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L’héritage des Black Panthers au travers des yeux du Major Jones (XIII Trilogy)

Par Christian MISSIA DIO le 30 mars 2024                      Lien  
Dans la continuité du tome 3 de "XIII Mystery - Little Jones", l'univers s'ouvre sur une nouvelle saga intitulée "XIII Trilogy - Jones", dédiée au personnage charismatique du Major Jones. À travers le récit de Yann et le dessin évocateur d’Olivier TaDuc, cette série nous plonge dans le monde militaire, durant les années d'aprentissage de la jeune femme. Entre héritage politique des Black Panthers et destinées individuelles, ces récits sur la jeunesse de Jones offrent une réflexion sur l'Amérique d'hier et d'aujourd'hui, soulignant l'importance de la résistance face à l'oppression, et la complexité de la lutte pour la justice sociale.

Lors du lancement de la collection XIII Mystery, Jean Van Hamme avait réuni une brochette d’auteurs afin de leur proposer de créer des histoires sur les personnages secondaires croisés dans la série XIII. Mais ils avaient une consigne, comme le révèle Yann dans un entretien accordé à notre ancien confrère devenu éditeur Nicolas Anspach : « Lorsque l’on m’a demandé d’écrire une histoire, j’ai directement signalé à Jean Van Hamme que le personnage de Jones m’intéressait ! Le scénariste de XIII m’a dit : « Tu le sais très bien, Yann. Tu peux utiliser tous les personnages sauf XIII, Jones et Carrington ! ». Je ne me suis pas démonté et j’ai répondu à Jean Van Hamme que je lui enverrais quand même un synopsis sur l’enfance de Jones … Je l’ai écrit et à mon grand étonnement, il l’a accepté ! »

Pour ce projet, le scénariste de Pin-up s’est inspiré du court récit que Jean Van Hamme et William Vance avaient raconté dans XIII Mystery – L’enquête. Cette intrigue mettait en scène une enfant qui grandit dans l’Amérique ségrégationniste des années 1960, époque dénoncée par Malcolm X et Martin Luther King et qui deviendra par la suite l’iconique Major Jones. Yann associé d’Éric Henninot, dont le dessin au style réaliste impeccable, nous avait proposé un des meilleurs récits de cette collection de one-shots dédiée à la galerie de personnages de la série-mère.

XIII Mystery T. 3 – Little Jones :

Dans les années 1960 à Chicago, une époque encore marquée par la ségrégation, les Afro-Américains se battent pour obtenir les mêmes droits civiques que les Blancs. Marcus, un jeune homme noir, est poursuivi par la police après avoir braqué une pharmacie. Heureusement, lui et sa sœur, Jones, trouvent refuge dans le coffre d’une voiture appartenant à un militaire noir, le Major Elroy Wittaker, décoré pour son héroïsme au Viêt Nam. Les médailles qu’il porte dissuadent les policiers de fouiller le véhicule, offrant ainsi une échappatoire aux fugitifs.

Elroy invite ensuite Jones et Marcus chez lui, où ils font connaissance avec la famille Wittaker : d’une part, nous avons son frère Phoenix qui, bien qu’étant un homme brillant, a sombré dans l’alcool. D’autre part, Angela, la sœur, qui est une militante pacifiste. Autant dire que l’engagement d’Elroy dans l’armée des Etats-Unis ne lui plait guère car elle juge leur pays méprisant à l’égard des Afro-Américains. Elle voit surtout le choix de son frère comme un reniement du combat de leur père, le grand pasteur assassiné Martin Calvin X.

Plus tard, les Black Panthers contactent Elroy pour utiliser son image afin de légitimer leur mouvement, en dépit de leurs actions violentes, mais Elroy rejette leur proposition. Après un conflit avec Phoenix et une altercation avec la police, Elroy se retrouve à une fête où il découvre que Sharon, une actrice blanche et la fille du général qu’il a sauvé au Viêt Nam, est enceinte de lui, bien qu’elle soit mariée au célèbre réalisateur Norman Boltanski…

Bien que nous suivions dans ce one shot une Jones à peine sortie de l’enfance et que le récit porte son nom, elle n’est pas le protagoniste de l’intrigue. Elle est plutôt un personnage relais, un témoin d’évènements qui la dépasse. En effet, cet épisode tourne surtout autour de la famille Wittaker, de la lutte des Afro-Américains pour les droits civiques et plus particulièrement la fin des Blacks Panthers. Ainsi que de l’affaire Manson qui avait défrayé la chronique à l’époque. Néanmoins, c’est dans cet épisode que Jones fera la connaissance de Ben Carrington, qui la prendra sous son aile en devenant son tuteur légal.

L'héritage des Black Panthers au travers des yeux du Major Jones (XIII Trilogy)
XIII Mystery T. 3 - Little Jones
Yann & Éric Henninot © Dargaud

XIII Trilogy : Jones T. 1/3 - Azur noir

Dix ans se sont écoulés depuis les évènements narrés dans Little Jones. Jones est désormais élève officier à la très exigeante école de la Navy de Patuxent River. Elle doit surmonter les rigueurs de l’entraînement au pilotage de divers types d’aéronefs, ainsi que se plonger dans l’apprentissage rigoureux des techniques de close-combat. Ces dernières, dont elle deviendra experte, révèleront leur complexité au fil du temps. Mais elle pourra compter sur le soutien du mystérieux et séduisant capitaine McKaa, qui la fera progresser.

Pendant ce temps, son frère Marcus qui est condamné à une grosse peine de prison à la suite des évènements narrés dans les précédents épisodes, s’évade d’un pénitencier en compagnie de deux activistes natifs-américains. Ensemble, ils prennent possession de l’île d’Alcatraz, défiant ainsi les autorités américaines en revendiquant les droits civiques. Avec une centaine de sympathisants hippies en otages, ils introduisent un véritable arsenal sur l’île, prêts à recourir à la violence pour atteindre leurs objectifs. Cette situation conduit à une intervention des « Spads » du général Ben Carrington.

Pour ce nouveau récit prévu en trois albums, Yann s’est cette fois-ci associé au dessinateur de Chinaman, Olivier TaDuc. Ce qui constitue pour lui aussi la seconde incursion dans l’univers de XIII puisqu’il avait déjà dessiné le T. 11 de XIII Mystery – Jonathan Fly. Si on connait surtout TaDuc pour son travail sur des récits historiques, son style graphique s’adapte très bien à une époque plus contemporaine. Précisons cependant que l’auteur se fait aider par Érik Juszezak sur les dessins de véhicules et des décors sur les planches 4, 5 et 6.

Le Black Panther Party

Les Black Panthers reviennent en fil rouge tout au long des deux récits de la jeunesse de Jones. Il est donc pertinent de documenter quelque peu ce mouvement afro-américain de lutte pour les droits civiques qui est, il faut bien le dire, pas mal égratigné dans l’univers de XIII.

Le Black Panther Party, également connu sous le sigle BPP, initialement nommé « Black Panther Party for Self-Defense », émergea en Californie le 15 octobre 1966 sous l’impulsion de Bobby Seale et Huey P. Newton, deux étudiants en droit et sciences politiques. Ce mouvement révolutionnaire, imprégné d’idéaux marxistes-léninistes et maoïstes, visait la libération sociale des Afro-Américains. En dépit de son expansion à l’échelle nationale, il déclina au cours des années 1970, miné par des dissensions internes et confronté à des actions étatiques musclées, notamment celles du FBI, incluant des arrestations et des manœuvres visant à semer le trouble via des infiltrations au sein de factions rivales.

L’autodéfense prônée par les Black Panthers était fondée en réplique aux expériences avérées de brutalité policière et d’oppression systémique vécues par de nombreuses communautés afro-américaines aux États-Unis. Il y a un historique très documenté de discriminations raciales, de violence policière et de racisme institutionnalisé qui affectent de manière disproportionnée les Afro-Américains à cette époque.

Des incidents tels que des passages à tabac violents, des arrestations abusives et des meurtres de Noirs par la police étaient malheureusement courants. Ces pratiques étaient souvent perpétrées sans conséquences pour les policiers impliqués, renforçant un climat de méfiance et de peur au sein des communautés noires à l’égard des autorités.

Le Black Panther Party a émergé en réponse à cette réalité, en mettant l’accent sur l’autodéfense et l’autonomie des Afro-Américains. Ils croyaient qu’il était nécessaire de se protéger et de protéger leurs communautés contre la brutalité et l’oppression, et ils ont pris des mesures concrètes pour le faire, notamment en surveillant les activités policières lors des interpellations d’Afro-Américains, en organisant des patrouilles armées et en proposant des programmes sociaux pour aider les communautés défavorisées. Leur programme social le plus connu était « Free Breakfast for Children », qui fournissait des repas nutritifs gratuits aux enfants avant d’aller à l’école. Ce programme a été mis en place dans de nombreuses communautés afro-américaines à travers les États-Unis, aidant à combattre la faim et à garantir que les enfants commençaient leur journée d’école avec un repas adéquat.

Cependant, il est important de noter que toutes les interactions avec la police ne se terminaient pas nécessairement par de la brutalité. Il y avait des policiers et des départements de police qui traitaient les Afro-Américains de manière juste et équitable. Cependant, il existait des disparités systémiques qui ont conduit de nombreuses personnes à vivre un traitement injuste et discriminatoire de la part des forces de l’ordre. Ainsi, bien que tous les incidents ne justifient pas nécessairement une réponse militante, les préoccupations soulevées par les Black Panthers quant à la brutalité policière et à l’oppression raciale étaient ancrées dans la réalité sociale et historique difficile des États-Unis.

Contrairement aux idées reçues, Le BPP n’était pas un mouvement raciste anti-Blanc, ni un mouvement séparatiste. De nombreux Blancs ont soutenu publiquement le parti à l’image des stars de Hollywood Jean Seberg, Marlon Brando et Jane Fonda. En 1969, les Black Panthers avaient créé la « Rainbow Coallition » (Coalition arc-en-ciel), une plateforme politique dans laquelle ils avaient invité les Blancs (pauvres), les Chicanos et les Natifs américains à militer aussi pour l’obtention de leurs droits.

XIII Trilogy - Jones T. 1/3 : Azur noir
Yann & Olivier TaDuc © Dargaud

Par ailleurs, l’éducation était une préoccupation majeure pour les Black Panthers. En effet, le Black Panther Party for Self-Defense a mis en place plusieurs programmes visant à éduquer et à autonomiser les Afro-Américains, en particulier les jeunes, dans les quartiers défavorisés. Ils ont également lancé des programmes éducatifs, des programmes de tutorat et des initiatives visant à sensibiliser les jeunes aux enjeux politiques et sociaux. Ils ont organisé des cours gratuits sur l’histoire africaine et la politique, ainsi que des cours de self-defense et des formations militaires conçus par des vétérans de guerre et d’anciens membres de gangs repentis.

Les Black Panthers croyaient fermement que l’éducation était un outil puissant pour l’émancipation et l’autonomisation des Afro-Américains, et ils ont donc consacré des ressources importantes à cette cause. En mettant l’accent sur l’éducation, les Black Panthers ont cherché à renforcer les communautés noires et à combler les disparités socio-économiques et éducatives qui existaient à l’époque. Comme le disait le rappeur Stomy Bugsy : « Le savoir est une arme ».

Un exemple concret de l’efficacité de leur politique pour l’éducation est le cas de la Black Panther Alice Faye Williams, mieux connue sous le nom d’Afeni Shakur. Au début des années 1970, elle a été impliquée dans l’affaire des « 21 Panthers », un dossier dans lequel plusieurs cadres de l’aile new-yorkaise des BPP étaient accusé de complot et de terrorisme. Les 21 Panthers feront l’objet d’une intense campagne de soutien populaire. Au cours de ce procès, la jeune femme de 24 ans s’est défendu sans avocat et a réussi à se faire acquitter ! Précisons qu’Afeni était enceinte au moment des faits et deux mois après son acquittement, elle mit au monde son fils, le célèbre rappeur Tupac Amaru Shakur (2Pac).

Un autre exemple est Ray West, le père de l’inénarrable producteur-rappeur et designer Kanye West, qui est aussi un ancien membre des Black Panthers. Il est également le premier Afro-Américain à travailler en tant que photographe de presse pour le journal The Atlanta Journal-Constitution.

XIII Trilogy - Jones T. 1/3 : Azur noir
Yann & Olivier TaDuc © Dargaud

À l’instar d’Afeni Shakur et du personnage d’Angela Wittaker dans Little Jones, de nombreuses femmes activistes ont rejoint le mouvement au point de dépasser le nombre d’hommes au sein des Black Panthers. En effet, les Black Panthers ont adopté une position progressiste en matière de genre, faisant la promotion de l’égalité des sexes et reconnaissant le rôle crucial des femmes dans le mouvement. Dès le début, des femmes telles que Angela Davis, Assata Shakur, Elaine Brown et Kathleen Cleaver ont occupé des postes de leadership et ont joué un rôle actif dans les activités du parti. Les femmes ont été encouragées à participer pleinement aux activités du parti, y compris à la formation militaire et à la mobilisation communautaire.

Toutefois, malgré cette promotion officielle de l’égalité des sexes, certaines tensions et contradictions existaient aussi au sein du Black Panther Party en ce qui concerne le rôle des femmes. En effet, l’agenda politique les contraignaient à faire un choix entre soit lutter pour les droits civiques des Afro-américains, soit militer pour la cause des femmes noires. Il y avait parfois des attitudes patriarcales au sein du parti, reflétant les normes sociales plus larges de l’époque. Certaines femmes ont rapporté avoir rencontré des discriminations et des déséquilibres de pouvoir au sein du mouvement, malgré les idéaux progressistes réels du mouvement. Il est également vrai que certaines femmes sont parvenues à occuper des postes de leadership et à prendre le pouvoir au sein du parti malgré les obstacles et les réticences de certains hommes.

Le leadership féminin au sein des Black Panthers a été le résultat de la détermination et de la force de ces femmes, ainsi que de leur capacité à s’imposer dans un environnement souvent dominé par les hommes. Dans l’ensemble, bien que les Black Panthers aient fait la promotion des femmes et aient reconnu leur importance dans le mouvement, le parti était aussi traversé par les mêmes tensions liées au genre que l’on pouvait constater dans toute la société américaine à l’époque.

John Edgar Hoover, l’emblématique directeur du FBI de 1935 à 1972 et qui était connu pour être un raciste endurci, a mis en place le programme Cointelpro afin de perturber, harceler et détruire les « ennemis » des USA. Et les Black Panthers étaient en haut de cette liste « d’ennemis de l’intérieur ». C’est comme cela que les membres du Black Panther Party, à l’exemple de Huey P. Newton et de Eldridge Cleaver, ont été impliqués dans de nombreux échanges de tirs mortels avec la police.

XIII Trilogy - Jones T. 1/3 : Azur noir
Yann & Olivier TaDuc © Dargaud

Le 9 août 1969, la comédienne américaine Sharon Tate, épouse du cinéaste Roman Polanski au moment des faits, a été assassinée par des membres de « La Manson Family », la secte de Charles Manson. Elle était enceinte de huit mois lorsqu’elle a été tuée. Conscients que les Black Panthers étaient dans le collimateur du FBI, les véritables assassins inscrivent le mot « pig » sur la porte avec le sang de Sharon Tate, afin de leur faire porter le chapeau. En effet, le terme « pigs » (cochons) était utilisé par les membres du parti pour décrire les agents de police corrompus.

Les Black Panthers restent un chapitre important de l’histoire américaine, symbolisant un mouvement militant pour les droits civiques et l’émancipation des Afro-Américains dans une période de bouleversements sociaux et politiques profonds. Malgré les controverses et les défis auxquels ils ont été confrontés, le Black Panther Party for Self-Defense a laissé un héritage durable en mettant en avant des valeurs telles que l’autodéfense, l’éducation, l’égalité des sexes et la lutte contre l’oppression systémique. Le mouvement a influencé les mouvements anti-impérialistes ultérieurs. Leur influence dépasse largement leur époque, inspirant les mouvements sociaux ultérieurs et continuant à stimuler les discussions sur la justice sociale et les droits humains. Ils ont aussi laissé une empreinte indélébile dans la pop culture grâce à leur look béret et blouson de cuire noir. On se souvient d’ailleurs que la chanteuse Beyoncé leur a rendu hommage en arborant leur style lors du show de la mi-temps du Super Bowl 2016. Enfin, Stan Lee s’est inspiré de ce mouvement lors de la création du super-héros Black Panther.

En parallèle, les albums consacrés au personnage du Major Jones offrent une exploration de l’histoire agitée des États-Unis. À travers les récits riches en anecdotes de Yann et du dessin immersif d’Eric Henninot et d’Olivier TaDuc, nous plongeons dans les luttes pour les droits civiques et les tensions sociales de l’époque. Ces BD, loin de célébrer l’héritage des Black Panthers, exposent plutôt les différentes perspectives et réalités de cette période. Elles nous invitent à une réflexion sur l’histoire américaine et sur l’importance de la résistance face à l’oppression, tout en mettant en lumière les complexités et les contradictions de cette époque tumultueuse.

XIII Trilogy - Jones T. 1/3 : Azur noir
Yann & Olivier TaDuc © Dargaud

Voir en ligne : Découvrez la série "XIII Trilogy - Jones" sur le site des éditions Dargaud

(par Christian MISSIA DIO)

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Code EAN : 9782505113614

XIII Trilogy - Jones T. 1/3 : Azur noir - Par Yann & Olivier TaDuc (couleurs : Bruno Tatti) - Ed. Dargaud. Format 222 x 295 mm. 48 pages couleur. 13 €. Album paru le 20 octobre 2023.

XIII Mystery T. 3 - Little Jones - Par Yann & Eric Henninot (couleurs : Bérengère Marquebreucq) - Ed. Dargaud. Format 222 x 295 mm. 56 pages couleur. 13 €. Album paru le 1er octobre 2010.

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XIII Dargaud ✍ Yann ✏️ TaDuc à partir de 13 ans Belgique
 
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