Actualité

La production de la BD en 2009 : stable en temps de crise

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 27 décembre 2009                      Lien  
En découvrant le rapport 2009 de Gilles Ratier / ACBD sur la production de la BD dans l’espace francophone, on pourrait reprendre les chiffres de l’année dernière et en tirer la même épure : après quatorze années, la production de la BD, sans pour autant régresser, marque le pas. Faut-il s’en inquiéter ?

Imaginez les états-majors des maisons d’édition fin 2008 quand ils ont eu à bâtir leur programme pour 2009. De toutes parts, on leur affirmait que la crise était là, de grandes industries s’apprêtant à faire des coupes drastiques dans leurs dépenses, des chiffres de chômage partout en progression et une reprise incertaine… Dans ces cas-là, que fait-on ? On réduit la voilure et la prise de risque, au cas où…

La production de la BD en 2009 : stable en temps de crise
La production de la BD en 2009. Un équilibre stable depuis plusieurs années.
Chiffres de Gilles Ratier/ACBD. Graphe : L’Agence BD

C’est exactement la tendance en 2009 : l’investissement des éditeurs s’est d’abord porté sur les valeurs sûres. On a réduit la production (les N°1 des nouvelles séries ont décru), investi dans des titres à l’audience avérée qu’ils soient franco-belges (Astérix, Blake & Mortimer, XIII, Lanfeust, Spirou, Les Passagers du vent, Les Nombrils, Les Profs,…) ou asiatiques (Naruto, One Piece, Death Note…), en favorisant notamment des nouvelles éditions de titres anciens sous la forme d’intégrales (Gil Jourdan, Dragon Ball), de façon à conforter le patrimoine, maîtriser les investissements et accroître les marges sans risque grâce à des titres amortis depuis longtemps.

En 2009, l’investissement s’est surtout fait dans les valeurs sûres. Le stand Média-Participations au Salon du Livre de Paris (Mars 2009).
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

C’est vrai dans tous les secteurs, y compris la bande dessinée indépendante où l’on propose des titres anciens sous un nouveau packaging (Cf. Persepolis de Satrapi ou La Guerre d’Alan de Guibert à L’Association).

Frilosité attendue

Selon les chiffres de Gilles Ratier (ACBD) pour 2009 (dont l’intégralité est téléchargeable en fin de cet article sous la forme d’un document PDF), sur 4863 nouveautés BD ou assimilées produites en 2009, plus de 18% sont des nouvelles éditions du fond et ce sont les éditeurs dont les fonds sont les plus anciens qui pèsent le plus dans cette pratique : 47% des nouveautés pour le groupe Media-Participations, près de 34% dans le groupe Soleil, 30% chez Glénat, 17% chez Delcourt. Un bon nombre de nouveautés à succès de l’année sont le fait de séries existantes. Tout ceci n’est pas nouveau et se profile de la même façon depuis plusieurs années.

Autre signe de frilosité : on favorise l’adaptation d’œuvres littéraires ou cinématographiques en BD (collections Ex-Libris et Star Wars, chez Delcourt, Rivages Noir chez Casterman, Agatha Christie chez Proust, etc.), comme naguère les « people » de la télé ou de la politique, pour profiter de la notoriété d’un auteur ou d’une « marque » extérieure à la BD.

La BD pratique le "cross-branding", profitant de "marques" célèbres pour se vendre. Ici, le stand Nocturnes au Salon du Livre de Montreuil.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)
Même Crumb joue les valeurs sûres. En 2009, il adapte La Genèse ! Ici avec Jean-Luc Fromental (Vertige Graphic) et Lora Fountain, son agent.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Tous les secteurs du marché marquent le pas, mangas compris, mais restent stables avec, toujours en terme de production, un léger fléchissement dans la BD franco-belge et une petite progression pour les comics, mais rien de significatif en terme de tendance.

Le seul fait marquant est l’arrivée officielle de Viz en Europe. Prenons-le comme une bonne nouvelle : ce nouveau challenger sur le marché obligera les éditeurs francophones à repenser leurs pratiques commerciales. Il ne faut pas s’en inquiéter outre mesure puisqu’avec 1891 titres et 52,5% des nouveautés dévolues à des titres traduits d’une langue étrangère (en légère progression depuis l’année dernière), la BD francophone affronte depuis longtemps l’un des marchés les plus concurrentiels au monde.

Viz Media Europe à Francfort en octobre 2009.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Mutations numériques

L’effet de cette frilosité est négatif pour les nouvelles générations d’auteurs qui trouvent moins de débouchés qu’avant et pour les auteurs de « one shots », que ce soient des romans graphiques ou des BD classiques. La compétition n’en est que plus féroce car le public aussi, échaudé par une offre chaque année plus pléthorique, préfère suivre benoîtement ses séries plutôt que de s’aventurer sur des terres inconnues.

Par conséquent, la nouvelle génération investit les blogs et l’Internet pour d’abord se faire connaître, ensuite pour trouver des débouchés à son travail. Le numérique a suscité beaucoup d’attention cette année mais n’est toujours pas un secteur significatif en terme de chiffre d’affaires. Il permet néanmoins aux auteurs débutants une certaine visibilité sans trop de dépenses, remplaçant en cela la fonction des fanzines de naguère.

Le phénomène des blogs sera-t-il central dans l’évolution de la BD de demain ? C’est possible. Ici, un stand de la Foire du Livre de Francfort en octobre 2009.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Cela oblige les éditeurs à se positionner sur ce segment, précisément pour éviter aux jeunes auteurs d’y obtenir une place significative en se passant de leur intermédiaire, comme semble l’indiquer le lancement en janvier du label Sandawe, une nouvelle maison d’édition basée sur le principe du crowdfunding. On peut même affirmer que l’activité des éditeurs classiques dans ce registre relève davantage de la communication que du « vrai » business. Une façon de montrer qu’on est « resté dans le coup », en attendant l’iSlate, la « tablet » de Mac dont la commercialisation est annoncée pour le 26 janvier 2010.

C’est que la nouvelle génération ne compte plus, comme certains de ses aînés, sur la seule bande dessinée pour boucler ses fins de mois. Une auteure comme Pénélope Bagieu, sorte de Bretécher d’aujourd’hui mâtinée de Wolinski (Joséphine, Ma vie est tout à fait fascinante chez Jean-Claude Gawsewitch), est caractéristique des créateurs issus de l’Internet qui cumulent succès en librairie et recettes ( notamment publicitaires sur le web ) en dehors des sentiers battus.

En Mars 2009, au Salon du Livre, une démonstration de BD numérique faite par SFR.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Artistes pluridisciplinaires

Singulier aussi est le parcours de Riad Sattouf qui, en réalisant lui-même son film Les beaux Gosses tiré de l’une de ses BD, fait un score notable en salle, comme en DVD, cette année. La tendance, là non plus, n’est pas nouvelle. Souvenez-vous que la génération des Lauzier, Bilal, Martin Veyron avait trouvé des débouchés dans le cinéma bien avant que Marjane Satrapi, Winschluss, Joann Sfar, Clément Oubrerie ne s’y mettent, avec de jolis succès d’ailleurs.

De plus en plus, les autres supports que le papier font l’objet de promotions de la part des éditeurs. Ici, les versions de Lanfeust (Soleil) sur ordinateur ou téléphone portable en décembre 2009.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Ce qui frappe en revanche, c’est la précocité de ces vocations (Sattouf a 31 ans), précieux facteur d’expérience, quelle que soit la réussite du projet. On se souvient que les débuts de Franquin, Morris et Peyo dans l’animation ont été essentiels dans l’orientation de leur carrière.

La bande dessinée du 21ème Siècle sera pluridisciplinaire et multimédia ou ne sera pas.

Le Rapport de Gilles Ratier pour l’ACBD
Téléchargeable en PDF

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

 
Participez à la discussion
13 Messages :
  • Erratum
    27 décembre 2009 19:07

    Les Beaux Gosses est un scénario original de Riad Sattouf, pas une adaptation d’une de ses BD.

    Répondre à ce message

    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 27 décembre 2009 à  22:51 :

      Le point de départ est "Retour au collège" mais c’est un scénario original, effectivement. "Tiré" ne signifie pas "adapté".

      Répondre à ce message

      • Répondu le 28 décembre 2009 à  09:06 :

        J’ai rarement lu le mot "tiré" dans un contrat audiovisuel. "Adapté", oui. Et même quand il s’agit de l’adaptation d’une série avec des épisodes créés exprès pour la TV et qui n’existent pas dans les albums, on parle d’adaptation. C’est bizarre d’ailleurs.

        Répondre à ce message

        • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 28 décembre 2009 à  17:43 :

          Cet article est-il un contrat audiovisuel ?

          Répondre à ce message

  • "La bande dessinée du 21ème Siècle sera pluridisciplinaire et multimédia ou ne sera pas."

    Elle l’est déjà !

    Répondre à ce message

    • Répondu par Michel Dartay le 27 décembre 2009 à  22:46 :

      Ah bon ? Vous avez des exemples précis en tête ? Merci de les citer, moi je ne vois pas !

      Répondre à ce message

      • Répondu par Icecool le 28 décembre 2009 à  08:11 :

        Tout dépend, il me semble et pour affiner la réflexion du précédent "posteur" de la définition du mot "multimédia", mais diverses expériences rejoignent cet esprit depuis longtemps :
        adaptations de BD au cinéma ou en jeux vidéo (Tintin, XIII ou les Schtroumpfs), projets véritablement multimédias comme les BDVD de l’éditeur Seven Sept (Thorgal notamment) et bien sur les blogs BD ou les sites de BD en ligne comme Digibidi. Voir encore les coffrets proposant album et cdrom complémentaire comme le récent Putain de guerre de Tardi.

        L’avenir verra probablement surgir des BD numériques sur blu-ray avec bonus interatifs... visibles avec des lunettes 3D.

        Répondre à ce message

        • Répondu le 28 décembre 2009 à  09:03 :

          Le futur du Blu-Ray, c’est le téléchargement.
          La BD numérique, c’est un gadget.
          Le futur de la BD sur écran miniatures ou géants, c’est le dessin animé ou le cinéma.

          Répondre à ce message

        • Répondu par joel le 28 décembre 2009 à  10:07 :

          on peut rajouter a cette liste les BD sur les téléphones portables !

          Répondre à ce message

    • Répondu par Sergio Salma le 28 décembre 2009 à  18:01 :

      Elle l’est déjà pour quelle proportion de la production ? Sur les 1300 ou 1400 réelles nouveautés, 7 ? 8 ? C’est donc du 0,03% environ

      Le futur de la bande dessinée c’est la bande dessinée. Que de nouveaux supports apparaissent est relativement anecdotique. Sauf pour les auteurs qui justement ont été nourris aux différents biberons. ll y a quelques exemples d’artistes qui d’emblée débarquent avec une connexion avec autre chose que le livre. Mais à part les mangas qui sont consommés sous plusieurs formes, si on regarde les 30 best-sellers, on peut constater que la bande dessinée reste bien cantonnée à l’édition album ultra-classique. En 2009 en tout cas, tout ce qui est parallèle est quand même hyper-limité.

      Si Astérix ou Titeuf sont aujourd’hui présents dans des sphères très différentes, les succès de Lanfeust , des profs ou de Blake et Mortimer c’est uniquement au réseau habituel qu’ils le doivent.

      Il me semble que ces futures oeuvres, originellement multimédias, tardent encore à émerger. (Mais ce n’est peut-être qu’une impression). Les créations marquantes de 2009 pour moi n’ont rien à voir avec les "avancées technologiques". Rébétiko ou Blast ou le Landais volant autant que les séries installées du niveau de XIII, les nombrils ou les Tuniques bleues c’est de la bande dessinée qui s’en tire très bien toute seule. Elle est peut-être appelée à envahir d’autres supports, pourquoi pas, mais ces développements ne viennent qu’ APRES le succès papier. Bien après.

      Répondre à ce message

      • Répondu par Michel Dartay le 28 décembre 2009 à  21:45 :

        Vous avez reformulé avec précision le fonds de ma pensée, et je vous en remercie.

        Effectivement, depuis le temps que l’on nous rabat les oreilles avec la BD numérique, force est de constater rien d’important n’a émergé jusqu’ici. Que quelques milliers de technophiles téléchargent des albums BD numérisés sur leur ipod ne change rien, car ils vont privilégier des valeurs sûres du genre Lanfeust ou Lucky Luke. A quoi servent les quelques BD vendues sous forme de DVD ? A proposer des bonus interactifs qui ont du mal à remplacer le plaisir de la lecture sur papier ! A la limite, seul le blog gratuit d’accès peut servir à faire connaitre un jeune auteur talentueux. Mais combien de fans gratuits vont accepter de payer pour la même chose ?

        Répondre à ce message

      • Répondu le 29 décembre 2009 à  10:51 :

        Peut-être qu’il ne faut pas concevoir une œuvre multimédia par rapport à une BD existante ou un projet BD mais par rapport à tous les moyens de développement possibles d’un univers. Intégrer toutes ces possibilités à la source du projet. Que tout soit déjà dans l’œuf. Ainsi, il n’est plus question d’adaptation multimédia mais de création multimédia.
        C’est sûr, si vous placez toujours la BD au "Centre de la Création", vous ne risquez pas de faire émerger grand chose !

        Répondre à ce message

      • Répondu le 29 décembre 2009 à  11:09 :

        Même après un succés relativement intéressant (50.000 ex vendus) les lectures sur iphone ou autre support web de mon album en numérique restent complètement anecdotique, au point qu’on s’embète même pas à compter ça dans les droits,
        la bd reste un support "papier".

        Répondre à ce message

CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Didier Pasamonik (L’Agence BD)  
A LIRE AUSSI  
Actualité  
Derniers commentaires  
Agenda BD  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD