Certes, c’est un peu sommaire comme introduction. Pour autant, lorsque vous saurez que chaque personnage de cette histoire est en réalité un personnage de nos contes populaires (Pinocchio, La Belle au bois dormant, Blanche-Neige, Cendrillon, le Dragon, la grenouille…), qu’ils sont assez différents de l’image que nous pouvons en avoir, vous comprendrez que Michel Alzéal nous promet ici une histoire aussi originale que réjouissante.
Mais ce n’est pas là son principal intérêt. L’auteur, habitué des essais graphiques variés, joue avec les codes de la BD en détournant la construction classique des planches et des cases, en y ajoutant nombre de petits détails amusants. À ce propos, nous sommes particulièrement fans du combat contre le dragon, où celui-ci brûle les cases, et du petit panneau qui indique ce qu’il va se passer dans 70 cases. Lorsque c’est bien fait, et c’est le cas ici, c’est vraiment un plaisir de lecture.
Mais surtout, l’album n’a pas de texte. Il a des phylactères, contrairement aux albums muets (dont certains sont de très grande qualité [1]), mais les mots sont remplacés par des pictogrammes (d’où le titre de l’album…) qui donnent l’idée générale de l’action.
Ces petites images nous entourent depuis des siècles, peut-être des millénaires. Depuis l’avènement de la communication à grande échelle, elles envahissent notre quotidien et les émojis n’en sont qu’une déclinaison. Si nous avons l’habitude depuis longtemps de voir les insultes remplacées par ces petites images, avoir un album entier réalisé ainsi n’est pas chose courante. Et le lecteur s’habitue très vite à la lecture des pictogrammes.
Permettons-nous d’aller plus loin : pour l’avoir testé avec des élèves de collège en difficulté de lecture (pour ne pas dire en souffrance), c’est un album dont la forme et le fond permettent de dédramatiser l’accès à l’objet-livre. Les albums muets, que nous évoquions plus haut, sont plus difficiles d’accès pour ces élèves, car l’absence totale de support oblige l’enfant à un effort d’attention et d’interprétation auquel il n’est, malheureusement, plus habitué.
On pourra prétendre que c’est une lecture facile qui entretient le culte de l’image et qui ne permettra pas à ces élèves de progresser. Certes, c’est sans doute vrai. Pour autant, redonner plaisir à un élève à la lecture d’un livre, fut-il sans texte, c’est déjà une petite victoire qui peut ouvrir d’autres portes.
Michel Alzéal réalise un album au dessin simple voir simpliste, très lisible et à la mise en couleur sobre. Ajoutons que l’histoire en elle-même est vraiment jouissive, pleine de rebondissements et parle à toutes les générations. C’est une vraie réussite. En espérant que cet "OBNI" (objet bédé non-identifié) ne reste pas une exception dans le monde éditorial.
Cet album a été sélectionné pour le prix BD 2024 France Bleu / ActuaBD.
(par Jérôme BLACHON)
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[1] Tel que le sublime et incontournable Là où vont nos pères, de Shaun Tan, ou le très beau et poétique L’Écorce des choses, de Cécile Bidault
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