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Georges Bess : "Pema Ling sera une parabole du problème tibétain"

Par Nicolas Anspach le 29 mars 2006                      Lien  
Auteur aussi discret que talentueux, {{Georges Bess}} signe ce mois-ci le deuxième tome de {Pema Ling}. L'auteur met en scène dans cette saga une jeune fille recueillie dans un monastère tibétain où on lui enseigne l'art de la médecine. Mais la jeune fille - qui se fait passer pour un garçon - ne rêve que d'apprendre les techniques de combat ancestrales pour assouvir sa soif de vengeance. Georges Bess partage avec nous sa profonde affection pour le Tibet.

D’où est née votre passion pour les pays de l’Himalaya ?

Je me suis rendu il y a une trentaine d’années au Ladakh. J’ai pris une telle claque en découvrant cette région que j’ai encore du mal à m’en remettre aujourd’hui ! J’y ai rencontré des gens extraordinaires et des paysages grandioses. Ce premier voyage fut très mystérieux, car j’étais d’une culture différente de celle des Ladakhis et je parlais une autre langue. À mon retour, j’ai eu envie de lire des ouvrages qui me permettraient de mieux les comprendre. J’ai dévoré les livres d’Alexandra David Neel et ceux des autres auteurs qui ont écrit sur le sujet.
Le destin des Tibétains est tragique, mais très fort et intéressant. J’ai été choqué, à l’époque, par le silence de nos pays occidentaux par rapport au drame que vit le Tibet. Malheureusement j’ai bien peur que l’on rentre à nouveau dans une période où l’on va taire cette problématique. Les gouvernements occidentaux semblent être plus séduits par les enjeux économiques que reflète la Chine, plutôt que par le drame Tibétain...

Je n’ai jamais perdu ce lien avec le Tibet. Je vais, presque chaque année, à Dharamsala [1] pour rencontrer les Tibétains. Mes rapports avec eux sont fabuleux et très différents de ceux que j’ai avec les Occidentaux. Ils sont ouverts et pacifistes. Ils vivent leur philosophie et leur religion au quotidien. Ces rencontres me permettent de mettre un sens dans mes bandes dessinées. En observant l’histoire de ce peuple et leur manière de vivre, vous constaterez qu’il y a là tous les éléments nécessaires pour créer une bonne intrigue de BD.

Vous avez mis en scène une première fois cette région dans le Lama Blanc avec Jodorowsky (aux éditions Humanoïdes Associés).

Effectivement. Il avait écrit ce scénario pour un film qui ne s’est finalement jamais tourné. Alejandro me l’a présenté et j’ai évidement directement accepté de l’illustrer. J’y voyais une formidable opportunité de me replonger dans les livres traitant de ce sujet.
Les décors sont somptueux à dessiner. Et puis, je voulais mettre en image le côté magique et mystique propre au Tibet.

Georges Bess : "Pema Ling sera une parabole du problème tibétain"

Vous parliez des relations entre le Tibet et la Chine. Ne pensez-vous pas que c’est cette thématique qu’il faudrait traiter en bande dessinée ?

Bien que je situe ma série avant l’invasion du Tibet par la Chine, je vais en parler dans Pema Ling. Mais il s’agira plus d’une parabole.

Pourquoi ? La relation entre la Chine et le Tibet a toujours été conflictuelle, et ce bien avant l’invasion... Avez-vous peur d’être « persona non grata » en Chine ?

Peut-être. Mais quand bien même : ils ne sont pas si organisés que cela et ils n’accordent pas d’importance à la bande dessinée. Je ne pense pas être sur une liste rouge ! Montrer le Tibet d’aujourd’hui n’est pas intéressant. Les habitants de ce pays -pas ceux qui ont émigrés à l’étranger - sont des gens inanimés : on leur interdit de parler leur langue, de pérenniser leur culture, etc. Ils vivent un véritable désastre. Je n’ai pas envie de montrer cela.
Par contre, j’ai pris le parti d’animer une héroïne en lutte contre les envahisseurs chinois. J’y représente également certains Tibétains aux attitudes peu recommandables.

N’avez-vous pas eu peur de déstabiliser vos lecteurs en utilisant des termes tibétains dans Pema Ling ? Finalement les pays himalayens n’intéressent que peu de monde.

Pourquoi aurais-je peur ? Si les ventes sont insuffisantes, je ferai autre chose ! Ce n’est pas bien grave, vous savez. Je ne fais que de la bande dessinée. Mais j’ai la chance de dessiner une histoire qui me plaît. C’est ça le plus important ! Il m’est impensable de créer en fonction des attentes du public. Si je voulais réaliser une série à succès, j’inventerais un personnage ressemblant à XIII ou Largo Winch.
J’ai arrêté ma collaboration avec Jodorowsky pour me mettre en danger. J’aime l’inconnu et je ne voulais pas refaire les mêmes choses avec lui. Il m’aurait été impensable de faire un second cycle au Lama Blanc, par exemple.

Pourquoi travailler seul aujourd’hui ?

On prête aux scénaristes un talent qu’ils n’ont pas forcément. Lorsque j’ai commencé à collaborer avec Jodorowsky, je pensais qu’il était l’un des scénaristes les plus talentueux d’Europe. Or, au fil du temps, je suis devenu véritablement le co-auteur des histoires que nous signions ensemble. J’ai co-écrit 80% des textes qui se retrouvent dans nos séries. Jodorowsky me donnait un synopsis. Je me chargeais de donner de la « matière » à l’histoire et de réaliser le découpage. Il travaille de la sorte avec tous ses dessinateurs.
Alors franchement, autant inventer mes propres histoires. D’autant plus que j’ai un plaisir immense à le faire.

Extrait du T2

Le Lama Blanc était une série contemplative. Pourquoi avoir dessiné Juan Solo dont l’ambiance était fort violente ?

Détrompez-vous : il y a de la violence dans le Lama Blanc. Nous montrions notamment des moines corrompus.
Juan Solo est né dans un contexte extrêmement difficile. Il fut jeté dans une poubelle peu après sa naissance et a été recueilli par un nain difforme et travesti. Ses rencontres et sa haine envers la société le transforment peu à peu en un être violent. Mais au fur et à mesure de l’histoire, il prend conscience que certains sont beaucoup plus malheureux que lui. Il se remet en question et fait preuve de rédemption.
Jodorowsky pense qu’un saint doit d’abord avoir été pêcheur pour devenir pur et parfait. Autrement dit : de la chute naît l’ascension. C’est exactement la thématique de Juan Solo.

Comment définiriez-vous les albums que vous avez publiés aux éditions Casterman ?

Je préfère ne pas les décrire. Ils correspondaient à un besoin d’écriture. Je me suis aperçu que la philosophie et la spiritualité sont rarement abordées en bande dessinée. Traiter de ces genres est une manière de respirer et de m’ouvrir à moi-même. Cela constitue une aventure personnelle. Je m’amuse tout autant à dessiner ces Chroniques aléatoires qu’à illustrer Juan Solo ou Le Lama Blanc. L’accueil de Bobi et des Chroniques Aléatoires ont été incroyables pour ce genre de livre.

Vous semblez assez secret. On ne vous voit pas beaucoup dans les festivals, et vous n’accordez pas beaucoup d’interviews.

Tout cela ne m’enthousiasme pas beaucoup. Cela n’a rien à voir avec ma vie, mon travail ou mon métier. Et puis, je vis une grande partie de l’année dans une île des Baléares. Je voyage beaucoup.

Réalisez-vous beaucoup de croquis durant vos voyages ?

Non, pas beaucoup. Je préfère photographier les éléments qui m’intéressent. J’ai envie de découvrir un maximum de choses, et dessiner m’oblige à rester à un endroit précis pendant de longues minutes. J’aime « ruminer » toutes ces expériences vécues et les retranscrire après dans mes bandes dessinées.

Lisez-vous des bandes dessinées ?

Très peu ! La dernière que j’ai appréciée ? Le Photographe.

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Images (c) Bess & Dupuis.
Photo en médaillon (c) Nicolas Anspach

[1Dharamsala est fréquemment surnommée « La petite Lhassa indienne ». Les Tibétains qui ont fuit l’invasion par leur pays s’y sont installés.

Dupuis ✏️ Georges Bess
 
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2 Messages :
  • J’ai découvert Pema Ling grâce à une cousine libraire qui connaissait ma passion pour les régions himalayennes. Pema Ling, ainsi que les BD de Cosey (Jonathan, le Bouddha d’Azur), Heinrich Harrer et tant d’autres m’ont poussé au voyage. C’est ainsi que j’ai à mon tour visité le ladakh au printemps 2007, après plusieurs mois d’impatience. Voilà pourquoi je voulais dire un grand merci à Georges Bess et tous ceux qui m’ont fait connaitre la culture tibétaine, chacun à leur manière. J’attend avec impatience le tome 4 de Pema Ling !
    Pierrot

    Répondre à ce message

  • namaste !
    Je viens de Kathmandu,j’ai été adopté enfant et cette bd m’a beaucoup ému et troublé...
    Je tenais à remercier Georges Bess pour ces 3 tomes de "Pema Ling" aussi bien passionants dans le scenario qu’envoutants dans les dessins !!!
    Je suis retournée 20 ans après au Népal et mon souhait le plus profond serait d’explorer les hauts plateaux tibétains à cheval.
    Vivement le prochain tome et merci à vous d’etre...

    Répondre à ce message

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