Mise en orbite réussie
Les éditions Deman avaient déjà frappé fort pour leurs deux premiers ouvrages. Anciennement spécialisée dans l’édition de magazines sur le cinéma, la musique ou les séries télé, cette maison d’édition indépendante s’est lancée, en septembre 2022, dans la BD avec le très bon Les sauveurs, un roman graphique qui présente le parcours de 7 défenseurs de la cause animale. Avait ensuite suivi quelques mois plus tard l’excellent Nées Rebelles, œuvre collective traitant de destins de 6 jeunes filles engagées pour la défense d’une cause noble, qu’elle soit environnementale, sociale ou politique.
Dans les deux cas, Laurent Hopman, journaliste et co-créateur de la maison d’édition, participait à l’écriture du scénario avec ses complices Julien Derain et Fabien Morin. Les dessins étaient confiés à plusieurs artistes, permettant ainsi de varier les styles.
Pour ce nouvel opus, changement complet de sujet, de décor et équipe : Laurent Hopman s’occupe ici seul du scénario pendant que Renaud Roche officie au dessin. Pari encore une fois réussi.
Les deux hommes sont en effet des passionnés de l’univers Star Wars et surtout de son créateur et cela se voit à tous les niveaux. Leurs parcours similaires, oscillant entre cinéma, presse et musique, se reflètent aussi très fortement dans la construction et les visuels de cet album ciselé à la perfection et destiné à devenir un must have pour tous les fans de BD, de cinéma, de science fiction, mais surtout et évidemment de la saga.
Un scénario cinématographique...
Le scénario de Laurent Hopman propose une intéressante mise en abîme puisqu’il met son lectorat en position de caméraman : c’est lui qui "filme" Lucas dans les différentes étapes de sa vie et de sa carrière, y compris lorsque celui-ci tourne. Ce point de vue tiers permet à l’auteur de faire intervenir différents protagonistes qui rythment le récit et de prendre du recul, au sens littéral et métaphorique du terme, sur la personnalité de George Lucas, lui-même.
L’auteur arrive à faire passer la tension, l’angoisse et les doutes de Lucas à travers ses silences, son attitude et par opposition aux personnalités qui l’entourent comme sa femme Marcia, bien plus exubérante que lui et qui n’hésite pas à le secouer par des remarques parfois cinglantes mais toujours justes. Leur complicité transpire cependant dans toutes les cases qui leur sont consacrées.
L’important travail documentaire fourni se ressent aussi dans la multitude de détails que Laurent Hopman fait passer dans plusieurs scènes clés, lesquelles permettent de mieux comprendre la personnalité du réalisateur d’American Graffiti, film important pour la suite.
Malgré les apparences, Lucas n’est pas le seul centre d’intérêt et c’est toute la force de cet album : toutes celles et tous ceux qui gravitent autour de lui alimentent des va-et-vient dans l’intrigue, à l’image de Steven Spielberg ou le producteur Alan Ladd par exemple, seul à croire au projet Star Wars au sein de la 20th Century Fox et que l’on voit régulièrement revenir dans le scénario. Les proches, l’ensemble du casting de Star Wars et les hommes de l’ombre sont représentés dans des scènes qui les rendent vivants, concrets et donnent une dimension très humaine à cet album loin d’être lisse.
On découvre ainsi Ben Burtt, le spécialiste des bruitages de Star Wars devenu depuis une référence en la matière, les débuts de Joe Jonhston, futur réalisateur de Captain America ou encore Gary Kurtz engagé en tant que producteur exécutif.
Du côté des acteurs, les interprètes de C3PO et R2D2, Anthony Daniels et Kenny Baker sont aussi visibles que Carrie Fisher, Mark Hamill ou Harrison Ford, et les répliques d’Alec Guiness valent leur pesant d’or.
Cet ensemble d’anecdotes est amené de telle façon que Les guerres de Lucas peut aussi se lire comme un pan de l’histoire du cinéma, permettant ainsi à un lectorat non initié de découvrir cet univers.
Tout l’intérêt de l’intrigue est qu’elle s’inscrit dans une temporalité précise et repose sur les difficultés rencontrées par Lucas, son équipe et ses acteurs avant, pendant et même après le tournage du premier épisode de ce qui n’est pas encore une saga. En prenant le contrepoint d’un hommage consensuel adulant Star Wars, Les guerres de Lucas donnent corps au film en montrant ses aspérités, ses failles et celles de son créateur. La conclusion de l’album ouvre une porte magnifique vers une suite éventuelle
... Et un dessin qui l’est tout autant !
Le dessin de Renaud Roche, ancien du studio Illumination Mac Guff, est parfaitement calibré à la dimension cinématographique du sujet. Ses représentations des personnages et notamment de George Lucas sont à la fois précises et sommaires.
Il s’en explique d’ailleurs en fin d’ouvrage, en montrant les différents tests de croquis qu’il a effectués avant d’arrêter son choix sur ce trait simple et souple mais qui rend immédiatement reconnaissable n’importe quel personnage, de Carrie Fisher à Alec Guiness en passant par George Lucas lui-même.
La page 78 consacrée au casting des actrices et acteurs est à ce titre un prodige visuel tant, en quelques coups de crayons et en restant dans les tons de gris, Renaud Roche arrive à saisir l’essence du physique d’un Tommy Lee Jones ou d’un John Travolta.
Côté décors et couleurs, il reste également dans le simple, efficace et intemporel. Les teintes de l’album sont majoritairement grisées ou beiges avec quelques touches de couleurs vives sur les éléments importants de la vie de Lucas et la construction de l’univers Star Wars : l’accident de voiture du jeune George qui offre une planche d’anthologie en page 10, les scènes d’un pré univers galactique qu’il imagine déjà, les lectures qui l’ont influencé ou encore ses rencontres avec sa future femme Marcia et avec Steven Spielberg. La couleur beaucoup plus terne associée à sa rencontre avec Francis Ford Coppola augure bien du fait que leur relation était vouée à l’échec.
Véritable joyau, tant par son contenu que par sa forme, Les guerres de Lucas est un album graphique accessible aux fans comme aux néophytes de l’univers de Star Wars, les auteurs ayant réussi à maintenir le juste équilibre entre hommage à la saga, biographie du réalisateur et découverte des dessous du cinéma.
(par Gaëlle BEDIS)
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