Comics

Grendel, un anti-héros magistral sur le fil entre le bien et le mal

Par Marc Vandermeer le 2 avril 2022                      Lien  
Les amateurs de thrillers sombres et brutaux trouveront certainement leur compte avec ce classique de Dark Horse Comics. Ils en demanderont peut-être même davantage une fois ce premier volume consommé. Le chef-d'œuvre de Matt Wagner prend le lecteur aux tripes grâce à une narration très réussie et une diversité graphique carrément bluffante. Un des comics incontournables du printemps.

Attention ! Œuvre cultissime, bien que méconnue du grand public parce qu’à contre-courant des comics classiques. Sombre à souhait, versant délibérément dans un déferlement de folie furieuse teintée de mélancolie, Grendel se veut terriblement ambitieux en matière de thriller ultraviolent et d’introspection vertigineuse. Matt Wagner n’était âgé que de 19 ans lorsqu’il créa le personnage de Grendel. Une fiction qui ne vit le jour que deux décennies plus tard, en 1982, chez Comico, un éditeur indépendant de Philadelphie qui connut ses heures de gloire dans les années 1980 avant de faire faillite en 1990. La série resurgit chez Dark Horse Comics (à qui on doit aussi les créations contemporaines de The Mask ou encore Hellboy...), c’est un titre inspiré par la BD européenne, en particulier du comics italien Diabolik.

Difficile d’ailleurs de le comparer à quoi que ce soit, tellement le style graphique déployé varie d’un artiste à l’autre. Matt Wagner en effet passe le travail graphique à d’autres auteurs et réussit à en faire une succession d’épisodes dessinés par nombre de bons dessinateurs comme les Pander Brothers, Bernie Mireault, Tim Sale, John K. Snyder III, Darko Macan ou Edvin Biuković, mais aussi Wagner lui-même.

Il en est de même pour la trame faite de subtiles cassures à donner le tournis. une formidable saga qui fait d’ailleurs l’objet d’une série parallèle de romans écrits par Greg Rucka. Bref, c’est tout un univers qui se déploie autour de cet entité impalpable dans l’architecture complexe d’un récit que l’on doit à Matt Wagner et à son art de créer une ambiance surprenante tout du long de l’intrigue.

D’où vient cette diversité ? Du personnage. Car, contrairement à ce qu’il laisse à penser au premier abord, Hunter Rose n’est qu’une incarnation, un ectoplasme, un souffle démoniaque animé par des personnages très différents qui se succèdent en endossant l’effigie de ce héros peu orthodoxe.

Ainsi, Hunter Rose est un romancier à succès qui devient un assassin intrépide une fois qu’il revêt le costume de Grendel. D’entrée de jeu, ce héros, ou plutôt cet anti-héros, fascine autant qu’il répugne par la complexité de sa psyché et de son mode opératoire. C’est un criminel sans morale ni pitié, bien qu’il vienne en aide à la veuve et l’orphelin. Cette facette alambiquée de sa personnalité perturbe, le lecteur ne sachant réellement sur quel pied danser, toujours sur le fil entre le bien et le mal. D’autant que tout au long des épisodes, Grendel creuse davantage à chaque fois son côté obscur. Il y a de quoi être secoué par l’ambiguïté de ce personnage, de ses agissements, de la manière par laquelle il interprète les situations.

La trame captive grâce à une succession rapide de séquences courtes et d’interconnexions habiles entre les différents protagonistes, tous reliés de près ou de loin à Grendel et à sa dimension démoniaque. Matt Wagner distille ses mystères au compte-gouttes, de façon à tenir habilement le lecteur en haleine.

Grendel, un anti-héros magistral sur le fil entre le bien et le mal
© Matt Wagner / Collectif / Urban Comics

Si Matt Wagner avance en solitaire pour la partie scénaristique, on ne peut pas en dire autant de la partie graphique pour laquelle une kyrielle d’artistes, une vingtaine environ, s’enchaînent à tour de rôle. Un résultat qui se révèle quelquefois inégal, tout en conservant une certaine homogénéité malgré tout. Le noir et blanc prédomine, ponctué d’aplats rouges qui permettent d’accentuer certains détails. Ces éclaboussures rubescentes donnent du relief à des ébats entre amants, aux larmes d’un protagoniste et, forcément, aux traces de sang éparpillées aux quatre coins d’une pièce quelquefois dans un mélange subtil de poésie et de crudité. Un résultat surprenant !

Évidemment, Matt Wagner imprime sa marque avec son découpage totalement excentrique jouant la carte de l’innovation et l’extravagance. Les meilleurs séquences profitent de l’excellent travail de Tim Sale, dont les arrières-plans sont richement fournis, de celui de Troy Nixey, connu pour son titre Jenny Finn, aux côtés de Mike Mignola et dont le trait nerveux à l’encrage épais confère aux protagonistes force et prestance ; enfin, Duncan Fegredo qui évolue dans le registre purement jouissif d’un style "Hard Boiled" où tout est permis. Mais ce travail artistique n’aurait pu voir le jour avec un tel brio sans ce découpage stylé et varié du créateur d’origine.

Soulignons au passage que Grendel, adulé par Alan Moore himself, s’adresse à un public averti en raison de son caractère violent et sexué, sans le moindre tabou, brisant les normes du conventionnel comme peu de comics traditionnels ont pu le faire. Un produit de son époque.

Ce pavé de 600 pages publié par Urban Comics en France, en dépit de son poids avoisinant les deux kilos, est de toute beauté : titre en vernis rouge brillant, marque-page résistant, reliure impeccable, belle présentation et aspect soigné. On a presque peur de le manipuler. Un volume 1 à la hauteur, c’est peu de le dire. Indéniablement, il s’agit ici de l’une des sorties majeures d’Urban Comics en ce premier trimestre 2022. Il permet autant aux néophytes qu’aux fins connaisseurs de redécouvrir ce chef d’œuvre de Matt Wagner et son personnage hors normes.

© Matt Wagner / Collectif / Urban Comics

(par Marc Vandermeer)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN : 9791026812227

Grendel Volume 1 : Hunter Rose. Scénario : Matt Wagner. Dessin : Matt Wagner & Collectif. Editeur : Urban Comics. 608 pages. Sortie : le 28 janvier 2022. Prix : 35 euros.

- Lire la chronique Grendel : L’Enfant du Démon - par Diana Shutz, Tim Sale et Teddy Kristiansen - Sémic
- Lire la chronique Spider-Man Bleu – Par Jeph Loeb & Tim Sale – Panini Comics
- Lire la chronique Batman - Un Long Halloween – Par Jeph Loeb & Tim Sale – Urban Comics
- Lire la chronique Jenny Finn - Par Mike Mignola & Troy Nixey & Farel Dalrymple - Delourt Comics
- Lire la chronique Hellboy T16 : Le Cirque de minuit - Par Mike Mignola & Duncan Fegredo - Delcourt Comics

Urban Comics à partir de 17 ans Super-héros Etats-Unis
 
Participez à la discussion
1 Message :
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Marc Vandermeer  
A LIRE AUSSI  
Comics  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD