"Les Grandes Batailles navales" ont le vent en poupe

Dans la foulée des autres grandes collections thématiques de Glénat, telles que Ils ont fait l’Histoire ou La Sagesse des mythes, l’éditeur grenoblois inaugurait une collection il y a cinq ans, dont le titre semblait le meilleur des pitchs possibles : Les Grandes Batailles navales. Sauf qu’à la différence de ces deux autres collections, cette grande épopée maritime reposait sur les épaules d’un seul auteur : Jean-Yves Delitte !

L’appétence de Delitte pour l’Histoire et les bateaux n’était certes plus à démontrer. Il suffit de citer ses précédentes séries dont il assurait scénario et dessin : Belem, U-Boot, Le Neptune, Black Crow, Le Sang des lâches, L’Hermione, La Bounty, La Boussole & Pérouse, etc. Soit plus vingt-cinq albums qui lui permirent de s’entourer d’un lectorat fidèle et de recevoir le titre officiel de « Peintre de la Marine ».

En 2017, Jean-Yves Delitte publie donc chez Glénat les premiers titres de cette collection impressionnante à plus d’un titre. Tout d’abord par la masse de documentation qu’elle a nécessité de rassembler pour nous conter ainsi les affrontements les plus importants sur les mers et océans du globe depuis 2500 ans.

Impressionnant également par la masse de travail délivrée par l’auteur. Jugez-en donc : Delitte a non seulement signé les dix-neuf scénarios qui mêlent astucieusement petite et grande Histoire pour nous faire revivre ces moments fatidiques, mais il a également rédigé les huit pages de dossiers didactiques de chaque album sans oublier la couverture. Ah oui : sur les dix-huit albums de la collection, il en a également dessiné huit ! (Sans oublier deux albums de Black Beard et trois ouvrages d’illustrations dans l’intervalle, mais on ne va pas chipoter…)

Ce dernier album paru témoigne parfaitement du soin apporté par l’auteur. Jean-Yves Delitte nous entraîne dans l’un des tournants de la Guerre de Sept ans, en 1759 plus précisément. Parce que le conflit s’enlise, le royaume de France de Louis XV rêve de prendre l’ascendant sur son éternel ennemi anglais en élaborant un audacieux plan d’invasion. Mais l’audace peut-elle suffire quand le commandement d’une marine est entre les mains de personnages de peu de valeur et qu’il faudra affronter la première puissance maritime du monde ? La réponse sera donnée quelques mois plus tard au large des côtes de la Bretagne. La Bataille des Cardinaux sera une humiliante défaite pour la Royale française.

Que ceux qui ont séché leurs cours d’histoire ou dont ce n’était pas le programme ne viennent pas hurler au spoiler : cette inéluctable conclusion est éventée par l’auteur lui-même dès les premières pages du récit, lorsqu’on voit les fiers bateaux français misérablement échoués sur les bancs de sable des rivières environnantes. Car ce qui intéresse Delitte n’est pas forcément d’identifier les vainqueurs des vaincus, mais surtout de pouvoir faire comprendre quels sont les éléments décisifs qui ont pesé sur la bataille.

Loin d’un pesant cours de stratégie militaire, le redoutable narrateur nous fait miroiter par un faisceau de détails les problèmes alors inhérents au sein de la Royale : les dissensions au sein du conseil du roi, l’absence d’un véritable leader, sans oublier les luttes de pouvoir. Cela passe bien entendu par des dialogues aux verbes parfois crus, mais qui ont la capacité de nous faire vivre les protagonistes. On remarquera quelques cadrages bien sentis, comme sur le buste de La Pompadour, histoire de montrer que quelques-uns de ces généraux ont sans doute perdu pied davantage face aux charmes de la belle plutôt qu’à ses arguments politiques ou militaires.

Tout ceci resterait trop éloigné du sujet sans un acteur à qui le lecteur doit s’identifier. En l’occurrence, ici, un capitaine issu de la noblesse paysanne bretonne qui commande une poignée d’hommes pour surveiller les rivages faisant face aux Anglais. Celui-ci témoigne magnifiquement de son époque avec ses nobles qui s’éloignent des considérations du peuple, le fossé se creusant inexorablement, mais aussi la réussite des espions anglais qui vont pouvoir éventer le plan d’invasion des Français et le retourner à l’avantage de la couronne britannique, grâce avant tout à ce qui manquait le plus à l’amirauté tricolore : de l’audace !

Attardons-nous enfin sur le magnifique dessin de Delitte, avec ses personnages qui respirent l’authentique : on est loin de la Pompadour et des scènes de genre de la cour : les protagonistes ont le physique de l’emploi et tant pis si leurs trognes crèvent la planche. Il en va de même pour les bateaux et les bâtiments : chaque grément se détache nettement avec une précision historique avérée quand les matelots amènent leurs voiles. On en profite pleinement dans les habituelles double-planches de l’auteur qui coupent le souffle par leur précision, tout en nous faisant sentir l’odeur des embruns.

L’une des ces impressionnantes doubles-pages, ici le port de Portsmouth

Bref, une nouvelle réussite ce cette collection marine, exécutée de main de maître par le redoutable Jean-Yves Delitte, qui nous avouait précédemment travailler parfois plus de douze heures par jour avec une régularité de métronome. Et si l’on vous disait qu’il débute une nouvelle série dans quelques jours… Allez, stoppons là, on vous en reparlera !