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Philippe Wurm ("Lady Elza") : « Je cherche à gommer mon désir de description pour aller vers plus de ressenti »

Par Nicolas Anspach le 24 octobre 2011                      Lien  
Après les {Rochester}, {{Jean Dufaux}} et {{Philippe Wurm}} reviennent avec une nouvelle série. Ils ont offert un destin séparé à Lady Elza, l’un des personnages des {Rochester}. Une occasion pour Philippe Wurm de dessiner à nouveau les atmosphères d’une Angleterre aux valeurs traditionnelles… {so british}. Évocation.

Lady Elza, une jolie Anglaise aussi sophistiquée que délurée. Surpsrise dans les bras d’un gentleman par une autre maîtresse, jalouse mais puissante, elle est obligée de se faire oublier quelque temps...

Afin de la divertir, son cousin, Lord Palfy ; lui propose d’intégrer une société ésotérique, néanmoins so chic : l’Excentric Club. En dépit du sexisme de certains de ses membres, elle peut satisfaire à ses rites d’initiation.


Philippe Wurm ("Lady Elza") : « Je cherche à gommer mon désir de description pour aller vers plus de ressenti »Vous mettiez déjà en scène Lady Elza dans « Les Rochester ». Pourquoi avez-vous souhaité lui donner le rôle principal dans cette nouvelle série ?

Philippe Hauri, le directeur éditorial des éditions Glénat, appréciait cette collection. En panne chez Dupuis, nous avons pensé continuer la série chez l’éditeur Grenoblois. Mais Philippe Hauri avait une autre idée en tête : reprendre le personnage de Lady Elza en lui donnant le rôle titre, tout en conservant l’ambiance de la série d’origine.

Jean a trouvé que c’était une bonne idée. Cela nous permet d’avoir une meilleure cohérence. Les Rochester souffraient d’une identité trop floue et trop ouverte : les lecteurs ne comprenaient pas qui ils étaient, pourquoi tant de personnages ? Était-ce une saga familiale d’aujourd’hui ou l’itinéraire d’une famille éclatée ?
Avec Lady Elza, nous tenons un destin, celui d’une femme libre d’aujourd’hui. Le titre de la série est beaucoup plus compréhensible.

Dans les Rochester, vous mettiez en scène de nombreux personnages, effectivement.

Je les appréciais beaucoup ! Cette multitude faisait le cachet de la série. Mais le lecteur devait accorder une plus grande attention à l’univers lorsqu’il découvrait la série. Pourtant, une fois que l’on était familier des Rochester, on s’apercevait à quel point l’univers déployé par Jean Dufaux était riche ! C’est pour cette raison que nous ne l’abandonnons pas. L’inspecteur Bleach revient dès la fin du premier tome de Lady Elza. D’autres personnages réapparaîtront au fur et à mesure. Mais nous n’aborderons pas, pour l’instant les relations difficiles entre Lady Elza et son ex-mari Jack Lord.

D’où vient ce goût pour le récit anglais ?

Mon travail a toujours été axé sur deux centres d’intérêt : le récit policier et les ambiances de l’Angleterre. Pourquoi ce pays ? Les albums de Blake & Mortimer d’Edgar P. Jacobs m’ont bien sûr marqué lorsque j’étais adolescent. Mais j’ai aussi apprécié d’autres classiques comme les Gil Jourdan de Maurice Tillieux ou les Spirou et Fantasio d’André Franquin.

Au fil des années, je me suis aperçu que mon caractère correspondait plus à l’esprit british de Jacobs qu’à celui, humoristique, débridé et poétique de Franquin. J’ai donc choisi cete voie !

Cet amour de l’Angleterre est aussi lié au tennis ! À l’âge de 13 ans, j’ai fais un séjour linguistique au Royaume Uni pendant un mois et demi. J’y ai découvert le championnat de tennis de Wimbledon à la télévision. Cela me passionnait car je commençais à pratiquer ce sport. J’ai vécu un triple choc : la découverte de la BBC, de Wimbledon et la première victoire de Björn Borg. J’ai perçu à quel point le tennis était une tradition en Angleterre, au même titre que d’autres sports anglais comme le snooker et le football.

Ceci explique votre péché de jeunesse, votre premier album La Fabuleuse épopée du tennis publié chez Hachette en 1988.

Effectivement. Au début des années 1980, la presse BD commençait à souffrir de différents maux. Je voulais à tout prix publier dans une revue avant de voir mon travail imprimé dans des albums. Pour me faire la main. De plus, une revue me permettait d’avoir du recul par rapport à mon travail. En 1983, Yannick Noah remportait le tournoi sur terre battue de Roland Garros. Cinq magazines consacrés au tennis paraissaient alors en France. Je leur ai proposé un dossier sur le tennis. Et l’une des cinq l’a accepté !

Tous les mois, je réalisais deux pages en couleur sur l’histoire du tennis ! Après avoir réalisé quarante pages, j’ai souhaité les voir publiées dans un album. J’ai rencontré un jeune éditeur dynamique qui avait monté une maison d’édition à Bruxelles avec son frère jumeau. Malheureusement, les frères Pasamonik ont revendu leur affaire et le repreneur n’était pas intéressé par mon projet. Un an plus tard, Didier Pasamonik qui avait entre-temps été nommé directeur éditorial chez Hachette, s’est souvenu de moi. Il a publié mon premier album.

Lorsque vous avez entamé ces pages, vous étiez frais émoulu des cours du soir donné par Eddy Paape, le premier enseignement de la bande dessinée dispensé en Belgique. Quel souvenir gardez-vous de lui ?

Eddy Paape a été quelqu’un qui a beaucoup compté dans mon parcours artistique. Autant le premier album est important, autant le premier professeur est crucial ! Lorsque j’ai commencé à suivre ses cours à Saint-Luc, je n’avais que dix-sept ans. Je sortais d’un milieu où la culture n’avait pas beaucoup d’importance. J’étais très démuni artistiquement. Paape a été formidable, d’était un excellent pédagogue qui s’investissait auprès de ses élèves tout en les laissant libre de développer leur personnalité.

Et puis, il nous racontait mille anecdotes. Il faisait partie de la génération des plus grands. Il nous parlait de Franquin, de Peyo, de Victor Hubinon... Toute une génération de la BD actuelle a rêvé en entendant Paape parler de l’âge d’or qui était le sien.

Je songe à ses élèves qu’étaient Christian Durieux, Olivier Grenson, Dugomier, Mauricet, Thierry Cayman, Andréas ou encore Denis Bodart. Paape nous insufflait un amour pour la BD, tout en nous laissant libre de suivre nos envies artistiques. On le voit : aucun de ses élèves ne fait aujourd’hui du sous-Paape.

Les trois ans que j’ai passé auprès de lui, à suivre son enseignement, m’ont permis de passer du statut d’amateur à celui d’un étudiant qui avait plus de potentiel ! Ce n’était cependant pas gagné, car j’ai encore beaucoup travaillé après pour m’améliorer. Mais Paape m’a offert les outils pour progresser.

Aujourd’hui, je suis professeur de dessin au cours du soir à l’Académie Constantin Meunier. Son exemple me guide en tant que professeur. J’essaie d’adopter la même attitude que lui en m’investissant auprès de mes élèves et en respectant leur personnalité. Il n’y a pas un jour sans que je ne pense à Eddy Paape grâce à cela ! J’essaie de suivre ses pas...

Revenons à Lady Elza. Vous semblez accorder de plus en plus d’importance aux ambiances dans votre travail.

J’ai toujours accordé le plus grand soin aux ambiances. Mais je n’arrivais peut-être pas à les retranscrire d’une manière opportune et cohérente. J’apprécie le travail de Tillieux et de Jacobs pour la place qu’ils accordaient aux atmosphères dans leurs récits. Je ressens une forme de tension lorsque je travaille sur cet aspect. J’ai un fort désir de description, permanent et quasiment pédagogique. Les atmosphères touchent plus à la suggestion qu’à la description. J’essaie de gommer ce désir de description, pour aller vers plus de ressenti…

Certains de vos personnages ont du mal à se dépêtrer de l’influence de Jacobs.

Il y a une influence incontestable dans mon travail qui est doublé par un fort attrait pour celui de Yves Chaland. Ce dernier me permet de piocher du côté de Franquin, et de Jijé, deux autres de mes passions. Il y a quelques années, j’ai travaillé sur un projet de reprise de Blake & Mortimer avec Jean Dufaux. Mes planches ne plaisaient pas aux éditions Dargaud. Mais ce fut une expérience passionnante et intéressante en tant que dessinateur. Cela m’a permis de me confronter à Edgar P. Jacobs et d’essayer de comprendre sa manière de travailler. J’ai perçu des choses que je n’étais pas arrivé à voir jusqu’à présent dans son travail à cause de mon regard d’amoureux. Il a une qualité de dessin encore plus élevée que ce que je soupçonnais. C’est un dessinateur affolant et absolu !

Intervenez-vous dans l’écriture du scénario de Lady Elza ?

Non. Avec Jean, il vaut mieux faire un petit dessin qu’un grand discours. Jean Dufaux est un littéraire, mais il fonctionne beaucoup en fonction de chocs visuels. Quand il voit un dessin, il capte directement les ambiances et les atmosphères, et cela le nourrit. Notre relation est assez intuitive. Bien entendu, nous évoquons nos envies lorsque nous nous voyons. Mais j’ai remarqué que j’arrivais à faire passer plus de chose en lui montrant des croquis et des illustrations.

Il me transmet le découpage au fur et à mesure et me laisse beaucoup de liberté pour interpréter visuellement son scénario. C’est aussi un scénariste très structuré, il a une méthode de travail très efficace ! J’ai besoin de cette structure solide pour poser ma petite interprétation. Sur sa partition, je joue la mienne avec mes émotions et mes sentiments. Il est demandeur, mais je ne pourrais pas être aussi libre s’il ne réalisait pas une construction narrative aussi forte.
Nous sommes aussi devenus amis. C’est un gentleman avec lequel on a envie de passer de bons moments.

Vous avez changé de coloriste dernièrement.

Oui. J’ai fait appel à BenBK qui participe grandement aux ambiances. Je recherchais une mise en couleur plus poétique. BenBK avait mis en couleur le dernier Rochester et j’avais été très content de son travail. Il a géré la colorisation du premier tome de Lady Elza en solo. Je lui ai seulement donné quelques indications concernant les ambiances. C’est vraiment un cadeau pour un dessinateur d’avoir un coloriste sur lequel il peut s’appuyer.

Bruno Marchand et Philippe Wurm.
(c) Nicolas Anspach

(par Nicolas Anspach)

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Illustrations extraites du T1 de "Lady Elza" - (c) P. Wurm, J. Dufaux & Glénat.

✏️ Philippe Wurm
 
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