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Maryse & JF Charles : « Nous abordons en bande dessinée des sujets difficiles à évoquer aujourd’hui. » [INTERVIEW]

Par Charles-Louis Detournay le 16 décembre 2023                      Lien  
L'actualité du couple Charles est chargée : après la conclusion de leur série China Li, ils se sont accordés quelques vacances... qui ont servi à réaliser une exposition consacrée à l'Auvergne, un portfolio presque épuisé et un voyage de repérage pour leur prochain album, un western !

Maryse & JF Charles : « Nous abordons en bande dessinée des sujets difficiles à évoquer aujourd'hui. » [INTERVIEW]Votre précédent album apporte une conclusion à China Li, une série qui reprend presque un siècle d’Histoire chinoise. Avez-vous le sentiment d’avoir été au bout de ce que vous vouliez raconter ?

JF Charles : Tout à fait, surtout que la série était initialement prévue en trois tomes comme on pouvait le découvrir au quatrième plat des premiers albums. Mais pendant la réalisation de la série, vue la documentation que nous avions accumulée et l’intérêt que nous portions au récit, se limiter à trois albums aurait nécessité de trop grandes ellipses, tout en éludant des éléments passionnants. Couvrir près de cent ans d’Histoire, même en quatre albums, imposait des choix et des éléments qu’on ne pouvait pas traiter en si peu de pages. Mais il faut s’imposer des limites… En toute modestie, prenons l’exemple de Docteur Jivago, un film que certains trouvaient long, et qui s’attelait à raconter la Révolution russe. Dans la même optique, il faut pouvoir condenser lorsqu’on raconte des événements qui se déroulent sur tellement d’années.

Extrait du portfolio des Héroïnes de JF Charles

Dans cette série, on suit surtout le parcours d’une femme, Li. Est-ce que vous mettez l’accent sur une héroïne, car elles sont plus fortes et disposent d’une psychologie différente des hommes qu’on a longtemps traités ?

JF Charles : On rend ainsi justice aux femmes, car tellement d’histoires mettaient déjà des hommes au cœur des récits. Il y a tellement de choses à raconter avec des personnages féminins. Puis notre époque nous permet d’aborder en bande dessinée des sujets difficiles à évoquer précédemment.

Maryse Charles : Rappelons également que les femmes paient un lourd tribut pendant les guerres. Les hommes se battent, quitte à y perdre la vie, mais le sort des femmes est souvent abominable.

Planches exposées à la galerie Connexions
Photo : Alain Poncelet.

Ce que vous mettez justement en scène dans ce tome 4, où l’on n’évoque pas que des prisonnières de guerre, mais bien des esclaves sexuelles mises à la disposition des soldats !

Maryse Charles : Surtout que le Japon ne reconnaît toujours pas les atrocités commises en Chine. Les Coréennes manifestent encore aujourd’hui pour qu’on les reconnaisse. Une femme violée ne pouvait pas trouver de mari par la suite, et ne pouvait plus avoir d’enfants non plus après les sévices subis. Or on ne parle jamais de ce que représentent ces viols consécutifs et collectifs, avec leurs douleurs psychiques mais aussi physiques qui les accompagnent.

Vous mettez d’ailleurs votre héroïne en scène avec un enfant né de ces atrocités. Une façon de montrer aux lecteurs les dilemmes que ces femmes peuvent ressentir, entre le fait d’aimer son enfant et d’honnir ce qu’il représente ?

Maryse Charles : Cela légitime d’autant notre choix de nous focaliser sur une héroïne. Avec les procès qui s’en sont suivis, nous voulions aussi rendre justice à toutes ces victimes de crimes de guerre et/ou de crimes contre l’humanité. Ce conflit semble lointain, mais il a des échos douloureux avec les atrocités commises plus proches de nous, dans le conflit en Ukraine par exemple.

JF Charles : Dans notre volonté de témoigner, nous nous sommes aussi intéressés aux eunuques, par le biais du personnage de Zhang, ce qui nous a d’ailleurs poussés à réaliser un tome complémentaire, afin d’aborder leurs sévices. Nos personnages n’ont certes pas eu des destins faciles, mais sans se complaire dans le drame, ils représentent toutes celles et ceux qui ont véritablement souffert.

Sans tout dévoiler au lecteur, je trouve que la série se termine avec beaucoup d’émotions et un bel happy-end selon moi, le tout servi par de magnifiques planches et pleines pages comme on avait pu en parler précédemment. Est-ce que ce sont justement ces planches que nous verrons à l’exposition qui vous est consacrée ?

JF Charles : Michèle & Alain Poncelet nous font le plaisir de nous exposer dans leur toute nouvelle galerie à Namur : Connexions. Il sera moins question de la Chine, que d’une série de peintures que j’ai consacrées à des petits bistrots d’Auvergne, une région où je passe mes vacances. Après avoir peint les lieux que nous fréquentions, nous avons décidé de rechercher d’autres endroits riches de vie et de rencontres. Des lieux de plénitudes sous les pins parasols. Je cherchais aussi le bon moment de la journée, où les ombres génèrent de nouvelles envies. Il s’agit une fois de plus de récréations que je m’octroie après la fin d’un album, comme cela a été le cas précédemment avec les peintures en Italie par exemple.

Maryse Charles : Au sein de cette exposition, nous en profitons pour présenter des œuvres qui nous accompagnent depuis des années, comme la fameuse danseuse du temple. Un lien avec le travail de notre fille Marie qui expose également avec nous. Ses tableaux non-figuratifs avaient d’ailleurs déjà été exposés à la galerie Passerelle Louise de Bruxelles.

Un des bistrots peints par JF Charles

Pour ceux qui n’auront pas l’occasion de se rendre à Namur avant Noël, il reste votre dernier portfolio des héroïnes qui est toujours disponible ?

JF Charles : Comme de coutume, tout a commencé par un ou deux dessins. Je travaille actuellement sur un western, pour lequel je souhaitais disposer d’un nouveau type de papier car j’aime régulièrement changer de technique comme tu le sais. J’ai donc testé ce papier toilé avec de nouvelles couleurs acryliques qu’on m’avait proposées. Et le meilleur moyen de s’assurer du rendu final, est de pratiquer des exercices, parfois assez poussés, pour bien comprendre les limites des outils. J’ai donc mis en scène des héroïnes, qui donnent le nom au portfolio, tout en travaillant minutieusement les arrière-plans et les décors car je voulais en explorer toutes les possibilités. Réaliser une bande dessinée implique certaines contraintes, je me suis donc imposé des obligations comme le fait de travailler en petit format.. Avec les douze dessins du portfolio, j’ai testé les couleurs pour les ciels, les atmosphères, puis l’aspect toilé me permet d’utiliser des pinceaux plats, ce qui renforce un rendu plus proche de la peinture.

Les tests terminés, vous avez donc débuté votre western ?

Maryse Charles : Il s’agit d’un épais one-shot de plus de quatre-vingt pages. Nous avons terminé le storyboard avant de partir en Arizona pour réaliser un repérage minutieux, comme nous en avons l’habitude.

JF Charles : Le western est un genre passionnant. En réalisant notre récit, je comprends pourquoi tant d’auteurs en sont férus. Une force qu’on a ressentie également en réalisant le trajet réel que notre personnage imaginaire emprunte. À chaque page que je réalise, je connais les lieux et je sais ce qui se trouve juste derrière la case, ce qui me donne envie d’en mettre plus. J’ai hâte de faire prochainement découvrir cela aux lectrices et aux lecteurs.

Propos recueillis par Charles-Louis Detournay.

Maryse & Jean-François Charles
Photo : Charles-Louis Detournay.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782203237582

Exposition Jean-François Charles & Marie Charles - galerie Connexions, Place Godefroid 2, 5000 Namur. Uniquement ouvert les samedi après-midi jusqu’au 23 décembre inclus.

Pour commander le portfolio des héroïnes de Jean-François Charles racontées par Maryse, contactez les Editions Voluptas : contact@editionsvoluptas.com ou +33 6 71 29 62 69

Concernant la série de quatre albums China Li par Maryse & Jean-François Charles aux Editions Casterman, lire nos chroniques :
- le tome 1 : Shanghai
- le tome 2 : L’Honorable Mr Zhang
- le tome 3 : La Fille de l’eunuque
- le tome 4 : Hong Kong-Paris
- Catawiki expose Jean-François Charles à Angoulême

Concernant Maryse & JF Charles, lire quelques-uns de nos précédents articles :
- Les héroïnes de Jean-François Charles (Galerie des bulles, Charleroi)
- Dessins et desseins de J.-F. Charles
- une précédente interview : "Un dessin ne doit pas faire peur même si son exécution prend des heures de travail"

Illustrations : © JF Charles
Photo des auteurs : Charles-Louis Detournay

China Li Casterman ✍ Maryse Charles ✏️ Jean-François Charles à partir de 13 ans Chine
 
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