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La Synagogue et autres actualités sfariennes

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 25 octobre 2022                      Lien  
Il est de Sfar comme il en est des crus : il y a de bonnes et de mauvaises années, avec des hauts et des bas, comme dans toute production en coulée continue. Cette année est un bon millésime, car elle est marquée par un nouveau « Carnet » : « On s’en fout quand on sera mort » (Gallimard) et un album personnel, un des plus réussis de ces dernières années : « La Synagogue » (Dargaud). Deux albums-gigognes qui dialoguent entre eux, le premier étant une sorte de méta-commentaire du second.

Chez Joann Sfar, le rythme est cadencé. Le dernier Chat du Rabbin T. 11 : « La Bible pour les chats » (Dargaud) où le félin y va une fois de plus de ses commentaires talmudiques, cette fois sur la vérité des miracles, avec cette question subsidiaire ontologique : Abraham avait-il un chat ? permet de questionner le geste miraculeux du Divin, son sens et son utilité. Le Chat fait dans cet album une rencontre capitale : celle d’Elie, que l’on attend à tout moment à l’office dans la synagogue (une place lui est réservée), car il doit annoncer la fin des temps et l’arrivée du Messie.

La fin des temps était quasiment arrivée pour Joann Sfar, victime de la pandémie de Covid, que l’on retrouve à l’hôpital dans un sale état, avec des tuyaux partout. Il vient de passer à deux doigts de la mort. Alors ça donne à réfléchir… Le plus solide des agnostiques commence à se demander s’il n’y a pas là-bas quelque chose au bout du tunnel de la mort…

La Synagogue et autres actualités sfariennes

Un Sfar de la maturité

Sfar est-il devenu subitement religieux ? Allez savoir… Tout l’album est conçu comme un dialogue avec l’au-delà. Il convoque d’abord la figure de Joseph Kessel qui lui demande de couvrir ses fesses dans l’hôpital, histoire de conserver un peu de dignité. Il y a ensuite celle, majeure, de son père. C’est la première fois qu’il l’évoque de façon aussi importante. Beau gosse, le père, avocat des truands (on est dans la Nice de Jacques Médecin) mais aussi combattant contre les antisémites de tout poil au moment où Jean-Marie Le Pen accueille un gauleiter nazi dans un meeting, et où des skinheads font le coup de poing contre les Juifs.

On découvre alors un Sfar dans son adolescence -il a treize ans- qui apprend les sports de combat, façon Karaté Kid, pour pouvoir faire partie du service d’ordre de la synagogue afin de mieux échapper à l’office… Puis sa jeunesse niçoise, ses admirations tant littéraires qu’héroïques, comme Kessel, mais aussi de Romain Gary, autant de parangons de virilité. On les retrouvera dans ses BD tout au long de sa carrière.

Et puis, ce n’est pas non plus négligeable, il y a la Méditerranée qui relie Nice à l’Algérie, les copains avec lesquels on fait la fête, réservant le jour suivant pour faire le lézard sur les plages. On voit Sfar fréquenter des skinheads -on est en pleine montée de l’extrême-droite antisémite en France- des paumés le plus souvent, avec lesquels il arrive parfois à fraterniser, en rebelle fasciné par les rebelles.

C’est du pur Sfar, c’est bavard, dessiné au fil de la plume, sans documentation. « Au commencement était le verbe » dit le texte sacré. Chez Sfar, ce n’est pas au commencement, c’est tout le temps. Avec un texte écrit de sa jolie écriture ronde caroline, intelligent le plus souvent, virtuose parfois.

Sfar quitte ici son ton agaçant d’enfant de douze ans. C’est un Sfar de la maturité dans une adolescence qui se cherche entre une mère absente et un père écrasant. C’est remarquable parfois, beau souvent. Merci Covid pourrait-on dire, qui lui a donné une gravité sans laquelle sa production tombe quelquefois dans l’égotisme. Contrairement au Chat où ses interrogations spirituelles relèvent du jeu d’esprit, de la sophistique, il y a aussi une touche plus personnelle, qui confère à ce volume ce qui manque souvent à ce hâbleur professionnel, de l’authenticité.

Sfar, quoi !

Il y a trois sortes de diariste. Ceux qui prennent la pose, qui savent qu’ils seront lus et qui polissent l’image pour la postérité. Comme André Gide ou Julien Green. Il y a celui qui relève de la prise de notes quasiment journalistique, produisant une collection d’anecdotes et d’aphorismes qui n’ont leur place nulle part ailleurs dans l’œuvre comme les Choses vues de Victor Hugo ou les Cahiers de Cioran. Il y a enfin le journal intime, un dialogue entre soi et soi, où la vérité du sentiment, sinon la vacherie est à chaque ligne, sûre de son impunité, comme chez Stendhal ou Léautaud.

Sfar relève de la première catégorie. Ses journaux/carnets font partie intégrante de l’œuvre, c’est Méta-Maus en continu. C’est intéressant parce cela éclaire l’œuvre, ses intentions, les circonstances de sa création, comme c’est le cas ici pour La Synagogue.

Il y explique la difficulté de se représenter soi-même à l’adolescence, alors qu’il usait jusqu’ici la métaphore du petit Michel de Petit Vampire, son clone de dix ans. Tout cela est mêlé d’anecdotes personnelles, sur ses enfants, sa nouvelle maison, sa volonté de réunir tous ses Carnets dans une collection unique chez Gallimard (peut-être s’est-il donné, à terme, l’objectif de faire entrer la BD dans La Pléiade…), sa relation avec ses potes dessinateurs : Christophe Blain, Mathieu Sapin..., son poste de prof aux Beaux-Arts dont il chronique les petits scandales, ses collaborations cinématographiques…

On le voit hanter les cafés de Saint-Germain-des-Prés, où il habite, comme Jean-Paul Sartre, Boris Vian, Ernest Hemingway, Truman Capote, Alain Robbe-Grillet, Léo Ferré, Michel Butor, Roland Barthes, et bien sûr Romain Gary avant lui.

Évidemment que, comme il sait qu’il va être lu, la sincérité n’est pas de mise ici. On y voit le bon prof, le bon père, le bon mari, l’auteur vertueux toujours dans son exercice de justification. Mais c’est plaisant, agréable à lire, primesautier comme du Françoise Sagan, facétieux et plein d’esprit comme du Sollers. Mais cela reste du Sfar. Sfar, quoi !

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Gallimard BD Dargaud ✏️ Joann Sfar 🎨 Brigitte Findakly à partir de 13 ans Autobiographie
 
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