Le chant des étoiles - Par Baudoin et Lepage - Éd. Futuropolis

José Olivares a eu le nez creux. Opiniâtre professeur de physique dans un lycée grenoblois, d’origine chilienne, il a déplacé des montagnes (les Andes par exemple), pour réunir deux de nos célèbres dessinateurs/auteurs de BD, Edmond Baudoin et Emmanuel Lepage autour d’un audacieux projet : dessiner les étoiles là où on les voit les mieux, à savoir dans le désert d’Atacama au nord du Chili. Sauf que rien ne se déroulera comme prévu, l’infiniment petit (coronavirus pour le monde entier ; cancer pour E. Lepage !) venant leur barrer la route dans cette quête d’infiniment grand.

On aurait pu effectivement craindre un livre un « brin foutraque », comme le dit l’éditeur Claude Gendrot, tant ces auteurs sont différents à bien des niveaux (âge certes, mais surtout style et thématique). Mais c’est tout le contraire, cet épais roman graphique étant très fluide, les deux auteurs se succédant parfois d’une planche à l’autre, se croisant le plus souvent, pour nous livrer un vrai ouvrage à quatre mains, y entrelaçant leurs mots et leurs dessins.

Ici, Baudouin et Lepage dessinent le même lieu.

Là (dessin de gauche, p.83), Baudoin, à la patte facilement reconnaissable, dessine. Lepage et se glisse dans sa tête. Et vice-versa à droite (p.134).

Ce récit polyphonique se déroule donc dans cette immense « île » qu’est le Chili, coincée entre Andes et océan Pacifique. L’air de rien, défile sous nos yeux toute l’histoire du Chili (sans que ce soit pesant), depuis l’arrivée des colons espagnols, jusqu’aux dernières élections qui ont vu la victoire du jeune Boric à la tête du pays, en passant par les années Allende tristement suivies de celles du dictateur Pinochet. Ile géographique, le Chili est peut-être plus encore une île politique dans cette Amérique, lui qui fut la terre d’élection des néo-libéraux de l’école de Chicago et qui tente dorénavant (sans succès) d’inscrire des droits très avancés dans une constitution plus inclusive : une terre où tout est possible - du moins, où tout est tenté.

Baudoin et Lepage ont trouvé là un très beau terrain d’entente, se rappelant de leur rencontre il y a 25 ans, puis de leur amour pour une même femme, qui les avait séparés. Ce livre creuse le sillon des amours diverses, dont ces deux auteurs, le premier surtout, sont aussi de vrais spécialistes et avant-gardistes. Malgré leur âge, ils sont en parfaite harmonie avec les jeunes générations (la fille du professeur et quelques autres jeunes sont aussi du voyage au Chili, ce qui nous vaut des discussions passionnantes sur le genre, l’amour et, plus largement de la vie).

Les sujets embrassés sont larges, mais surtout traités avec humanité, un sens de la formule, un goût pour les mots (« Je travaille sur un livre autobiographique [1]... avec la prétention de dire ce qu’est vieillir. Je deviendrai vieux plus tard », nous dit Baudoin (p11)/ « Comment faire tenir dans ce livre la vie de l’homme et celle des galaxies » (p123)), et surtout avec une qualité graphique permanente, où les styles très différents de nos deux dessinateurs s’épanouissent pleinement, pour notre plus grand plaisir. Les amateurs de Baudoin et de Lepage y trouveront beaucoup à piocher. Quant à ceux qui connaissent un peu le Chili, ils auront plaisir à le retrouver, comme cette ville de Valparaiso et ses rues en pente, ses maisons colorées, avec ses fils électriques entremêlés, ses nombreuses peintures murales.

Merci donc à José Gonzales, à Edmond Baudoin et à Emmanuel Lepage de nous livrer cet opus improbable où l’on tutoie les étoiles. Il faut prendre le temps de déguster cet ouvrage, de regarder ses planches, de s’imprégner de ses interrogations diverses, y compris sur le dessin, ses difficultés et ses ratés, chez deux auteurs pourtant confirmés mais qui continuent de se questionner.