Lidia a 18 ans, pour marquer le coup, rien de mieux qu’une première soirée en boîte de nuit avec sa meilleure amie Leslie. Les deux jeunes femmes dansent, rient... La soirée bat son plein, mais au cœur de la fête, Lidia perd de vue sa comparse. La soirée tourne alors au cauchemar. Des inconnus encerclent notre héroïne et lui font subir des attouchements. Les idées noires de Lydia refont surface, la jeune femme étant déjà hantée par des cauchemars quotidiens. Cet événement n’est que le premier déclic d’une longue prise de conscience pour notre héroïne qui se revoit plongée dans un passé des plus troublés. Un long cheminement commence alors dans l’engrenage de la mémoire traumatique. Entre révélation et acceptation, Lidia peut compter sur ses proches pour l’accompagner dans sa quête de vérité.
Ce qui fait la force de cet ouvrage, c’est sûrement sa revendication autobiographique. À travers des dessins pourtant particulièrement simples, Lidia Mathez parvient à mettre en scène ses pensées traumatiques dans des formes très imagées, tout à fait abordables et identifiables pour un jeune public. Avec trois couleurs et peu de détails, l’autrice parvient à illustrer l’angoisse, la dissociation, l’isolement, avec simplicité et clarté. Elle fait également le choix de grandes respirations entre les planches avec des pages vierges sur lesquelles elle appose par écrit ses ressentis. En se livrant sur son parcours, la bédéiste facilite l’identification de son lectorat dans une démarche pédagogique et accessible.
Avant d’être un récit traumatique, Embrasse-moi est un ouvrage sur cette période charnière du passage à la majorité. Car oui, si notre héroïne vient d’avoir 18 ans, elle n’en est pas moins pourvue de limites. À l’image de cette première soirée en boîte, Lidia ne se retrouve pas dans ces soi-disant prérogatives que l’on prête à l’âge adulte. Des questions cruciales à un âge où la pression du groupe met encore trop souvent sous silence les limites de chacun.
Embrasse-moi, c’est aussi et surtout un ouvrage sur le consentement. L’autrice dénonce sa transgression y comprit dans ses formes les plus sournoises. C’est notamment le cas lorsque la professeur de Lidia outrepasse les réticences de son élève à faire don de ses planches en usant de discours culpabilisants. En inscrivant cette thématique dans des sphères plus larges, l’autrice rappelle qu’au-delà du cadre sexuel, le respect du consentement est une attitude globale qui doit s’appliquer partout, tout le temps.
Embrasse-moi se démarque en traitant le lourd sujet de la mémoire traumatique. L’autrice décrit à merveille ce brouillard cérébral, hanté par des ombres sur lesquelles les victimes mettent parfois des dizaines d’années à poser un nom. Mais Lidia va au-delà du cauchemar et décrit le cheminement de recherche par lequel elle est passée, la quête de témoignages similaires, la communication avec sa mère sur son enfance. Dans Embrasse-moi lorsque les souvenirs reviennent, c’est la vie qui reprend. L’autrice encourage la prise de parole et l’écoute, mettant en lumière les résultats positifs d’une prise en charge bienveillante.
Embrasse-moi, c’est une BD pour les victimes, mais aussi pour leurs proches, familles, conjoints, amies. Si, dans l’actualité, les témoignages ne sont pas toujours accueillis au mieux, cette fin heureuse est une source d’espoir pour les jeunes qui n’osent pas sortir du silence. Avec ce premier ouvrage Lidia Mathez produit un récit touchant et pédagogique. Dans ses remerciements, l’autrice dit s’être libérée d’un poids en écrivant Embrasse-moi, c’est tout ce que l’on souhaite aux lecteurs et lectrices qui se retrouveront dans ses mots.
(par Louise Ageorges)
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.