roman graphique qui nous immerge dans l’intimité profonde d’une ado de 16 ans, Marguerite Boutrolle raconte une histoire que beaucoup de femmes bientôt trentenaires ont vécue. En portant un regard sans jugement à travers l’histoire de Pia, elle met en lumière la difficulté des adolescents à être acceptés. Le regard des autres est un poids massif et assujettissant à cet âge où les rapports sociaux se complexifient. Le microcosme du lycée implique le début des injonctions que subissent aussi les adultes : être à la mode, être mince...
C’est l’âge des premiers émois. Et des premiers ébats. Pas toujours joyeux et tendres. Comment appréhender la sexualité quand on n’ose pas parler de ses interrogations ? La relation amoureuse qui lie Pia à David soulève des questions et met mal à l’aise. Une violence douce et dissimulée s’insinue, mais qui apparaît clairement pour le lecteur averti d’aujourd’hui. La notion de consentement a été médiatisée dernièrement, notamment pendant le mouvement #MeToo. La jeune fille ne dit pas non, mais elle ne dit pas oui non plus. Elle semble être sous l’emprise de ce garçon plus âgé, musicien... Une mise en lumière de la "zone grise" de cette notion nécessaire, mais ambiguë.
Sans trop de texte, les illustrations parlent d’elles-mêmes. Grâce à des gros plans sur le visage de l’héroïne, l’autrice traduit avec clarté les émotions et sentiments qui traversent la jeune fille. Le dessin monochrome de Marguerite Boutrolle inscrit l’album dans une simplicité graphique qui permet de se concentrer sur l’essentiel. Des chapitres sont délimités par des doubles pages noires, comme des coupures cinématographiques. Ces interruptions donnent un effet discontinu et haché à l’ensemble. Elles permettent aussi des respirations, offrant des instants de réflexions après des épisodes parfois désagréables.
Un témoignage intelligent et frappant sur l’adolescence et ses accidents auxquels on ne nous prépare pas. Une lecture certainement intéressante pour aborder ces sujets avec les ados.
(par Thelma SUSBIELLE)
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Fraîche - Par Marguerite Boutrolle - La Boîte à Bulles - 19 x 26 cm - 272 pages - 28 euros
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