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J.-M. Rochette (Transperceneige) : "Je n’ai jamais aussi bien gagné ma vie d’auteur de BD qu’aujourd’hui"

Par Christian MISSIA DIO le 11 juillet 2019                      Lien  
Jean-Marc Rochette découvre le succès tardivement, à près de 60 ans, grâce à l'adaptation au cinéma de son œuvre majeure : "Transperceneige" (Sc. de Jacques Lob). Cette reconnaissance commerciale tardive lui permet aujourd'hui de s'exprimer pleinement en tant qu'auteur de BD. Avec "Ailefroide, Altitude 3954" puis "Le Loup", notre passionné d'alpinisme pose les bases des thématiques que prendront ses futurs albums : des récits dédiés à la montagne et aux relations qu'entretiennent les hommes et les animaux.
J.-M. Rochette (Transperceneige) : "Je n'ai jamais aussi bien gagné ma vie d'auteur de BD qu'aujourd'hui"
Transperceneige Extinctions T.1
Album paru le 15 mai 2019
JM Rochette & Matz © Casterman

Dans votre actualité à la vieil de l’été, il y a deux nouveautés : Le Loup et Transperceneige Extinctions, un nouveau cycle du Transperceneige réalisé avec Matz. Comment s’est faite la rencontre avec le scénariste du Tueur ?

JM Rochette : Nous nous étions rencontrés il y a quelques temps à New York lors du Comic-Con. En discutant avec lui, je me suis rendu compte que c’est un scénariste qui pourrait m’apporter beaucoup au niveau de la narration de mon nouveau projet, Transperceneige Extinctions. Matz est un auteur qui a ce côté “grand public” dans son écriture. Je me suis dit qu’avec mes idées et son savoir-faire narratif, ça pourrait le faire. Sur le premier tome, nous avions eu du mal à trouver une musique commune mais, par contre, sur le deuxième album, ça a été super-facile. Nous avons fait une séance de travail au cours de laquelle nous nous sommes passés des idées qui ont stimulé sa créativité. Il m’a balancé un truc exactement comme je le voulais !

Matz est-il un fan du Transperceneige ?

Oui, mais il est surtout fan de Jacques Lob. [1]

Dans cet arc du Transperceneige Extinctions, vous mettez en scène des terroristes “ecofreak”, des écolos fanatiques qui n’hésitent pas à recourir au terrorisme, et cela fait forcément échos aux différentes attaques qu’ont subi ces derniers mois des bouchers de la part de mouvements antispécistes. Quel est votre avis sur ces mouvements ?

Suis-je spéciste ? Non, je ne me considère pas comme tel. Je respecte beaucoup la nature et la faune mais je me considère presque comme un chasseur. Je ne suis pas vegan, je mange de la viande. Je pense que dans l’écologie, il y a eu une écologie politique, une écologie de manifestation et aujourd’hui, nous constatons un mouvement écologique de rébellion. Si rien ne marche, si -par exemple- le dernier gorille d’Afrique centrale meurt et que l’espèce s’éteint, il y aura des jeunes de 25 ans qui n’hésiteront pas à prendre les armes pour punir ceux qu’ils estiment responsables. Ils disent déjà « qu’il faut que la peur change de camp ». Sans cautionner leur extrémisme, il est quand même révoltant de voir comment les animaux sont traités. Cette situation n’est pas acceptable !

Le Loup
Album paru le 15 mai 2019
Jean-Marc Rochette © Casterman

Très tôt, dans vos albums, vous aviez tiré la sonnette d’alarme suite à la dégradation de notre environnement. Comment se sent-on lorsque les choses que l’ont avait prédit se concrétisent ?

Tout a commencé avec René Dumont en 1974 [2], qui prévenait que nous payerions un jour tout le mal que nous faisons à la nature.

J’ai toujours été d’un naturel optimiste mais là, je pense que c’est un peu cuit. Nous les Français, nous représentons peut-être 1% de la population mondiale. Lorsque vous allez en Chine, vous constatez que le modèle de la société de consommation est bien implanté. Et au rythme où vont les choses, je ne pense pas que la situation de la nature va s’améliorer.

J’essaie de rester optimiste mais je ne suis pas dupe non plus. Moi, je vis dans ma vallée et je fais pousser moi-même mes légumes. Je suis un écolo convaincu mais pour autant, je n’ai rien contre la chasse car lorsque c’est fait de manière responsable, c’est une manière de réguler la nature. Je préfère cent fois manger un sanglier que j’aurais tué moi-même plutôt qu’un cochon qui aurait été “élevé” dans une sorte d’ignominie d’abattoir où les bêtes subissent les pires tortures avant d’être sacrifiées pour notre consommation. Je pense que l’on peut chasser, à partir du moment où on respecte l’équilibre naturel de la faune environnante. C’est pour cela que mon album Le Loup a été bien accueilli. Mon loup est un écolo.

Dans Transperceneige Extinctions, il y a des séquences avec les gouvernements français, chinois et américain. Vous représentez Emmanuel Macron, Xi Jinping mais pas Donald Trump... Est-ce un hasard ?

Non, non.Cce n’était pas prémédité. J’aurais dû le représenter, d’autant plus qu’il dit un truc marrant lorsque la catastrophe est inévitable : « Pourquoi les Chinois ne nous ont-ils pas prévenus » ? J’ai dessiné la Maison blanche et vu que le président US ne parle qu’une seule fois, j’aurais dû faire une seconde case pour le représenter. Mais finalement, c’est la Chine qui a eu le beau rôle. Comme je sais que l’album va être publié en Chine et qu’ils vont le lire, je me suis dit que, tant qu’à faire, c’était l’occasion d’encourager ce pays à être plus responsable écologiquement, car ils sont l’un des plus gros pollueurs de la planète. Du coup, je les ai représentés de manière positive (rires).

Transperceneige Terminus
Album paru le 6 octobre 2015
Jean-Marc Rochette & Olivier Bocquet © Casterman

Où en est la série TV du Transperceneige ?

Le projet avance bien. La série devrait être diffusée l’année prochaine sur une chaîne chinoise, un canal plutôt comique mais qui veut s’ouvrir au drama. Ils ont l’intention de diffuser un spot publicitaire pendant le Super Bowl. Il y a aussi un deal avec Netflix qui est dans les tuyaux, pour la diffusion partout dans le monde. Le Transperceneige bénéficierait donc d’une visibilité folle ! Lorsque l’on est auteur d’une BD qui obtiendrait une telle exposition grâce à des adaptations au cinéma ou en série TV, cela implique une certaine responsabilité, même si on n’est pas derrière ces adaptations. Les geeks du monde entier pourront voir le Transperceneige ! Le showrunner de la série c’est Graeme Manson, l’un des créateurs de la série Orphan Black. Au niveau du casting, il y aura la comédienne américaine Jennifer Connelly en tête d’affiche. À l’époque déjà, le film avait bénéficié d’un gros casting avec Chris Evans (Captain America dans le Marvel Cinematic Universe, NDLR), Ed Harris ainsi que les actrices oscarisées Tilda Swinton et Octavia Spencer.

En parlant des droits, vous n’êtes pas le créateur du Transperceneige car il y avait un autre dessinateur avant vous. C’était Alexis, le premier à dessiner cet univers

Je suis co-créateur. La première mouture de la série était très différente de celle que nous connaissons aujourd’hui. À l’origine, y avait un gros chien, ressemblant un peu à Chewbacca, comme narrateur. Le ton était très différent car nous étions presque dans de la féerie. Suite au décès d’Alexis, j’ai été recruté pour relancer la série. J’ai d’abord réalisé une histoire, puis une deuxième et c’est comme cela que ça a repris. Avec le temps, cette série était un peu tombée dans l’oubli mais nous avons réussi à la relancer, avec un relatif succès. C’est comme cela que le réalisateur sud-coréen Bong Joon-Ho [Palme d’or 2019 à Cannes pour son film Parasite, NDLR] est tombé sur notre BD et a décidé d’en faire un film : Snowpiercer, le Transperceneige. Et maintenant, il y a ce projet de série TV.

Jacques Lob nous a quitté en 1990, me laissant seul poursuivre la destinée du Transperceneige. Le Transperceneige appartient à Jacques en priorité. Au début, je n’étais que le dessinateur de l’histoire. J’étais presque un anonyme, un peu comme dans les comics où les auteurs se succèdent dans la destinée d’un personnage ou d’une série mythique. Mais j’ai continué de construire l’édifice au point qu’aujourd’hui, Le Transperceneige représente tout un univers.

Il faut prendre les différents cycles du Transperceneige comme des sortes de clins d’œil. Chaque cycle est très différent du précédent. Par exemple, dans Terminus, nous parlons du transhumanisme, une thématique qui était totalement absente dans la série-mère.

Ailefroide, Altitude 3954
Album paru le 14 novembre 2018
Jean-Marc Rochette & Olivier Bocquet © Casterman

Qu’est-ce qui vous a encouragé à réaliser Ailefroide, Altitude 3954 ?

Lorsque je suis arrivé à Paris en 1978, j’étais encore très impliqué dans ma passion pour l’alpinisme. Mais lorsque je racontais mes anecdotes liées à mon sport, cela emmerdait tout le monde. Nous étions à cette époque dans la période punk. Les jeunes étaient très citadins donc, écouter les souvenirs d’un mec qui aime grimper n’avait aucun intérêt pour eux. J’étais au mieux un boy-scout, au pire un militaire.

Un jour, je discutais avec mon éditrice et je lui ai raconté une anecdote liée à l’alpinisme. Elle a été très réceptive au point de me conseiller de réfléchir à un récit autour de ça. Lorsque je m’y suis mis, au début, j’ai évacué tout l’aspect familial, mes relations avec ma mère. Je me suis borné à vouloir raconter des histoires de gamins qui allaient grimper. Mais mon éditrice m’a conseillé de revoir mon point de vue.

Vous aviez arrêté la BD pendant un certain temps.

Oui, j’ai arrêté de faire de la BD pendant presque dix ans. Pendant ce temps, j’ai surtout fait de la peinture... Vous savez, je n’ai jamais aussi bien gagné ma vie qu’aujourd’hui, grâce au succès du Transperceneige. C’est le succès du film qui m’a encouragé à revenir dans la BD. Le succès, j’en ai eu très peu durant ma carrière. J’ai galéré. Dans les années 1990, j’étais pauvre. J’ai tenté des trucs qui n’ont pas marché. Je me suis fait virer de (À Suivre), j’ai fait des dessins pour enfants pour avoir de quoi manger, mais je gagnais que dalle. J’ai dû attendre 60 ans pour enfin vendre des livres ! Ma situation actuelle, je la vis comme un premier départ. Edmond le cochon (Sc. Martin Veyron), c’était un peu moi, mais c’était tellement marginal et Underground que l’on ne peut pas vraiment le prendre en compte. Ce qui m’a mis le pied à l’étrier et m’a véritablement fait me sentir auteur de BD, c’est Ailefroide.

Le Transperceneige - L’intégrale reliée
Album paru le 26 mars 2014
Jean-Marc Rochette, Jacques Lob & Benjamin Legrand © Casterman

Quels sont vos prochains projets ?

Matz et moi avons prévu de boucler la trilogie du Transperceneige Extinctions puis, je vais réaliser un récit qui aura encore pour cadre la montagne. Je m’intéresse aux rapports qu’entretiennent l’Homme et la bête mais sur une période de 30 000 ans. Dans ma région, il y a eu une période où il faisait tellement froid que l’on ne croisait plus d’hommes, que des animaux. L’Homme est venu, mais il est reparti à cause du climat difficile. Le roi de cette région était l’ours, le grizzli. Lorsque l’Homme est revenu, il s’est retrouvé confronté à ce monde sauvage et dans lequel sa place ne semblait pas avoir été prévue. Un ami, qui a fait du pistage de grizzli, m’avait dit que quand tu es dans une forêt dans laquelle se trouve un grizzli de 200 ou 300 kg, tu n’as pas du tout le même rapport au corps et à ce qui t’entoure.... Et il a poursuivi en me disant que lorsqu’un grizzli se lève, c’est toute la nature qui se lève avec lui. Il y a de quoi relativiser notre supériorité d’homme !

Depuis le 8 mai et jusqu’au 22 septembre, Jean-Marc Rochette est l’invité du Musée de l’Ancien Évêché de Grenoble, qui organise une exposition rétrospective consacrée à l’ensemble de son travail.

Voir en ligne : Découvrez les albums Jean-Marc Rochette sur le site des éditions Casterman

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782203165816

Photos : JM Rochette
Crédits : DR

Agenda :

Expo : Jean-Marc Rochette, artiste au sommet
Du 8 mai au 22 septembre
Musée de l’Ancien Évêché de Grenoble
2, rue Très-Cloîtres
38000 Grenoble
Mail : musee-eveche@isere.fr
Tél. : +33 (0)4 76 03 15 25

Jean-Marc Rochette sera en dédicace chez BDFugue Grenoble le samedi 13 juillet
1 Rue Jean-François Haché - 38000 Grenoble

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[1Le scénariste d’origine de la série. NDLR.

[2[Candidat à la présidentielle de 1974-t>https://fr.wikipedia.org/wiki/Ren%C3%A9_Dumont], il fut le premier à se présenter sous l’étiquette écologiste. NDLR.

Casterman ✍ Matz ✏️ Jean-Marc Rochette
 
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