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Les Cahiers ukrainiens : Igort nous raconte l’invasion

Par Philippe LEBAS Marlene AGIUS le 11 février 2023                      Lien  
"Je m'appelle Igor, je suis italien. Igor est mon vrai prénom, un prénom russe". Il s'agit évidemment du famosissimo Igort, éditeur et auteur italien pétri de culture russe, ayant habité en Ukraine où il a rencontré sa femme, qui a rédigé cet album sur l'invasion déclenchée par la Russie, il y a maintenant près d'un an. Une œuvre opportune donc, mais pas opportuniste.

Il y a 13 ans, Igort avait déjà signé un premier volume de ses Cahiers ukrainiens, qui s’inscrit dans un ensemble plus vaste de Cahiers, japonais, et russes (avec notamment un sur Politkovskaïa). Dans une réédition de 2015 de ses Cahiers ukrainiens : mémoires du temps de l’URSS, il avait ajouté 16 pages inédites témoignant de la guerre à venir (pages que l’on retrouve dans le second volume).

Ces pages étaient alors précédées d’un post-scriptum annonçant que :

« La catastrophe est sous les yeux d’une Europe stupéfaite, otage du gaz et du pétrole russes, qui feint de ne pas voir la dimension d’une absolue tragédie, comme ce fut le cas dans les années trente. »

Ainsi, on ne pourra pas dire que l’on n’a pas été prévenus, mais qu’effectivement que l’on n’a pas voulu voir.

Les Cahiers ukrainiens : Igort nous raconte l'invasion

Dans son premier Cahier, il s’agissait de raconter et ressusciter la mémoire de drames soviétiques, particulièrement de Holodomor, la grande famine de 1932-1933 qui fit entre trois et cinq millions de victimes ukrainiennes. Ici, il est question des premiers mois suivant l’invasion de l’Ukraine par l’armée russe ordonnée par Poutine le 24 Février 2022, Igort ayant terminé ce second volume en septembre.

La formule de ces Cahiers, brillante, reste la même. Il reprend donc un travail de type sociologique, avec enquête, entretiens au téléphone, des récits mêlant crayonnés et dessins, fournis de textes assez copieux sur fond de pages avec des lignes, d’où le nom de Cahiers. Il y représente des scènes de rues, des portraits. Mais cette fois-ci, impossible de se rendre sur place. Un "récit-témoignage", pour reprendre le sous-titre, mais à distance. Une BD de reportage pas si lointaine de celle de Victoria Lomasko, à la différence que le croquis n’est pas d’observation : c’est un travail d’imagination et de mise en scène basé sur les témoignages oraux de ses connaissances.

En effet : Igort enregistre quotidiennement des dizaines d’appels téléphoniques relatant les nouvelles privations, les évacuations forcées, la recherche désespérée de parents, de nourriture, d’eau. Il reprend aussi des images diffusées via les réseaux sociaux. On sent le besoin d’agir, l’urgence de convier l’angoisse, de raconter au jour le jour l’invasion telle qu’elle se déroule chez les habitants par des épisodes qui, en apparence anecdotiques, révèlent l’étendue et la profondeur des vies touchées par le conflit.

Ce format est efficace, permettant de laisser une place importante à l’écrit journalistique. De ce fait, l’ouvrage se donne le temps d’analyser le conflit, de nous en livrer quelques clés. Ce n’est, pour autant, jamais lourd, tant les images sont présentes - et toujours de grande qualité. Ce bel objet hybride est de nature à parler à tous, amateurs d’histoire(s), de politique, de dessins.

"Un livre que je n’avais ni prévu ni imaginé, avant le 24 février. écrivait-il sur sa page Facebook avant la publication. Probablement le livre le plus difficile que j’aie jamais fait".

La guerre, malheureusement, se prolonge et personne n’entrevoit l’issue. Les noms de Zaporijjia, de Boucha, de Mariupol nous sont devenus familiers. C’est tout l’enjeu des Cahiers : de mêler l’urgence de l’actualité à la patience de la narration. La BD en devient une forme d’art contestataire - un de ses pouvoirs est de réinventer les modes et les objectifs du récit politique.

On ne peut que sortir bouleversé d’un tel ouvrage, qui se termine néanmoins par une note d’espoir. Féru de littérature, Igort nous rappelle que "l’Histoire enseigne qu’on peut emprisonner et tuer des gens, pas des idées", et s’adresse directement au chef du Kremlin : "C’est la leçon que vous auriez dû tirer de Dostoïevski, Pouchkine, Gogol... Politkovskaïa. Le monde est libre, monsieur Poutine, quoi que vous et votre cour en pensiez."

(par Philippe LEBAS)

(par Marlene AGIUS)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782754835169

Les Cahiers ukrainiens : Journal d’une invasion - Par Igort - Futuropolis

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