Imaginez les états-majors des maisons d’édition fin 2008 quand ils ont eu à bâtir leur programme pour 2009. De toutes parts, on leur affirmait que la crise était là, de grandes industries s’apprêtant à faire des coupes drastiques dans leurs dépenses, des chiffres de chômage partout en progression et une reprise incertaine… Dans ces cas-là, que fait-on ? On réduit la voilure et la prise de risque, au cas où…
C’est exactement la tendance en 2009 : l’investissement des éditeurs s’est d’abord porté sur les valeurs sûres. On a réduit la production (les N°1 des nouvelles séries ont décru), investi dans des titres à l’audience avérée qu’ils soient franco-belges (Astérix, Blake & Mortimer, XIII, Lanfeust, Spirou, Les Passagers du vent, Les Nombrils, Les Profs,…) ou asiatiques (Naruto, One Piece, Death Note…), en favorisant notamment des nouvelles éditions de titres anciens sous la forme d’intégrales (Gil Jourdan, Dragon Ball), de façon à conforter le patrimoine, maîtriser les investissements et accroître les marges sans risque grâce à des titres amortis depuis longtemps.
C’est vrai dans tous les secteurs, y compris la bande dessinée indépendante où l’on propose des titres anciens sous un nouveau packaging (Cf. Persepolis de Satrapi ou La Guerre d’Alan de Guibert à L’Association).
Frilosité attendue
Selon les chiffres de Gilles Ratier (ACBD) pour 2009 (dont l’intégralité est téléchargeable en fin de cet article sous la forme d’un document PDF), sur 4863 nouveautés BD ou assimilées produites en 2009, plus de 18% sont des nouvelles éditions du fond et ce sont les éditeurs dont les fonds sont les plus anciens qui pèsent le plus dans cette pratique : 47% des nouveautés pour le groupe Media-Participations, près de 34% dans le groupe Soleil, 30% chez Glénat, 17% chez Delcourt. Un bon nombre de nouveautés à succès de l’année sont le fait de séries existantes. Tout ceci n’est pas nouveau et se profile de la même façon depuis plusieurs années.
Autre signe de frilosité : on favorise l’adaptation d’œuvres littéraires ou cinématographiques en BD (collections Ex-Libris et Star Wars, chez Delcourt, Rivages Noir chez Casterman, Agatha Christie chez Proust, etc.), comme naguère les « people » de la télé ou de la politique, pour profiter de la notoriété d’un auteur ou d’une « marque » extérieure à la BD.
Tous les secteurs du marché marquent le pas, mangas compris, mais restent stables avec, toujours en terme de production, un léger fléchissement dans la BD franco-belge et une petite progression pour les comics, mais rien de significatif en terme de tendance.
Le seul fait marquant est l’arrivée officielle de Viz en Europe. Prenons-le comme une bonne nouvelle : ce nouveau challenger sur le marché obligera les éditeurs francophones à repenser leurs pratiques commerciales. Il ne faut pas s’en inquiéter outre mesure puisqu’avec 1891 titres et 52,5% des nouveautés dévolues à des titres traduits d’une langue étrangère (en légère progression depuis l’année dernière), la BD francophone affronte depuis longtemps l’un des marchés les plus concurrentiels au monde.
Mutations numériques
L’effet de cette frilosité est négatif pour les nouvelles générations d’auteurs qui trouvent moins de débouchés qu’avant et pour les auteurs de « one shots », que ce soient des romans graphiques ou des BD classiques. La compétition n’en est que plus féroce car le public aussi, échaudé par une offre chaque année plus pléthorique, préfère suivre benoîtement ses séries plutôt que de s’aventurer sur des terres inconnues.
Par conséquent, la nouvelle génération investit les blogs et l’Internet pour d’abord se faire connaître, ensuite pour trouver des débouchés à son travail. Le numérique a suscité beaucoup d’attention cette année mais n’est toujours pas un secteur significatif en terme de chiffre d’affaires. Il permet néanmoins aux auteurs débutants une certaine visibilité sans trop de dépenses, remplaçant en cela la fonction des fanzines de naguère.
Cela oblige les éditeurs à se positionner sur ce segment, précisément pour éviter aux jeunes auteurs d’y obtenir une place significative en se passant de leur intermédiaire, comme semble l’indiquer le lancement en janvier du label Sandawe, une nouvelle maison d’édition basée sur le principe du crowdfunding. On peut même affirmer que l’activité des éditeurs classiques dans ce registre relève davantage de la communication que du « vrai » business. Une façon de montrer qu’on est « resté dans le coup », en attendant l’iSlate, la « tablet » de Mac dont la commercialisation est annoncée pour le 26 janvier 2010.
C’est que la nouvelle génération ne compte plus, comme certains de ses aînés, sur la seule bande dessinée pour boucler ses fins de mois. Une auteure comme Pénélope Bagieu, sorte de Bretécher d’aujourd’hui mâtinée de Wolinski (Joséphine, Ma vie est tout à fait fascinante chez Jean-Claude Gawsewitch), est caractéristique des créateurs issus de l’Internet qui cumulent succès en librairie et recettes ( notamment publicitaires sur le web ) en dehors des sentiers battus.
Artistes pluridisciplinaires
Singulier aussi est le parcours de Riad Sattouf qui, en réalisant lui-même son film Les beaux Gosses tiré de l’une de ses BD, fait un score notable en salle, comme en DVD, cette année. La tendance, là non plus, n’est pas nouvelle. Souvenez-vous que la génération des Lauzier, Bilal, Martin Veyron avait trouvé des débouchés dans le cinéma bien avant que Marjane Satrapi, Winschluss, Joann Sfar, Clément Oubrerie ne s’y mettent, avec de jolis succès d’ailleurs.
Ce qui frappe en revanche, c’est la précocité de ces vocations (Sattouf a 31 ans), précieux facteur d’expérience, quelle que soit la réussite du projet. On se souvient que les débuts de Franquin, Morris et Peyo dans l’animation ont été essentiels dans l’orientation de leur carrière.
La bande dessinée du 21ème Siècle sera pluridisciplinaire et multimédia ou ne sera pas.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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